Hugo à 27 ans

Hugo (Victor)


Ecrivain (en)gagé (1802-1885)   


La supériorité des Français sur les Bretons

          Comment peut-on être Breton ? Victor Hugo nous donne la réponse :

vendée " Si l'on veut comprendre la Vendée, qu'on se figure cet antagonisme : d'un côté la révolution française, de l'autre le paysan breton.
En face de ces événements incomparables, menace immense de tous les bienfaits à la fois, accès de colère de la civilisation, excès de progrès furieux, amélioration démesurée et inintelligible, qu'on place ce sauvage grave et singulier, cet homme à l'œil clair et aux longs cheveux, vivant de lait et de châtaignes, borné à son toit de chaume, à sa haie et à son fossé, distinguant chaque hameau du voisinage au son de sa cloche, ne se servant de l'eau que pour boire, ayant sur le dos une veste de cuir avec des arabesques de soie, inculte et brodé, tatouant ses habits comme ses ancêtres les Celtes avaient tatoué leurs visages, respectant son maître dans son bourreau, parlant une langue morte, ce qui est faire habiter une tombe à sa pensée, piquant ses bœufs, aiguisant sa faulx, sarclant son blé noir, pétrissant sa galette de sarrasin, vénérant sa charrue d'abord, 
 sa grand-mère ensuite, croyant à la sainte Vierge et à la Dame Blanche, dévot à l'autel et aussi à la haute pierre mystérieuse debout au milieu de la lande, laboureur dans la plaine, pêcheur sur la côte, braconnier dans le hallier, aimant ses rois, ses seigneurs, ses prêtres, ses poux ; pensif, immobile souvent des heures entières sur la grande grève déserte, sombre écouteur de la mer.

         Et qu'on se demande si cet aveugle pouvait accepter cette clarté .
            Depuis deux mille ans, le despotisme sous toutes ses espèces, la conquête, la féodalité, le fanatisme, le fisc, traquait cette misérable Bretagne éperdue ; sorte de battue inexorable qui ne cessait sous une forme que pour recommencer sous l'autre. Les hommes se terraient.
          L'épouvante, qui est une sorte de colère, était toute prête dans les âmes, et les tanières étaient toutes prêtes dans les bois, quand la république française éclata. La Bretagne se révolta, se trouvant opprimée par cette délivrance de force. Méprise habituelle aux esclaves.

        C'étaient des clans, comme en Ecosse. Chaque paroisse avait son capitaine. Cette guerre, mon père l'a faite, et j'en puis parler.

          La Vendée a fini la Bretagne
          La Bretagne est une vieille rebelle. Toutes les fois qu'elle s'était révoltée pendant deux mille ans, elle avait eu raison ; la dernière fois elle a eu tort. Et pourtant au fond, contre la révolution comme contre la monarchie, contre les représentants en mission comme contre les gouverneurs ducs et pairs, contre la planche aux assignats comme contre la ferme des gabelles, quelque fussent les personnages combattants (...), c'était toujours la même guerre que la Bretagne faisait, la guerre de l'esprit local contre l'esprit central.
Ces antiques provinces étaient un étang ; courir répugnait à cette eau dormante ; le vent qui soufflait ne les vivifiait pas, il les irritait. Finistère, c'était là que finissait la France, que le champ donné à l'homme se terminait et que la marche des générations s'arrêtait.  Halte ! criait l'océan à la terre et la barbarie à la civilisation. Toutes les fois que le centre, paris, donne une impulsion, que cette impulsion vienne de la royauté ou de la république, qu'elle soit dans le sens du despotisme ou dans le sens de la liberté, c'est une nouveauté et la Bretagne se hérisse. Laissez-nous tranquilles.(...).

          En somme, en démontrant la nécessité de trouer dans tous les sens la vieille ombre bretonne et de percer cette broussaille de toutes les flèches de la lumière à la fois, la Vendée a servi le progrès. Les catastrophes ont une sombre façon d'arranger les choses "


Le fils du Colonel Hugo

          Dans ces passages du roman Quatre Vingt Treize, la thèse de Victor Hugo est limpide : La Bretagne est morte, et c'est tant mieux. Paix tout de même à ses cendres. Comme il le dit ailleurs : " L'ennemi de la France peut être héroïque ; il ne peut être vainqueur ".
          Outre le fait que le diagnostic du grand visionnaire soit faux et que la Bretagne soit toujours vivante, il faut replacer notre ami dans son contexte, et en particulier dans son contexte familial.

          Comme un bon nombre d'écrivains français (Montaigne, La Fontaine, Voltaire, Baudelaire, ...) Victor Hugo est un rentier ; il ne sait pas ce que c'est que de travailler pour vivre.

          Son père, Joseph Léopold-Sigisbert Hugo (1773-1828) était comte et général d'empire. Il sera néanmoins rétrogradé par l'empereur après la retraite d'Espagne, ce qui explique la rancune initiale de Victor contre Napoléon. Celle-ci s'exprimera dans les œuvres de la première partie de sa vie, et fera place ensuite à la rancune contre Napoléon III.
          Victor deviendra vicomte à la mort de son frère Eugène en 1837. Il sera nommé pair de France par le roi Louis-Philippe en 1845, et deviendra républicain lorsqu'il sera sûr que la République lui donnera un avenir politique.
          
Hugo à 45 ans          Sous Louis Philippe, le futur grand démocrate est donc pair de France. Lors de la révolution de 1848, il est nommé député et maire. Il est ouvertement opportuniste et décrit sa position de la façon suivante :
          " Je suis rouge avec les rouges, blanc avec les blancs, bleu avec les bleus, c'est-à-dire tricolore. En d'autres termes, je suis pour le peuple, pour l'ordre, et pour la liberté. "
                                                                                                     (Choses vues, 1849)

          " En 1848, je n'ai pas eu peur. Je n'ai pas crié : "Vive la République! " 
                                                                                                    (Choses vues, 1849)


          " Lamartine se leva à mon entrée. Sur sa redingote boutonnée comme d'habitude, il portait en sautoir une ample écharpe tricolore. Il fit quelques pas à ma rencontre et, me tendant la main : "Ah! Vous venez à nous, Victor Hugo! C'est pour la République une fière recrue ! - N'allez pas si vite, mon ami ! lui dis-je en riant, je viens tout simplement à mon ami Lamartine. Vous ne savez peut-être pas qu'hier, tandis que vous combattiez la Régence à la Chambre, je la défendais place de la Bastille ". (Choses vues)

          Victor Hugo, après avoir écrit une Ode sur la naissance du duc de Bordeaux, après avoir été le chantre du duc de Berry, de Louis XVIII, de la révolution de Juillet 1830, de Charles X, puis de Napoléon 1er, deviendra aussi, finalement, un héraut de la République.


La supériorité des Blancs sur les Noirs

          Notre donneur de leçons n'en a pas donné qu'aux Bretons ; il en a donné à toute la terre, et en particulier aux Noirs. Amis blacks, un conseil de Breton : Nous avons lu Quatre Vingt-Treize ; lisez Bug-Jargal. C'est le même scénario. Derrière un héros crépusculaire se profile nos peuples stupides et arriérés.

      "   C'était à l'occasion de ce désastreux décret  du 15 mai 1791, par lequel l'Assemblée nationale de France admettait les hommes de couleur libres à l'égal partage des droits politiques avec les blancs ".

          "Vous ignorez peut être qu'il existe parmi les noirs de diverses contrées de l'Afrique des nègres doués de je ne sais quel grossier talent de poésie et d'improvisation qui ressemble à la folie. Ces nègres, errant de royaume en royaume, sont, dans ces pays barbares, ce qu'étaient les rhapsodes antiques (...).
          On les appelle griots. Leurs femmes, les griotes, possédées comme eux d'un démon insensé, accompagnent les chansons barbares de leurs maris par des danses lubriques, et présentent une parodie grotesques des bayadères de l'Hindoustan et des almées égyptiennes. "

Biassou
          " Dans une autre disposition d'esprit, je n'aurais pu m'empêcher de rire de l'inepte vanité des noirs ".
    
  " Le moyen ridicule qu'il (Biassou) venait d'employer avec tant de succès * pour déconcerter les ambitions toujours si exigeantes dans une bande de rebelles, me donnait à la fois la mesure de la stupidité des nègres et de l'adresse de leur chef "

* Toussaint-Louverture s'est servi plus tard du même expédient avec le même avantage (note de Victor Hugo).

          Bug-Jargal a été mis en scène en 1880. La pièce provoqua les pires déchaînements racistes dans la presse, qui fait état des applaudissements des communards au spectacle de la "chienlit nègre".


Son Discours sur l'Afrique, 18 mai 1879, n'est pas mal non plus. Défense et illustration de l'impérialisme français :

         " Que serait l'Afrique sans les blancs ? Rien ; un bloc de sable ; la nuit ; la paralysie ; des paysages lunaires. L'Afrique n'existe que parce que l'homme blanc l'a touchée. "

          " Est-ce que vous voyez le barrage ? Il est là, devant vous, ce bloc de sable et de cendre, ce morceau inerte et passif qui, depuis six mille ans, fait obstacle à la marche universelle, ce monstrueux Cham qui arrête Sem par son énormité, -l'Afrique.
           Quelle terre sue cette Afrique ! L'Asie a son histoire, l'Amérique a son histoire, l'Australie elle-même a son histoire ; l'Afrique n'a pas d'histoire. Une sorte de légende vaste et obscure l'enveloppe. Rome l'a touchée, pour la supprimer ; et, quand elle s'est crue délivrée de l'Afrique, Rome a jeté sur cette morte immense une de ces épithètes qui ne se traduisent pas : Africa portentosa ! (Applaudissements). C'est plus et moins que le prodige. C'est ce qui est absolu dans l'horreur. Le flamboiement tropical en effet, c'est l'Afrique. Il semble que voir l'Afrique, ce soit être aveuglé. Un excès de soleil dans un excès de nuit.
          Eh bien, cet effroi va disparaître.

          Déjà les deux peuples colonisateurs, qui sont deux grands peuples libres, la France et l'Angleterre, ont saisi l'Afrique ; la France la tient par l'ouest et par le nord ; l'Angleterre la tient par l'est et le midi. Voici que l'Italie accepte sa part de ce travail colossal. L'Amérique joint ses efforts aux nôtres ; car l'unité des peuples se révèle en tout. L'Afrique importe à l'univers. Une telle suppression de mouvement et de circulation entrave la vie universelle, et la marche humaine ne peut s'accomoder plus longtemps d'un cinquième du globe paralysé.
          De hardis pionniers se sont risqués, et, dès leurs premiers pas, ce sol étrange est apparu réel ; ces paysages lunaires deviennent des paysages terrestres.La France est prête à y apporter une mer. Cette Afrique farouche n'a que deux aspects : peuplée, c'est la barbarie ; déserte, c'est la sauvagerie (...).
          Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme ; au vingtième siècle, l'Europe fera de l'Afrique un monde. (Applaudissements)
         
          Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation, tel est le problème. L'Europe le résoudra.

          Allez, Peuples ! emparez-vous de cette terre. Prenez là. A qui ? à personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l'industrie; non pour la conquête, mais pour la fraternité.(applaudissements prolongés).
          Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes; croissez, cultivez, colonisez, multipliez."

        Puisées dans le même tonneau, voir aussi les conceptions de Pierre Larousse  ou de  Jules Ferry.


Délire nationaliste après la guerre de 1870

La haine nationale française est la seule au monde qui soit légitime :

          " Ajournement de toutes les fraternités ; où il y avait l'espérance, il y a la menace ; on a devant soi une série de catastrophes qui s'engendrent les unes les autres et qu'il est impossible de pas épuiser ; il faudra aller jusqu'au bout de la chaîne. (...)
      Tout ce qui a été fait doit être défait. Nécessité funeste. Il y a entre l'avenir et nous une interposition fatale. On ne peut plus entrevoir la paix qu'à travers un choc et au-delà d'un inexorable combat. La paix, hélas, c'est toujours l'avenir, mais ce n'est plus le présent. Toute la situation actuelle est une sombre et sourde haine.
          Haine du soufflet reçu.
         Qui a été souffleté ? Le monde entier. La France frappée à la face, c'est la rougeur au front de tous les peuples. C'est l'affront fait à la mère. De là la haine. (...)
          La France a été diminuée. A cette heure, elle a une double plaie, plaie au territoire, plaie à l'honneur. Elle ne peut en rester là. On ne garde pas Sedan. On ne se rendort pas là-dessus.(...)
          La France a droit à l'Alsace et à la Lorraine. Pourquoi ? Parce que l'Alsace et la Lorraine ont droit à la France. Parce que les peuples ont droit à la lumière et non à la nuit. (...)
          Le monde ne peut accepter la diminution de la France. La solidarité des peuples, qui eut fait la paix, fera la guerre. La France est une sorte de propriété humaine. Elle appartient à tous, comme autrefois Rome, comme autrefois Athènes. On ne saurait trop insister sur ces réalités. "

(Lettre du 4 septembre 1871 aux membres du Congrès de la paix, Genève)

(Pour Victor Hugo, le devoir de mémoire est un devoir de haine )

" ...Mais vous comptez en vain, voleurs de ma Lorraine,
Sur mon peu de mémoire et sur mon peu de haine,
Je suis un, je suis Tous, et ce que je vous dis
Tous les coeurs furieux vous le disent, bandits !
Non, nous n'oublierons pas ! Lorraine, Alsace, ô villes
O chers français, pays sacrés, soyez tranquilles,
Nous ne tarderons point. Le glaive est prêt déjà
Que Judith pâle au flanc d'Holopherne plongea.
Eternel souvenir ! Guerre ! Guerre ! Vengeance !
(Poème Alsace et Lorraine, dans Toute la Lyre / La corde d'airain)

Le peuple élu :

          " La France démembrée est une calamité humaine. La France n'est pas à la France, elle est au monde ; pour que la croissance humaine soit normale, il faut que la France soit entière ; une province qui manque à la France, c'est une force qui manque au progrès, c'est un organe qui manque au genre humain ; c'est pourquoi la France ne peut rien concéder de la France. Sa mutilation mutile la civilisation "
(Lettre au Congrès de la paix, septembre 1875)

         " Subis ton élargissement fatal et sublime, ô ma patrie, et de même qu’Athènes est devenue la Grèce, de même que Rome est devenue la chrétienté, toi, France, deviens le monde "
(Paris)

“ Rendons-nous compte que la France n’est pas une patrie comme une autre ; qu’elle est le moteur du progrès, l’organisme de la civilisation, le pilier de l’ensemble humain et que, lorsqu’elle fléchit, tout s’écroule."
(Lettre aux rédacteurs du Rappel. 31 octobre 1871)

Le Parisien n'est pas un homme comme les autres :

" les peuples unanimes reconnaissent Paris comme le chef-lieu du genre humain "
(Discours aux délégués des communes, le 16 janvier 1876)

           " Hommes de Paris, c'est avec une émotion profonde que je vous parle ; Vous êtes les initiateurs du progrès. Vous êtes le peuple des peuples. Après avoir repoussé l'invasion militaire, qui est la barbarie, vous allez accepter chez vous et porter chez les autres l'invasion industrielle, qui est la civilisation. "
(Discours du 16 avril 1976, pour l'exposition de Philadelphie)

          " Lyon est la première de nos villes ; car Paris est autre chose, Paris dépasse les proportions d'une nation ; Lyon est essentiellement la cité française, et Paris est la cité humaine. C'est pourquoi l'assistance que Paris offre à Lyon est un admirable spectacle ; on pourrait dire que Lyon assisté de Paris, c'est la capitale de la France secourue par la capitale du monde. (Bravos) (...)
Ayons une foi absolue dans la patrie. La destinée de la France fait partie de l'avenir humain. Depuis trois siècles la lumière du monde est française. Le monde ne changera pas de flambeau. "
(Discours aux ouvriers lyonnais. 25 mars 1877)


Epilogue :

L'épilogue de ces délires sur l'exception française était prévisible. Victor Hugo adhère à la Ligue des Patriotes de Déroulède, de sinistre mémoire. Le poème suivant, qui fait partie du recueil "L'Année Terrible" (Février, IV), est reparu dans " Le Drapeau " du 3 mars 1883. Il est tout à fait explicite : pour être fraternels, il faut d'abord écraser ses voisins.

" A CEUX QUI REPARLENT DE FRATERNITE
Quand nous serons vainqueurs, nous verrons. Montrons leur,
Jusque là, le dédain qui sied à la douleur.
L'œil âprement baissé convient à la défaite.
Libre, on était apôtre, esclave, on est prophète;
Nous sommes garrottés! Plus de nations sœurs!
Et je prédis l'abîme à nos envahisseurs.
C'est la fierté de ceux qu'on a mis à la chaîne
De n'avoir désormais d'autre abri que la haine.
Aimer les allemands? Cela viendra, le jour
Où par droit de victoire on aura droit d'amour.
La déclaration de paix n'est jamais franche
De ceux qui, terrassés, n'ont pas pris leur revanche;
Attendons notre tour de barrer le chemin.
Mettons les sous nos pieds, puis tendons leur la main,
Je ne puis que saigner tant que la France pleure.
Ne me parlez donc pas de concorde à cette heure;
Une fraternité bégayée à demi
Et trop tôt, fait hausser l'épaule à l'ennemi;
Et l'offre de donner aux rancunes relâche
Qui demain sera digne, aujourd'hui serait lâche. "
Hugo vieux

 Source principale : Oeuvres complètes de Victor Hugo. 19 volumes, Société d'éditions littéraires et artistiques, Librairie Ollenforff, Paris.

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