Aragon à 21 ans

Aragon (Louis)


Poète français progressiste (1897 –1982)


Tout et son contraire.

          Aragon a le droit à un article consistant dans le « Dictionnaire des girouettes »(1), paru en 1957 . Voici quelques citations qui justifient cette promotion.

          "J'ai bien l'honneur, chez moi, dans ce livre, à cette place, de dire que, très consciemment, je conchie l'armée française dans sa totalité." (Traité du style 1928)

          "Je vous avoue que je n'ai pas détesté la vie de soldat. Au fond j'aurais fait un pas trop mauvais militaire et d'ailleurs je me suis toujours bien entendu avec les militaires." (A Denise Bourdet, 1964)

"Les trois couleur à la voirie !                                    "Je vous salue, ma France, où l'oiseau de passage
Le drapeau rouge est le meilleur !                              De Lille à Roncevaux, de Brest au Mont-Cenis
Leur France, jeune travailleur                                    Pour la première fois a fait l'apprentissage
N'est aucunement ta Patrie" (1932)                            De ce qu'il peut coûter d'abandonner un nid !" (1944)


Le chantre de la dictature

          Il est un domaine où Aragon a montré une grande constance : c'est son soutien sans faille à la dictature stalinienne.

Apologie de la police politique  :

"Il s'agit de préparer le procès monstre
d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons

Je chante le Guépéou (2) qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manœuvres de l'Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du prolétariat."

("Prélude au temps des cerises"  dans Persécuté-Persécuteur, Ed Denoel, 1931)
Staline

A propos des bagnes soviétiques :

 
          "Je veux parler de la science prodigieuse de la rééducation de l'homme, qui fait du criminel un homme utile, de l'individu déformé par la société d'hier, par les forces des ténèbres, un homme du monde de demain, un homme selon l'Histoire. L'extraordinaire expérience du canal de la mer Blanche à la Baltique, où des milliers d'hommes et de femmes, les bas-fonds d'une société, ont compris, devant la tâche à accomplir, par l'effet de persuasion d'un petit nombre de tchékistes (3)  qui les dirigeaient, leur parlaient, les convainquaient que le temps est venu où un voleur, par exemple, doit se requalifier, dans une autre profession – Cette extraordinaire expérience joue par rapport à la nouvelle science le rôle l'histoire de la pomme qui tombe devant Newton par rapport à la physique. Nous sommes à un moment de l'histoire de l'humanité qui ressemble en quelque chose à la période du passage du singe à l'homme. Nous sommes au moment où une classe nouvelle, le prolétariat, vient d'entreprendre cette tâche historique d'une grandeur sans précédent : la rééducation de l'homme par l'homme".
(Pour un réalisme socialiste. Ed Denoël et Steele, Paris1935)

« Le travail libère » :
 
Entrée d'Auschwitz
"Le travail libère" : Slogan à l'entrée du camp d'Auschwitz
          "A l'usine de tracteurs de Tcheliabinsk, pendant la construction de cette usine, plusieurs fois les brigades de bétonneurs ont organisé des soirées d'émulation socialiste au cours desquelles il s'agissait de remplir et vider le mélangeur de béton au lieu de 140 fois, comme c'est la normale d'une journée, 200 fois et plus. Une large assemblée assistait à ce spectacle qui se poursuivait au son d'un orchestre jouant des airs de danse et des chansons. Une brigade arriva à fournir en une nuit le chiffre incroyable de 200 mélangeurs."

(Note du poème Valse du Tcheliabtraktrostroï, dans Hourra L'Oural, Ed Denoël et Steele, 1934)

A propos du pacte germano-soviétique (1939-1941) :
 
          " Le pacte de non-agression avec l'Allemagne, imposé à M. Hitler qui n'avait pas d'autre possibilité que de capituler ainsi ou de faire la guerre, c'est le triomphe de cette volonté de paix soviétique. (…)
          Et que ne vienne pas ici comparer le pacte de non-agression germano-soviétique qui ne suppose aucun abandon de la part de l'URSS aux pactes « d'amitié » qu'ont signés les gouvernements toujours en exercice en France et en Angleterre avec M. Hitler : ces pactes d'amitié avaient pour base la capitulation de Munich…
          L'URSS n'a jamais admis et n'admettra jamais de semblables crimes internationaux. Silence à la meute antisoviétique ! Nous sommes au jour de l'effondrement de ses espérances. Nous sommes au jour où l'on devra reconnaître qu'il y a quelque chose de changé dans le monde et que, parce qu'il y a l'URSS, on ne fait pas la guerre comme on veut."
(Ce soir, 23 août 1939)

A propos du dictateur :


          " La France doit à Staline tout ce que, depuis qu'il est à la tête du parti bolchevik, il a fait pour rendre invincible le peuple soviétique, et dans son armée rouge, et dans sa confiance en Staline, l'homme qui disait que gouverner c'est prévoir, et qui a toujours prévu juste… La France doit à Staline son existence de nation pour toutes les raisons que Staline a données aux hommes soviétiques d'aimer la paix, de haïr le fascisme, et particulièrement pour la constitution stalinienne, qui est une de ces raisons, pour lesquelles un grand peuple peut également vivre et mourir. (…)
          Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! Merci à Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garants de l'indépendance française, de la volonté de paix de notre peuple,de l'avenir d'une classe ouvrière, la première dans le monde montée à l'assaut du ciel et que l'on ne détournera pas de sa destinée en lui faisant voir trente-six étoiles étrangères, quand elle a de tels hommes à sa tête !"
(Les lettres françaises, mars 1953)

A propos de l'invasion de la Hongrie en 1956 par les troupes soviétiques (25 000 morts et 200 000 exilés en deux mois). Communiqué du Bureau politique du PCF où siégeait Aragon qui fut, selon tous les témoins, le plus âpre à défendre les troupes d'invasion :

          " Barrant la route à ceux qui furent les alliés de Hitler, aux représentants de la réaction et du Vatican que le traître Nagy avait installé au gouvernement, la classe ouvrière hongroise, dans un sursaut énergique, a formé un gouvernement ouvrier et paysan qui a pris en main les affaires du pays. Ce gouvernement prolétarien (…) a demandé à l'armée soviétique de contribuer à la restauration de la paix intérieure. Le Parti Communiste Français approuve pleinement la conduite du gouvernement ouvrier de Hongrie (…). Face à l'offensive acharnée et bestiale des fascistes, des féodaux et de leurs alliés les princes de l'Église, pour restaurer en Hongrie le régime terroriste de Horthy, il eut été inconcevable que l'armée des ouvriers et des paysans de l'URSS ne répondit pas à l'appel qui lui était adressé alors que les meilleurs fils de la classe ouvrière hongroise étaient massacrés, pendus, ignoblement torturés."
(Journal l'Humanité du 27 octobre 1957)


D'un impérialisme à l'autre.

                A partir du milieu des années 1930, Aragon conjugue communisme et nationalisme français. Il dégage et exalte les thèmes communs aux deux idéologies : critique de la liberté de penser, vénération des chefs et des symboles, prétention à incarner la vérité et à guider le monde.

Intervention au deuxième congrès des écrivains soviétiques, Moscou, décembre 1954

            " Le fait de discuter de la technique du vers écarte nécessairement aujourd'hui du vers aberrant, individuel, décomposé, qui a perdu ses caractéristiques chantantes et que le peuple ne peut entendre, qui ne résonne pas dans le cœur du peuple, pour ramener les poètes au langage national, énorme et longue expérience collective, langage que l'on avait désappris à écrire, et que la nécessité de parler pour la nation entière a remis à l'ordre du jour.
            Cette reconstruction de notre vers traditionnel sert de tous les points de vue la cause du réalisme en poésie ; elle est l'expression même du sentiment national menacé par l'individualisme et la dénaturalisation de la culture, les abandons des caractéristiques de notre poésie française exigés de nous comme sont, en même temps, exigés de nous les abandons de notre souveraineté nationale."

Discours d'Ivry, Juin 1954
 
            " La réévaluation critique de notre patrimoine national est l'une des tâches déterminantes de l'art de parti. L'artiste, l'écrivain communiste, doit avoir sans cesse en mémoire le mécanisme même par lequel Maurice Thorez a fait de notre parti ce qu'il est, quand il a appris à la classe ouvrière la signification de Jeanne d'Arc, celle de la Marseillaise, quand il lui a rendu son drapeau"

Discours prononcé au Kremlin le 28 avril 1959, lorsque Aragon a reçu le prix Staline, rebaptisé Lénine.

 
          " Je pense qu'en attribuant ce prix à un écrivain français, il [le comité des prix Lénine] a voulu marquer la place particulière, dans un combat commun à l'énorme majorité des hommes de ce siècle, non seulement de l'art d'écrire, mais d'écrire en français, c'est-à-dire en France, du milieu d'un peuple que la géographie et l'histoire ont placé à une charnière du monde, en un point où plusieurs fois les idées communes à l'humanité en marche ont pris force matérielle en s'incarnant dans la masse vivante, et où toute défaillance demain, tout à l'heure, pourrait avoir pour ce peuple, mais pour tous les autres, des conséquences incalculables."

(Les discours précédents peuvent être retrouvés dans l'ouvrage : Aragon. "J'abats mon jeu", Editeurs français réunis, Paris 1959)

Maurice Barrès et Aragon ; le maître et le disciple


            Qu'y a t'il de commun entre Maurice Barrès, écrivain de droite, boulangiste, antidreyfusard, antisémite, et Aragon le communiste, donc forcément progressiste, ouvert sur le monde et  l'avenir ?
La nation française.
Elle permet à notre poète de retrouver ses vrais repères, y compris sur le dos des écrivains de son propre camp.
Barrès

            Voici de larges extraits de la curieuse préface d'Aragon au tome II de l'œuvre de Maurice Barrès. Ed. Club de l'honnête homme, Paris, 1965.

            " L'année de ma première communion, j'avais onze ans, M. Feuilloy, mon professeur de français à l'école Saint-Pierre de Neuilly, me fit donner comme premier prix de narration française les Vingt-Cinq années de vie littéraire de Maurice Barrès, pages choisies, avec une introduction d'Henri Brémond. La lecture de ce livre fut pour moi un grand coup de soleil, et il n'est pas exagéré de dire qu'elle décida de l'orientation de ma vie. (...)
            Il n'est pas vrai que cette prose soit entortillée : et je songe aux cris de putois qu'on pousserait si je disais simplement ce que je pense de la prose de Proust ou de Valery, alors qu'aujourd'hui toute licence est donnée contre l'admirable langage. C'est que la place occupée par Barrès prosateur, ce sont les hommes de la Nouvelle Revue Française, pratiquant comme personne la méthode de l'ôte-toi de là que je m'y mette, qui l'ont les premiers, et à leur profit personnel, niée ; la critique sans mesure de Barrès n'a fait place nette qu'au Nathanaël des Nourritures Terrestres, que Gide n'aurait jamais enfanté tout seul, et qui a vilainement renié ce qu'il devait à son véritable père, Barrès. Mais enfin, de Barrès à Gide, l'homme ne monte pas ; il descend. Quant à l'écrivain, il n'est qu'à voir le désossement progressif de la prose française, faute d'autres maîtres que des escamoteurs, pour ressentir l'absence de Barrès, que n'a pu combler Giraudoux. (...)
            Aujourd'hui, il (Barrès) ne pourrait admettre le réarmement de l'Allemagne et les incidences de la politique américaine sur l'indépendance française. Barrès est l'expression de la bourgeoisie de son temps, qui était nationaliste et chauvine, mais il ne peut être aujourd'hui réclamé par une bourgeoisie qui a perdu le sens national et qui, pour conserver ses privilèges et ses biens matériels, est prête à faire bon marché de l'indépendance nationale, à sacrifier la patrie à une coalition d'intérêts sous la direction de l'étranger. J'ai le regret d'avoir à dire que, pour étroit qu'il soit, le nationalisme de Barrès est plus proche de ce que je ressens, et sans doute de ce que ressent aujourd'hui l'avant-garde ouvrière dans notre pays, que l'internationalisme, disons de M. Guéhenno : car, comme Barrès, les hommes de notre peuple ne sont pas disposés à sacrifier ce qui est national, à une Europe, par exemple, fabriquée par MM. Blum et Churchill, et financée par M. Marshall. (...)
            J'irai plus loin. Je dirais qu'il y a beaucoup d'écrivains dont l'idéologie est progressiste, mais dont les romans, même écrits aujourd'hui, à la comparer avec Le Roman de l'Energie Nationale, sont régressifs, réactionnaires en tant que romans. C'est dans l'esprit où Engels opposait Balzac à Zola que je crois pouvoir opposer ce Barrès-là à bien des romanciers qu'aiment ceux de mes amis qui pensent comme M. Etienne Borne que nul aujourd'hui n'oserait se déclarer barrésien.(...). Et, au delà des enthousiasmes de ma jeunesse, pour toutes les raisons que je viens de dire, dans la mesure exacte où il faut prendre parti pour ou contre, quand on vient à avoir à choisir entre le roman politique ou la haine du roman politique, entre la reconnaissance de la vérité nationale et sa négation pure et simple, entre, non pas le matérialisme mécaniste et le matérialisme dialectique, mais le matérialisme quel qu'il soit et la condamnation théologique du matérialisme, et caetera, eh bien, oui, décidément, en ce sens, je me considère comme barrésien."


   Barrès-Arc
Barrès à la commémoration de Jeanne d'Arc



  1 - Jean Galtier-Boissière. Dictionnaire des Girouettes. Le Crapouillot N° 36, 1957     (retour au texte)
  2 - Le Guépéou est la police politique de Staline, ancêtre du NKVD et du KGB.    (retour au texte)
  3 - La Tchéka est l'ancêtre du Guépéou, police politique chargée de traquer les ennemis de l'URSS.  (retour au texte)



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