Nationalisme français et autonomie bretonne

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Bientôt les élections.
Les drapeaux tricolores
s’agitent dans les meetings électoraux. Les appels aux
armes (Aux armes citoyens !)
et à l’unité nationale se multiplient. Nous y
voyons habituellement une ferveur "nationaliste" française. Le Front National transforme cette
ferveur populaire en religion. Mais est-ce vraiment du nationalisme ?
Le leitmotiv de nation française une et
indivisible apparaît en 1789. La Constitution du 3 septembre 1791
le proclame dans son Titre 2, Article 1 : "Le Royaume est un et indivisible".
Ensuite, ce sera la république qui héritera des
caractéristiques d’unité et
d’indivisibilité, que même les atomes ne
revendiquent plus.
Le bouillon d’inculture, qui
réduit la France à un livre d'images,
à la fois pieuses et brutales, est considéré comme d’extrême-droite. Aujourd'hui, la droite ce sont "Les Républicains". Il faudrait plutôt parler d'extrême-républicain pour l'attachement excessif à des mythes du XVIIIe siècle.
En France, au XIXe siècle, les idées
nouvelles, libéralisme et socialisme, ont
été polluées par le mythe républicain,
malgré les épisodes napoléoniens et royaux. Au XXe
siècle, le républicanisme a maintenu son
hégémonie. Au XXI siècle, les fantômes
de Marat ou de Robespierre
plombent toujours le débat. Ceux qui se veulent les
défenseurs du peuple ou de la nation continuent de s'en
réclamer.
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L'origine du nationalisme français
Le nationalisme français devient une doctrine cohérente à partir de la guerre de 1870. La
défaite cuisante face aux Prussiens montre que la France
n’est pas un modèle universel, contrairement aux
sottises que diffusaient Victor Hugo ou Michelet.
Qu’était-ce donc que la France, puisque les
événements ont montré qu’elle ne sera pas le
berceau de l’humanité nouvelle ?
Maurice Barrès
est le penseur de ce nationalisme français essoré par la
défaite. Une partie de sa Lorraine natale a été
cédée à l’empire allemand.
Barrès
théorise
le nationalisme français, au delà des mythes républicains. Il se réfère à la
terre et aux morts. Il en appelle à l'enracinement, face aux
puissances de l'argent et de l'État. Son message
séduit, bien au-delà des conservateurs. Le
poète et militant communiste Aragon n’hésite pas à écrire après la guerre de 39-45 : "le
nationalisme de Barrès est plus proche de ce que je ressens, et
sans doute de ce que ressent aujourd'hui l'avant-garde ouvrière
dans notre pays, que l'internationalisme, disons de M. Guéhenno
: car, comme Barrès, les hommes de notre peuple ne sont pas
disposés à sacrifier ce qui est national, à une
Europe, par exemple, fabriquée par MM. Blum et Churchill, et
financée par M. Marshall. (...)" (Préface d'Aragon au tome II de l'œuvre de Maurice Barrès. Ed. Club de l'honnête homme, Paris, 1965).
Maurice
Barrès comprend ce que peut produire un authentique nationalisme
français. Il remonte bien au-delà de
l’épisode jacobin. Il imagine la France, non pas comme la
dictature bureaucratique de Robespierre, mais
comme un ensemble historique, à la fois vivant et
hétérogène. Cet ensemble ne peut se maintenir que
par une organisation légère et décentralisée. C’est
d’ailleurs ce qu’ont souhaité par la suite le
Général de Gaulle et François Mitterrand. Ils ont
dit, chacun à leur manière, que la France s’est
construite par la centralisation, mais qu’elle ne pourra survivre
que par la décentralisation.
Quelques citations
Dans son ouvrage
"Scènes et doctrines du nationalisme", Barrès dresse les
lignes d’un fédéralisme français.
" … Les conceptions d’autonomie communale et
régionale sont à même de fournir un programme
à un immense parti national et social. Parti national, en ce que la
décentralisation rendrait de la vitalité à la
nation, qui se dessèche et s’atrophie, si la force
toujours s’accumule dans Paris engorgé. Parti social, en
ce que les multiples organismes, libérés de la discipline
uniforme de l’État central, se modifieraient
spontanément d’après leurs besoins et leurs
aptitudes, qui, contrariés par notre formalisme unitaire,
maintiennent une longue crise quand ils pourraient nécessiter un
ordre nouveau. "
"Les assemblées régionales que nous entrevoyons ne sont pas dans notre esprit de simples conseils
généraux à attributions un peu plus
étendues, mais de véritables parlements locaux ."
"La restitution de la souveraineté populaire et le
gouvernement direct, voilà où nous tendons par la
décentralisation."
"Le nécessaire, c’est que les circonscriptions
soient établies sur une base à la fois économiques
et historiques. Economique, pour répondre aux besoins
matériels ; historique, pour répondre aux besoins moraux.
Voyez-vous quelque inconvénient à rétablir les
noms traditionnels ? la Normandie, la Bourgogne, la Lorraine, la
Gascogne, etc., ont une existence aussi légitime que la France."
"Paris a donné à la France la notion d’une
liberté abstraite qu’aucun gouvernement n’a
appliquée. Le droit de s’associer et le droit de
gouverner, voilà les libertés efficaces dont veut user
chaque parcelle du pays."
"La décentralisation comme moyen de transformation
sociale. (…) L’expérimentation, voilà ce que
doivent réclamer tous les Français de bonne foi, et qui
savent ce que c’est qu’une méthode."
Je vous conseille de
lire son chapitre "Notes sur les idées
fédéralistes" (ici, en pdf). Rien à voir avec les discours de Jean Pierre Chevènement, de Florian Philippot, ou autres "citoyens".
L'Etat-nation, une identité meurtrière
En Bretagne, nous savons ce que veut dire nationalisme.
La Bretagne est une nation, pas un État. La France, elle, se veut un
État-nation. Mais elle est d’abord un État, une institution. Ce qui
importe aux "citoyens", c’est la défense de l’état de droit, des institutions républicaines. L’énergie nationale chère à Barrès, l’élément vivant, a disparu.
Nous autres, Bretons,
aimerions trouver en face de nous des nationalistes français de
l’envergure de Maurice Barrès. La discussion serait
passionnante. Mais il faut se rendre à l’évidence.
Même ceux qui se disent nationalistes sont à genoux devant
l'Etat central. Ils redoutent l'enracinement populaire, les petites
patries chères à Maurice Barrès. Ils
prêchent l'impuissance, quand ce n'est pas l'effacement des
régions historiques. L'avenir leur fait peur ; le passé
aussi.
Leur obstination fait
de l’effondrement français, comme de toutes les
sociétés de déracinés, un scénario probable. Nous
devons en tirer les conséquences.
JPLM
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