France Libre et empire colonial

La "France Libre", mythe fondateur de la République Française d'après-guerre, ne s'est pas constituée au nom de la démocratie ou des droits de l'homme. Elle s'est constituée au nom de la défense de l'empire.

            Aucun enregistrement n'a été conservé de l'appel du 18 juin 1940, lancé par le général de Gaulle à la radio anglaise. Le 22 juin, le général lance un second appel, où il utilise pour la première fois l'expression " France libre " et mentionne l'Empire français.
L'appel de Brazzaville du 27 octobre 1940 sera plus explicite. Le Général de Gaulle crée le " Conseil de Défense de l'Empire ".

            Le souci de défendre l'Empire restera présent dans les proclamations gaullistes pendant toute la guerre. La différence faite entre le " peuple " et " l'empire ", entre les " Français " et les " sujets français " est remarquable, et significative de ce que signifie réellement " France Libre ".

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Appel du 22 juin 1940, radio de Londres

           "  Le Gouvernement français, après avoir demandé l'armistice, connaît maintenant les conditions dictées par l'ennemi.
            Il résulte de ces conditions que les forces françaises de terre, de mer et de l'air seraient entièrement démobilisées, que nos armes seraient livrées, que le territoire français serait occupé et que le Gouvernement français tomberait sous la dépendance de l'Allemagne et de l'Italie.
              On peut donc dire que cet armistice serait, non seulement une capitulation, mais encore un asservissement.
             Or, beaucoup de Français n'acceptent pas la capitulation ni la servitude, pour des raisons qui s'appellent l'honneur, le bons sens, l'intérêt supérieur de la Patrie.
            Je dis l'honneur ! Car la France s'est engagée à ne déposer les armes que d'accord avec les Alliés. Tant que ses Alliés continuent la guerre, son gouvernement n'a pas le droit de se rendre à l'ennemi. Le Gouvernement polonais, le Gouvernement norvégien, le Gouvernement belge, le Gouvernement hollandais, le Gouvernement luxembourgeois, quoique chassés de leur territoire, ont compris ainsi leur devoir.

            Je dis le bon sens ! Car il est absurde de considérer la lutte comme perdue. Oui, nous avons subi une grande défaite. Un système militaire mauvais, les fautes commises dans la conduite des opérations, l'esprit d'abandon du Gouvernement pendant ces derniers combats, nous ont fait perdre la bataille de France. Mais il nous reste un vaste Empire, une flotte intacte, beaucoup d'or. Il nous reste des alliés, dont les ressources sont immenses et qui dominent les mers. Il nous reste les gigantesques possibilités de l'industrie américaine. Les mêmes conditions de la guerre qui nous ont fait battre par 5 000 avions et 6 000 chars peuvent donner, demain, la victoire par 20 000 chars et 20 000 avions.

            Je dis l'intérêt supérieur de la Patrie ! Car cette guerre n'est pas une guerre franco-allemande qu'une bataille puisse décider. Cette guerre est une guerre mondiale. Nul ne peut prévoir si les peuples qui sont neutres aujourd'hui le resteront demain, ni si les alliés de l'Allemagne resteront toujours ses alliés. Si les forces de la liberté triomphaient finalement de celles de la servitude, quel serait le destin d'une France qui se serait soumise à l'ennemi ?

            L'honneur, le bon sens, l'intérêt de la Patrie, commandent à tous les Français libres de continuer le combat, là où ils seront et comme ils pourront.
            Il est, par conséquent, nécessaire de grouper partout où cela se peut une force française aussi grande que possible. Tout ce qui peut être réuni, en fait d'éléments militaires français et de capacités françaises de production d'armement, doit être organisé partout où il y en a.

            Moi, Général de Gaulle, j'entreprends ici, en Angleterre, cette tâche nationale.
         J'invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l'air, j'invite les ingénieurs et les ouvriers français spécialistes de l'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient y parvenir, a se réunir a moi.
        J'invite les chefs et les soldats, les marins, les aviateurs des forces françaises de terre, de mer, de l'air, où qu'ils se trouvent actuellement, à se mettre en rapport avec moi.

            J'invite tous les Français qui veulent rester libres à m'écouter et à me suivre.
            Vive la France libre dans l'honneur et dans l'indépendance ! "



Manifeste de Brazzaville, 27 octobre 1940

          La France traverse la plus terrible crise de son histoire. Ses frontières, son empire, son indépendance et jusqu'à son âme sont menacés de destruction.
          Cédant à une panique inexcusable, des dirigeants de rencontre ont accepté et subissent la loi de l'ennemi. Cependant d'innombrables preuves montrent que le peuple et l'Empire n'acceptent pas l'horrible servitude. Des millions de Français ou de sujets français ont décidé de continuer la guerre jusqu'à la libération. Des millions et des millions d'autres n'attendent pour le faire que de trouver des chefs dignes de ce nom.
          Or, il n'existe plus de gouvernement proprement français. En effet, l'organisme sis à Vichy, et qui prétend porter ce nom est inconstitutionnel et soumis à l'envahisseur. Dans son état de servitude, cet organisme ne peut être, et n'est en effet, qu'un instrument utilisé par les ennemis de la France contre l'honneur et l'intérêt du pays. Il faut donc qu'un pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre. Les événement m'imposent ce devoir sacré. Je n'y faillirai pas.

          J'exercerai mes pouvoirs au nom de la France et uniquement pour la défendre et je prends l'engagement solennel de rendre compte de mes actes aux représentants du peuple français dès qu'il lui aura été possible d'en désigner librement.
          J'appelle à la guerre, c'est-à-dire au combat ou au sacrifice, tous les hommes et toutes les femmes des territoires français qui sont ralliés à moi. En union étroite avec nos alliés, qui proclament leur volonté de contribuer à restaurer l'indépendance et la grandeur de la France, il s'agit de défendre contre l'ennemi ou contre ses auxiliaires la partie du patrimoine national que nous détenons, d'attaquer l'ennemi partout où cela sera possible, de mettre en oeuvre toutes nos ressources, militaires, économiques, morales, de maintenir l'ordre public et de faire régner la justice.

          Cette grande tâche, nous l'accomplirons, pour la France dans la conscience de la bien servir et dans la certitude de vaincre.


Ordonnance n° 1,
créant le Conseil de défense de l'Empire
Au nom du Peuple et de l'Empire français,
Nous, général de Gaulle, chef des Français libres,

Ordonnons,

Article premier. Aussi longtemps qu'il n'aura pu être constitué un gouvernement français et une représentation du peuple français réguliers et indépendants de l'ennemi, les pouvoirs publics, dans toutes les parties de l'Empire libérés du contrôle de l'ennemi, seront exercés, sur la base de la législation française antérieure au 23 juin 1940, dans les conditions qui suivent :


Article 2.
Il est institué un Conseil de défense de l'Empire, qui a pour mission de maintenir la fidélité à la France, de veiller à la sécurité extérieure et à la sûreté intérieure, de diriger l'activité économique et de soutenir la cohésion morale des populations des territoires de l'Empire.

Ce Conseil exerce, dans tous les domaines, la conduite générale de la guerre en vue de la libération de la patrie et traite avec les puissances étrangères des questions relatives à la défense des possessions françaises et aux intérêts français.

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Article 3. Les décisions sont prises par le chef des Français libres, après consultation, s'il y a lieu, du Conseil de défense.
Celles de ces décisions qui ont un caractère général, sont arrêtées sous forme d'ordonnances promulguées au Journal officiel de l'Empire et provisoirement au Journal officiel de l'Afrique équatoriale française. Ces ordonnances ont, suivant leur contenu, force de loi ou de décret à partir de la date de leur promulgation.

Article 4. Le Conseil de défense pourvoira à la constitution des corps qui exerceront les attributions de juridiction normalement dévolues au Conseil d'État, à la Cour de cassation et, éventuellement, à la Haute Cour de justice.

Article 5. Les pouvoirs administratifs normalement dévolus aux ministres sont exercés par des directeurs de services nommés par le chef des Français libres.

Article 6. Le siège du Conseil de défense est placé où il convient pour exercer la direction de la guerre dans les meilleures conditions.

Article 7.
Toutes dispositions contraires à la présente ordonnance sont abrogées.

Article 8.
La présente ordonnance sera promulguée au Journal officiel de l'Empire et, provisoirement, au Journal officiel de l'Afrique équatoriale française.


Fait à Brazzaville, le 27 octobre 1940
Charles de Gaulle.



Ordonnance du 24 septembre 1941,
créant le Comité national français

De Gaulle colonial         Au nom du Peuple et de l'Empire français,
        Nous, général de Gaulle, chef des Français libres,
        Ordonnons,

        Vu nos ordonnances des 27 octobre et 12 novembre 1940, ensemble notre déclaration organique du 16 novembre 1940 ;
     Considérant que la situation résultant de l'état de guerre continue à empêcher toute réunion et toute expression libre de la représentation nationale ;
          Considérant que la Constitution et les lois de la République française ont été et demeurent violées sur tout le territoire métropolitain et dans l'Empire, tant par l'action de l'ennemi que par l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui ;
           Considérant que de multiples preuves établissent que l'immense majorité de la Nation française, loin d'accepter un régime imposé par la violence et la trahison, voit dans l'autorité de la France libre l'expression de ses voeux et de ses volontés ;
            Considérant qu'en raison de l'importance croissante des territoires de l'Empire français et des territoires sous mandat français ainsi que des forces armées françaises qui se sont ralliées à nous pour continuer la guerre aux côtés des alliés contre l'envahisseur de la Patrie, il importe que les autorités de la France libre soient mises en mesure d'exercer, en fait et à titre provisoire, les attributions normales des pouvoirs publics ;

          Ordonnons :
Article premier. En raison des circonstances de la guerre et jusqu'à ce qu'ait pu être constituée une représentation du peuple français en mesure d'exprimer la volonté nationale d'une manière indépendante de l'ennemi, l'exercice provisoire des pouvoirs publics sera assuré dans les conditions fixées par la présente ordonnance.

Article 2. Il est institué un Comité national composé de commissaires nommés par décret. Le général de Gaulle, chef des Français libres, est président du Comité national.

Article 3. A partir de la première réunion du Comité national, l'exercice des pouvoirs publics sera soumis aux règles suivantes :

Les dispositions de nature législative feront l'objet d'ordonnances délibérées en Comité national, signées et promulguées par le chef des Français libres, président du Comité national, contresignées et certifiées conformes par l'un ou plusieurs des commissaires nationaux. Ces ordonnances seront obligatoirement, et dès que possible, soumises à la ratification de la représentation nationale.
Les dispositions de nature réglementaire feront l'objet de décrets rendus par le chef des Français libres, président du Comité national, sur la proposition ou le rapport de l'un ou de plusieurs des commissaires nationaux et contresignés par ce ou ces commissaires nationaux.

Article 4. Les traités internationaux et conventions internationales, normalement soumis en vertu de la Constitution à l'approbation des chambres, entreront en vigueur dès ratification par ordonnance rendue dans les conditions visées à l'article précédent.


Article 5. Les commissaires nationaux, membres du Comité national, exercent toutes les attributions, individuelles ou collégiales, normalement dévolues aux ministres français.

La compétence et les limites de chaque département administratif seront déterminées par décret.
L'un des commissaires nationaux est chargé par décret de la coordination générale entre les départements administratifs civils. Il est assisté par un secrétaire général, nommé par décret.
Les commissaires nationaux sont responsables devant le chef des Français libres, président du Comité national.

Article 6. Les représentants diplomatiques des puissances étrangères sont accréditées auprès du chef des Français libres, président du Comité national.

Les représentants de la France libre à l'étranger sont nommés par décret et accrédités par le chef des Français libres, président du Comité national.

Article 7. Le chef des Français libres, président du Comité national, peut, s'il se trouve absent du Comité national, déléguer tout ou partie de ses attributions, en ce qui concerne la signature des décrets et des conventions internationales, non visées à l'article 4 ci-dessus, à un commissaire national délégué par lui comme vice-président du Comité en son absence.


Article 8. Les hauts-commissaires, délégués généraux, gouverneurs généraux et gouverneurs, disposent chacun, dans les limites e leur compétence, et dans le cadre des lois, ordonnances et règlements en vigueur, du pouvoir d'édicter toute mesure générale ou individuelle d'application e ces lois, ordonnances ou règlements, par arrêtés.


Article 9. Il sera pourvu ultérieurement, par ordonnance, à la constitution d'une Assemblée consultative, destinée à fournir au Comité national une expression, aussi large que possible, de l'opinion nationale.


Article 10. Le Conseil de défense de l'Empire français, institué en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 1, du 27 octobre 1940, est présidé par le chef des Français libres, président du Comité national.

La composition de ce Conseil est fixée par décret.
Il émet des avis consultatifs sur les questions relatives à la défense des territoires de l'Empire et à la participation des dits territoires à l'action de guerre. Ces avis font l'objet de consultations écrites ou télégraphiées soit collectives, à l'instigation du chef des Français libres, soit individuelles à l'initiative des membres du Conseil.

Article 11. Le siège du Comité national est fixé par le chef des Français libres, président du Comité national, là où il convient, pour assurer dans les meilleures conditions l'exercice des pouvoirs publics et la direction générale de la guerre.


Article 12. Sont abrogés les articles 2,4,5 et 6 de l'ordonnance n° 1 et l'ordonnance n° 2 du 27 octobre 1940, l'ordonnance n° 5 et les articles 2 et 3 de l'ordonnance n° 6, du 12 novembre 1940, et d'une manière générale toutes dispositions législatives et réglementaires contraires à la présente ordonnance.


Article 13. La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de la France libre.


Fait à Londres, le 24 septembre 1941.
Charles de Gaulle.



DISCOURS DE BRAZZAVILLE (30 janvier 1944)

          " Depuis un demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de centaines d'années, sous l'impulsion des gouvernements de la République et sous la conduite d'hommes tels que Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy, Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire, douloureuse et imperméable.

          Ce qui a été fait par nous pour le développement des richesses et pour le bien des hommes, à mesure de cette marche en avant, il n'est, pour le discerner, que de parcourir nos territoires et, pour le reconnaître, que d'avoir du cœur. Mais, de même qu'un rocher lancé sur une pente roule plus vite à chaque instant, ainsi l'œuvre que nous avons entreprise ici nous impose sans cesse de plus larges tâches. Au moment où commençait la présente guerre mondiale, apparaissait déjà la nécessité d'établir sur des bases nouvelles les conditions de la mise en valeur de notre Afrique, du progrès humain de ses habitants et l'exercice de la souveraineté française.
           Comme toujours, la guerre elle-même précipite l'évolution. D'abord par le fait qu'elle fut, jusqu'à ce jour, pour une bonne part, une guerre africaine et que, du même coup, l'importance absolue et relative des ressources, des communications, des contingents d'Afrique, est apparue dans la lumière crue des théâtres d'opérations. Mais ensuite et surtout parce que cette guerre a pour enjeu ni plus ni moins que la condition de l'homme et que, sous l'action des forces psychiques qu'elle a partout déclenchées, chaque individu lève la tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son destin.

          S'il est une puissance impériale que les événements conduisent à s'inspirer de leurs leçons et à choisir noblement, libéralement, la route des temps nouveaux, où elle entend diriger les soixante millions d'hommes qui se trouvent associés au sort de ses quarante-deux millions d'enfants, cette puissance, c'est la France.
          En premier lieu parce qu'elle est la France, c'est-à-dire la nation dont l'immortel génie est désigné pour les initiatives qui, par degrés, élèvent les hommes vers les sommets de dignité et de fraternité où, quelque jour, tous pourront s'unir. Ensuite parce que, dans l'extrémité où une défaite provisoire l'avait refoulée, c'est dans ses terres d'outre-mer, dont toutes les populations, dans toutes les parties du monde, n'ont pas, une seule minute, altéré leur fidélité, qu'elle a trouvé son recours et la base de départ pour sa libération, et qu'il y a désormais, de ce fait, entre la Métropole et l'Empire, un lien définitif. Enfin, pour cette raison que, tirant à mesure du drame les conclusions qu'il comporte, la France est aujourd'hui animée, pour ce qui la concerne elle-même et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent d'elle, d'une volonté ardente et pratique de renouveau.

          Est-ce à dire que la France veuille poursuivre sa tâche d'outre-mer en enfermant ses territoires dans des barrières qui les isoleraient du monde, et d'abord, de l'ensemble des contrées africaines ? Non, certes ! et pour le prouver, il n'est que d'évoquer comment, dans cette guerre, l'Afrique Equatoriale et le Cameroun français n'ont cessé de collaborer de la façon le plus étroite avec les territoires voisins, Congo belge, Nigeria britannique, Soudan anglo-égyptien, et comment, à l'heure qu'il est, l'Empire français tout entier, à l'exception momentanée de l'Indochine, contribue, dans d'importantes proportions, par ses positions stratégiques, ses voies de communication, sa production, ses bases aériennes, sans préjudice de ses effectifs militaires, à l'effort commun des Alliés. Nous croyons que, pour ce qui concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en particulier, qu'au point de vue du développement des ressources et des grandes communications, le continent africain doit constituer, dans une large mesure, un tout. Mais en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi. "

           Pour la suite, voir l'étude Libérations

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