Gambetta2

Le programme de Belleville





Pendant longtemps, on a défini les républicains comme "ceux qui reconnaissent sans conditions la République telle que l'a définie Gambetta dans son programme de Belleville " (R. Soltau, La politique et les partis en France 1871-1921. Londres 1921 p 68)

Texte du programme de Belleville


          " Au nom du suffrage universel, base de toute organisation politique et sociale, donnons mandat à notre député d'affirmer les principes de la démocratie radicale et de revendiquer énergiquement :

       l'application la plus radicale du suffrage universel, tant pour l'élection des maires et conseillers municipaux, sans distinction de localité, que pour l'élection des députés ;

           la répartition des circonscriptions effectuée sur le nombre réel des électeurs de droit, et non sur le nombre des électeurs inscrits ;

         la liberté individuelle désormais placée sous l'égide des lois, et non soumise au bon plaisir et à l'arbitraire administratifs ;

            l'abrogation de la loi de sûreté générale ;

        la suppression de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII et la responsabilité directe de tous les fonctionnaires ;

            les délits politiques de tout ordre déférés au jury ;

            la liberté de la presse dans toute sa plénitude, débarrassée du timbre et du cautionnement ;

            la suppression des brevets d'imprimerie et de librairie ;

          la liberté de réunion sans entraves et sans pièges, avec la faculté de discuter toute matière religieuse, philosophique, politique et sociale ;

          l'abrogation de l'article 291 du code pénal ;

          la liberté d'association pleine et entière ;

          la suppression du budget des cultes et la séparation des églises et de l'Etat ;

       l'instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire, avec concours entre les intelligence d'élites pour l'admission aux cours supérieurs, également gratuits ;

          la suppression des octrois, la suppression des gros traitements et des cumuls, et la modification de notre système d'impôts ;

          la nomination de tous les fonctionnaires publics par l'élection ;

          la suppression des armées permanentes, cause de ruine pour les finances et les affaires de la nation, source de haine entre les peuples et de défiance à l'intérieur ;

          l'abolition des privilèges et monopoles, que nous définissons par ces mots " prime à l'oisiveté " ;

          les réformes économiques, qui touchent au problème social, dont la solution, quoique subordonnée à la transformation politique, doit être constamment étudiée et recherchée au nom du principe de justice et d'égalité sociale. Ce principe généralisé et appliqué peut seul, en effet, faire disparaître l'antagonisme social et réaliser complètement notre formule : " liberté, égalité, fraternité ".

Le programme de Belleville, mythe républicain, a beaucoup vieilli.

1 - Le programme revendique le contrôle populaire sur tous les titulaires d'une fonction publique : non seulement les élus, mais aussi les fonctionnaires. Le socialisme réel, dans les pays communistes, a renversé le sens du contrôle, qui est devenu le contrôle de l'État sur le peuple. En France, l'idée que les fonctionnaires soient élus ou doivent rendre des comptes aux administrés est depuis bien longtemps devenue inacceptable.

2 - Refus des armées permanentes : Gambetta lui-même a rejeté cet article quelques mois après avoir signé le programme. La fin du service militaire en France a été votée en 1996 et 1997 (loi du 28 octobre).

3 - L'abolition des statuts spéciaux, en particulier ceux des différents corps de la fonction publique, n'est pas une revendication citoyenne. C'est un complot de la droite.

Une arnaque électorale

          Aux élections de mai 1869, pour être élu député de Paris (première circonscription) contre le candidat d'extrême gauche Carnot, Gambetta avait demandé au Comité républicain d'écrire un programme auquel le " vrai " candidat républicain devait souscrire. C'est le " mandat de Belleville ". Bon prince, le candidat l'écrivit sans doute en grande partie. Cette manœuvre a permis, d'abord de berner de Comité Républicain de Belleville, ensuite les électeurs.

Lettre aux membres du Comité Républicain de Belleville, 28 mars 1869 :

          (...) " Je me prononce pour la cause la plus juste, la vôtre, et je me considère comme votre homme à la vie et à la mort. Nous vaincrons ou nous succomberons ensemble, c'est le serment qui doit nous lier les uns aux autres et pour toujours. Quoiqu'il arrive, nous aurons combattu le bon combat, et ayez confiance en moi pour conduire rudement, ardemment la campagne.
          Aussitôt de retour à Paris (1), je viendrai m'installer parmi vous et je vous soumettrai les plans et les projets que j'ai préparés ici, dans le silence forcé que m'impose la maladie.
Ayez donc encore patience quelques jours ; affirmez hautement et partout que j'accepte définitivement, imperturbablement.
          Organisez des comités sur tous les points de la circonscription, par sections.
          Réunissez (afin de produire un grand effet) un millier de signatures.
      Offrez-moi publiquement la candidature afin que je puisse vous adresser une réponse également publique, dans laquelle j'exposerai des raisons de nature peut-être à faire reculer nos adversaires.
          Préparez ces signatures, et attendez mon prochain retour.
          Comptez sur moi comme je compte sur vous et vos amis et Ça Ira comme disaient nos pères.
          Salut et Fraternité
         
          L. Gambetta


"Réponse au cahier de mes électeurs"  (Réponse de Gambetta)

          " Ce mandat, je l'accepte.
          A ces conditions, je serai particulièrement fier de vous représenter parce que cette élection se sera faite conformément aux véritables principes du suffrage universel :
          Les électeurs auront librement choisi leur candidat.
          Les électeurs auront déterminé le programme politique de leur mandataire. Cette méthode me paraît à la fois conforme au droit et à la tradition des premiers jours de la Révolution française.
          Donc j'adhère librement à mon tour à la déclaration de principe et à la revendication des droits dont vous me donnez commission de poursuivre la réclamation à la tribune.
          Comme vous je pense qu'il n'y a d'autre souverain que le peuple et que le suffrage universel, instrument de souveraineté, n'a de valeur, n'oblige et ne fonde qu'à la condition d'être radicalement libre.
          La plus urgente des réformes doit donc être de l'affranchir de toute tutelle, de toute entrave, de toute pression, de toute corruption.
          Comme vous, je pense que le suffrage universel, une fois maître, suffirait à opérer toutes les destructions que réclame votre programme et à fonder toutes les libertés, toutes les institutions dont nous poursuivons l'avènement.
          Comme vous, je pense que la France, siège d'une démocratie indestructible, ne rencontrera la liberté, la paix, l'ordre, la justice, la prospérité matérielle et la grandeur morale que dans le triomphe des principes de la Révolution française.
          Comme vous, je pense qu'une démocratie régulière et loyale est, par excellence, le système politique qui réalise le plus promptement et le plus sûrement l'émancipation morale et matérielle du plus grand nombre et assure au mieux l'égalité sociale dans les lois, dans les faits et dans les mœurs.
          Mais, comme vous aussi, j'estime que la série progressive de ces réformes sociales dépend absolument du régime et de la réforme politiques et c'est pour moi un axiome en ces matières que la forme emporte et résout le fond.
          C'est d'ailleurs cet enchaînement et cette gradation que nos pères avaient marqués et fixés dans la profonde et complète devise en dehors de laquelle il n'y a pas de salut : Liberté, Egalité, Fraternité. Nous voilà donc réciproquement d'accord. Notre contrat est complet. Je suis à la fois votre mandataire et votre dépositaire.

          Je fais plus que consentir. Voici mon serment : Je jure obéissance au présent contrat et fidélité au peuple souverain "

            Une fois élu, à la fois à Belleville et à Marseille,
Gambetta choisit de représenter Marseille et laisse tomber Belleville.




          Le 15 novembre de la même année, le grand homme signe un manifeste diamétralement contraire au serment juré à ses électeurs :

" On a essayé de réhabiliter la théorie du mandat impératif, on a répété que le député, mandataire de ses électeurs, leur restait incessamment subordonné, et qu'il devait les consulter sur ses desseins et sur ses votes. On a même ajouté qu'il leur était justiciable ; que cité devant eux, il pouvait y être jugé et condamné.

Les députés soussignés repoussent cette prétention comme fausse et dangereuse. Ils sont décidés à la combattre résolument. Le mandat impératif fausserait radicalement le suffrage universel en livrant l'élu, c'est-à-dire la majorité des électeurs, à la merci d'une minorité. "


(1) Gambetta est à Cahors, sa ville natale pour se soigner. En plus de Paris, il est candidat à Marseille où il ira faire campagne. Après l'élection, il ira se faire soigner à Ems, en Allemagne. (retour au texte)


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ContreCulture / Belleville version 1.0