Marat

Marat (Jean-Paul)

                                                                    L'ami du peuple

          Marat a beaucoup écrit. Comme tous les écrivains prolixes, il a dit tout et son contraire. Les adulateurs trouveront donc toujours dans ses écrits la preuve irréfutable qu'il est comme ils voudraient qu'il soit.
          Toutefois, certains textes sont plus significatifs que d'autres. Ce sont les textes qui sont répétés, et qui finissent par avoir une influence directe sur les événements. Depuis 1789, Marat appelait sans relâche au massacre et à la dictature. Son message trouvait de l'écho chez les sans-culottes parisiens, qui craignaient d'être appauvris par les spéculateurs et affamés par la province.

           Au fur et à mesure que s'amplifiait la crainte des dangers intérieurs et extérieurs, que la gabegie se faisait cruellement visible et que l'assemblée ne semblait plus maîtriser les événements, les fantasmes de Marat devinrent crédibles, et utiles au pouvoir en place. Il fut élu député de Paris en 1792. " Mettre la terreur à l'ordre du jour " était son idée, reprise par la Commune de Paris, puis par Barère. Elle sera réalisée par le Comité de Salut public à partir de septembre 1793.
          Marat ne verra pas la Terreur, qu'il avait tant appelé de ses vœux. Il sera assassiné le 13 juillet 1793. Sa gloire posthume fut éclatante, mais brève. De nombreuses manifestations eurent lieu en son honneur. Cinquante huit localités changèrent leur nom en celui de Marat. Le 21 septembre 1794, son corps fut transféré au Panthéon. Mais, après la Terreur, il n'était plus un modèle républicain. Son cercueil fut expulsé du Panthéon par décret du 8 février 1795, et ses statues jetées dans les égouts.
Au XXème siècle, " Marat " fut un prénom à la mode en Asie soviétique.

          Le texte qui suit est celui du discours du 25 septembre 1792 à la Convention, où Marat justifie sa position sur les bienfaits de la dictature et les délires sanguinaires. Comme tous les dictateurs, il voit des ennemis partout et  exprime, comme des vérités établies, des visions apocalyptiques (" cent mille patriotes égorgés, cent mille menacés de l'être ").

          " Je crois être le premier écrivain politique et peut-être le seul en France depuis la Révolution qui ait proposé un dictateur, un tribun militaire, des triumvirs, comme le seul moyen d'écraser les traîtres et les conspirateurs. Si cette opinion est répréhensible, je suis seul coupable ; si elle est criminelle, c'est sur ma tête seule que vous devez appeler les vengeances de la nation. Je m'offre donc moi-même comme une victime dévouée ; mais avant de me condamner, daignez m'entendre.

          Mes opinions sur le triumvirat et le tribunat sont consignées dans des écrits signés de moi, imprimés et colportés publiquement depuis près de trois ans ; et c'est aujourd'hui qu'on entreprend de les métamorphoser en crime de lèse-nation ! ...

          Eh quoi ! Des opinions avouées hautement et soumises à l'examen des lecteurs, peuvent-elles donc être regardées comme des délits ? Non, sans doute ; fussent-elles fausses, elles ne seraient jamais que de simples erreurs ; fussent-elles extravagantes, leur auteur ne passerait jamais que pour un aveugle et un insensé. C'est dans les ténèbres que se cachent les traîtres, que se trament les complots, et jamais machinateur ne prêcha sa doctrine sur les toits. J'ai soumis mes opinions à l'examen du public ; si elles sont dangereuses, c'est en les combattant par des raisons solides, et non en me vouant à l'anathème, que mes ennemis devaient les proscrire  ; c'est en les réfutant, et non en levant sur ma tête le glaive de la tyrannie, qu'ils devaient en détruire la funeste influence.

          Au demeurant, Messieurs, que me reprochez-vous ? Lorsque les trahisons éternelles d'une cour perfide et de ses créatures, lorsque les complots sans cesse renaissants des ennemis de la Révolution, lorsque les trames sanguinaires des suppôts du despotisme menaçaient la liberté ; lorsque les infidèles représentants du peuple, les iniques dépositaires de l'autorité, les indignes ministres des lois, conjurés avec un prince atroce, conduisaient la patrie sur les bords de l'abîme ; lorsque les législateurs vendus, prostituant leur ministère auguste à faire des lois tyranniques, enchaînaient le peuple pour l'égorger ; lorsque les fonctionnaires publics n'étaient occupés qu'à favoriser les traîtres ; lorsque les magistrats couvraient de l'égide sacrée de la justice les ennemis de l'Etat, tandis qu'ils égorgeaient avec le glaive de la tyrannie les amis de la patrie, les défenseurs de la liberté ; lorsque, par les attentats concertés de ces scélérats, la patrie était prête à périr, qui de vous, Messieurs, eût osé me faire un crime d'avoir, dans les transes de mon désespoir, appelé sur leurs têtes criminelles la hache des vengeances populaires ? Qui de vous osera me faire un crime d'avoir recommandé le seul moyen de salut public qui nous fût laissé ?

           Le peuple, sans obéir à ma voix, a eu le bon sens de sentir que c'était effectivement là toute sa ressource, il l'a employée plusieurs fois pour s'empêcher de périr. Ce sont les scènes sanglantes des 14 juillet, 6 octobre, 10 août, 2 septembre qui ont sauvé la France : que n'ont-elles été dirigées par des mains habiles !
Redoutant moi-même ces terribles mouvements d'une multitude effrénée, désolé de voir la hache frapper indistinctement tous les coupables et confondre les petits délinquants avec les grands scélérats, désirant la diriger sur la seule tête des principaux contre-révolutionnaires, j'ai cherché à soumettre ces mouvements terribles et désordonnés à la sagesse d'un chef, à la fois patriote intègre et homme d'Etat, qui aurait recherché et mis à mort les principaux conspirateurs, pour couper d'un seul coup le fil à toutes les machinations, épargner le sang, ramener le calme et cimenter la liberté.

           Suivez mes écrits, c'est dans cette vue que j'ai demandé que le peuple se nommât un dictateur, un tribun militaire. Pour prévenir les abus et les dangers d'une pareille mission, j'ai recommandé qu'elle fut restreinte au pouvoir de punir capitalement les chefs des machinateurs, que la durée en fût limitée à quelques jours, et que le citoyen jugé digne de la remplir fût en quelque sorte enchaîné par le pied à un boulet, afin qu'il fût lui-même à chaque instant, sous la main du peuple, au cas qu'il vînt à oublier ses devoirs.
Si cette mesure salutaire eût été employée immédiatement après la prise de la Bastille, que de désastres eussent été prévenus ! Si, comme je le demandais, on eût alors fait tomber cinq cents têtes traîtresses, cent mille patriotes n'auraient pas été égorgés, cent milles patriotes ne seraient pas menacés de l'être, l'Etat n'eût pas été si longtemps déchiré par des factions, bouleversé par des séditions, livré aux troubles, à l'anarchie, à la misère, à la famine, à la guerre civile ; il n'eût pas été menacé de devenir la proie des hordes barbares de tant de despotes ligués !
          Les penseurs, Messieurs, sentiront toute la justice de cette mesure. Si sur cet article vous n'êtes pas à ma hauteur, tant pis pour vous ! ... Des flots de sang vous feront un jour sentir votre erreur et vous déplorerez avec amertume votre fatale sécurité. "


Mort de Marat
 "La mort de Marat",
tableau du peintre norvégien Edvard Munch


Source: "Journal officiel de la Convention Nationale - La Convention Nationale (1792-1793), Procès-verbaux officiels des séances depuis le 21 septembre 1792 ".

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ContreCulture / Marat version 1.0