Mercuriale de mars 2017

Nationalisme français et autonomie bretonne

Maurice Barrès

             Bientôt les élections.
          Les drapeaux tricolores s’agitent dans les meetings électoraux. Les appels aux armes (Aux armes citoyens !) et à l’unité nationale se multiplient. Nous y voyons habituellement une ferveur "nationaliste" française. Le Front National transforme cette ferveur populaire en religion. Mais est-ce vraiment du nationalisme ?
          Le leitmotiv de nation française une et indivisible apparaît en 1789. La Constitution du 3 septembre 1791 le proclame dans son Titre 2, Article 1 : "Le Royaume est un et indivisible". Ensuite, ce sera la république qui héritera des caractéristiques d’unité et d’indivisibilité, que même les atomes ne revendiquent plus.
          Le bouillon d’inculture, qui réduit la France à un livre d'images, à la fois pieuses et brutales, est considéré comme d’extrême-droite. Aujourd'hui, la droite ce sont "Les Républicains". Il faudrait plutôt parler d'extrême-républicain pour l'attachement excessif à des mythes du XVIIIe siècle.
          En France, au XIXe siècle, les idées nouvelles, libéralisme et socialisme, ont été polluées par le mythe républicain, malgré les épisodes napoléoniens et royaux. Au XXe siècle, le républicanisme a maintenu son hégémonie. Au XXI siècle, les fantômes de Marat ou de Robespierre plombent toujours le débat. Ceux qui se veulent les défenseurs du peuple ou de la nation continuent de s'en réclamer.

L'origine du nationalisme français

        Le nationalisme français devient une doctrine cohérente à partir de la guerre de 1870. La défaite cuisante face aux Prussiens montre que la France n’est pas un modèle universel, contrairement aux sottises que diffusaient Victor Hugo ou Michelet. Qu’était-ce donc que la France, puisque les événements ont montré qu’elle ne sera pas le berceau de l’humanité nouvelle ?
        Maurice Barrès est le penseur de ce nationalisme français essoré par la défaite. Une partie de sa Lorraine natale a été cédée à l’empire allemand.
        Barrès théorise le nationalisme français, au delà des mythes républicains. Il se réfère à la terre et aux morts. Il en appelle à l'enracinement, face aux puissances de l'argent et de l'État. Son message séduit, bien au-delà des conservateurs. Le poète et militant communiste Aragon n’hésite pas à écrire après la guerre de 39-45 : "le nationalisme de Barrès est plus proche de ce que je ressens, et sans doute de ce que ressent aujourd'hui l'avant-garde ouvrière dans notre pays, que l'internationalisme, disons de M. Guéhenno : car, comme Barrès, les hommes de notre peuple ne sont pas disposés à sacrifier ce qui est national, à une Europe, par exemple, fabriquée par MM. Blum et Churchill, et financée par M. Marshall. (...)" (Préface d'Aragon au tome II de l'œuvre de Maurice Barrès. Ed. Club de l'honnête homme, Paris, 1965).
          Maurice Barrès comprend ce que peut produire un authentique nationalisme français. Il remonte bien au-delà de l’épisode jacobin. Il imagine la France, non pas comme la dictature bureaucratique de Robespierre, mais comme un ensemble historique, à la fois vivant et hétérogène. Cet ensemble ne peut se maintenir que par une organisation légère et décentralisée. C’est d’ailleurs ce qu’ont souhaité par la suite le Général de Gaulle et François Mitterrand. Ils ont dit, chacun à leur manière, que la France s’est construite par la centralisation, mais qu’elle ne pourra survivre que par la décentralisation.

Quelques citations

          Dans son ouvrage "Scènes et doctrines du nationalisme", Barrès dresse les lignes d’un fédéralisme  français.
          " … Les conceptions d’autonomie communale et régionale sont à même de fournir un programme à un immense parti national et social. Parti national, en ce que la décentralisation rendrait de la vitalité à la nation, qui se dessèche et s’atrophie, si la force toujours s’accumule dans Paris engorgé. Parti social, en ce que les multiples organismes, libérés de la discipline uniforme de l’État central, se modifieraient spontanément d’après leurs besoins et leurs aptitudes, qui, contrariés par notre formalisme unitaire, maintiennent une longue crise quand ils pourraient nécessiter un ordre nouveau. "

          "Les assemblées régionales que nous entrevoyons ne sont pas dans notre esprit de simples conseils généraux à attributions un peu plus étendues, mais de véritables parlements locaux ."

          "La restitution de la souveraineté populaire et le gouvernement direct, voilà où nous tendons par la décentralisation."

         "Le nécessaire, c’est que les circonscriptions soient établies sur une base à la fois économiques et historiques. Economique, pour répondre aux besoins matériels ; historique, pour répondre aux besoins moraux. Voyez-vous quelque inconvénient à rétablir les noms traditionnels ? la Normandie, la Bourgogne, la Lorraine, la Gascogne, etc., ont une existence aussi légitime que la France."

          "Paris a donné à la France la notion d’une liberté abstraite qu’aucun gouvernement n’a appliquée. Le droit de s’associer et le droit de gouverner, voilà les libertés efficaces dont veut user chaque parcelle du pays."

          "La décentralisation comme moyen de transformation sociale. (…) L’expérimentation, voilà ce que doivent réclamer tous les Français de bonne foi, et qui savent ce que c’est qu’une méthode."

          Je vous conseille de lire son chapitre "Notes sur les idées fédéralistes" (ici, en pdf). Rien à voir avec les discours de Jean Pierre Chevènement, de Florian Philippot, ou autres "citoyens".

L'Etat-nation, une identité meurtrière

         En Bretagne, nous savons ce que veut dire nationalisme. La Bretagne est une nation, pas un État. La France, elle, se veut un État-nation. Mais elle est d’abord un État, une institution. Ce qui importe aux "citoyens", c’est la défense de l’état de droit, des institutions républicaines. L’énergie nationale chère à Barrès, l’élément vivant, a disparu.
          Nous autres, Bretons, aimerions trouver en face de nous des nationalistes français de l’envergure de Maurice Barrès. La discussion serait passionnante. Mais il faut se rendre à l’évidence. Même ceux qui se disent nationalistes sont à genoux devant l'Etat central. Ils redoutent l'enracinement populaire, les petites patries chères à Maurice Barrès. Ils prêchent l'impuissance, quand ce n'est pas l'effacement des régions historiques. L'avenir leur fait peur ; le passé aussi.
          Leur obstination fait de l’effondrement français, comme de toutes les sociétés de déracinés, un scénario probable. Nous devons en tirer les conséquences.
JPLM

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