Combes (Émile)

Mythe de l'égalité laïque


Emile Combes est un des héros de la laïcité française,
que l'on ramène faussement à des concepts d'égalité et d'impartialité.
Combes

           Notre homme n'était pas un imbécile : il était docteur en théologie. Il abandonna la carrière ecclésiastique à laquelle il se destinait d'abord, pour les cieux plus purs de la politique française.
          Radical, il fut président du Sénat (1894-1895), ministre de l'Instruction publique (1895-1896) et président du Conseil (équivalent du Premier ministre) du 1er juin 1902 au 24 janvier 1905, avec en même temps la responsabilité du ministère de l'intérieur et des Cultes.

L'inégalité laïque

         Dès le 20 juin 1902, Emile Combes envoie une circulaire aux préfets pour mettre en place la discrimination administrative pour délit d'opinion.

        " Monsieur le Préfet,
          Le suffrage universel vient de se prononcer une fois de plus et d'une façon particulièrement éclatante en faveur du maintien et du développement de nos institutions républicaines, et le Cabinet que j'ai l'honneur de présider a le devoir et la ferme volonté de suivre ses indications.
          Pour mener à bien l'œuvre démocratique, si heureusement inaugurée par le précédent ministère, j'ai besoin de votre concours le plus loyal et le plus résolu, et de celui de tous les fonctionnaires qui détiennent une parcelle quelconque de la puissance publique.
Vous êtes dans votre département, Monsieur le Préfet, le représentant du pouvoir central et le délégué de tous les ministres. A ce titre, il vous appartient d'exercer, sous votre responsabilité, une action politique sur tous les services publics : leurs chefs, s'ils jouissent d'une certaine autonomie, en ce qui concerne la tractation des affaires administratives, et relèvent, à ce point de vue, de leurs supérieurs hiérarchiques, ne sauraient oublier qu'ils ont l'obligation stricte de se conformer à votre direction politique.
          Votre autorité sur eux sera d'autant plus efficace que, vous conformant vous-même aux principes dont s'inspire le Gouvernement, votre attitude sera nettement et résolument républicaine et que tous vos actes tendront à reconnaître la confiance qu'il a placée en vous.
          Je crois devoir ajouter que si, dans votre administration, vous devez la justice à tous, sans distinction d'opinion ou de parti, votre devoir vous commande de réserver les faveurs dont vous disposez seulement à ceux de vos administrés qui ont donné des preuves non équivoques de fidélité aux institutions républicaines.
          Je me suis mis d'accord avec mes collègues du cabinet pour qu'aucune nomination, qu'aucun avancement de fonctionnaire appartenant à votre département ne se produise sans que vous ayez été au préalable consulté.
          J'ai la confiance, monsieur le Préfet, que vous ne perdrez pas de vue ces recommandations. Au surplus, le Gouvernement ne saurait tolérer ni la moindre hésitation, ni la moindre défaillance de la part des fonctionnaires auxquels il délègue son autorité, et dont le premier devoir est l'attachement absolu à la République.
          Veuillez m'accuser réception de la présente circulaire. "

On pourrait en faire une maxime de la laïcité française :
 "l'obéissance prime la compétence"


La loi du plus fort

          Conformément à la loi de 1901 sur les associations, les congrégations religieuses doivent déposer une demande d'autorisation pour avoir une existence légale. Légalement, ces demandes doivent être examinées individuellement par le Parlement.
          Mais la loi, sous l'autorité du " petit père Combes ", est la loi du plus fort. Les demandes formulées par les congrégations religieuses sont rejetées collectivement et sans examen.
          Dans la foulée, Emile Combes ordonne la fermeture d'environ 3000 écoles catholiques, fondées après ou avant la loi de 1901. En 1903 est promulguée une loi interdisant l'enseignement à toute congrégation religieuse. En quelques mois, notre homme aura fait fermer plus de 15 000 écoles.
          L'histoire ne retient pas les efforts faits pour re-scolariser tous ces enfants.


L'affaire des fiches

          Les purges et les discriminations combiennes affectent l'administration et l'éducation ; elles affectent aussi l'armée. Officiellement depuis mai 1904, mais sans doute depuis plus longtemps, le général Louis André, de l'état-major du ministre de la guerre, faisait établir des fiches sur les opinions et la vie privée des officiers. Les délateurs portaient en marge : " va à la messe " ; " va à la messe avec un livre ", ou bien " a assisté à la communion de son fils ". Parfois cela se résumait à des abréviations : " VLM " pour " Va à la messe " ; " VLMAL " pour " Va à la messe avec un livre ". De ces fiches dépendaient mutations ou avancements.


          Vingt cinq mille fiches sont ainsi établies par les Francs-Maçons du Grand Orient de France, pour le compte du Ministère. Voilà en quelque sorte une glorieuse première, que l'on doit à la laïcité militante : la délégation d'une mission de service public à une O.N.G.

          Toutefois, le secret s'évente. Un employé des loges, J. Bidegain, les communique au Figaro, qui les publie le 27 octobre 1904. Le général André est giflé en public par un député, Gabriel Syveton. Trente-cinq députés francs-maçons se désolidarisent du ministère Combes. Selon eux, les loges avaient violé les statuts de l'Ordre en travaillant pour un service public. Pour se justifier, le conseil de l'Ordre du Grand-Orient invoqua la nécessité d'épurer l'armée.

           Jean Jaurès soutient le général André, Emile Combes, et le principe de discrimination. Il déclare :
"Oui, je tiens à le dire, c'est une joie pour nous, c'est une satisfaction de conscience pour nous d'avoir maintenu au pouvoir ce Président du Conseil"
             En cours de séance, il prit la défense du général André : "Ce que vous reprochez au Ministre de la guerre, ce que vous ne pouvez lui pardonner c'est d'avoir, depuis quatre années, assumé la tâche difficile de reconstituer dans l'armée l'esprit républicain..."
(M. Auclair. La vie de Jean Jaurès. Le Seuil. 1954)
      Andre
Le général André
           
                Pour justifier l'épuration, on évoqua la crainte d'un complot anti-républicain.
            Les lettres du capitaine Mollin, du Ministère de la guerre, au frère Vadécart du Grand-Orient sont pourtant sans ambiguité. Elles montrent que la discrimination ne se fonde en rien sur la peur d'un complot, mais bel et bien sur l'abus de pouvoir. D'ailleurs, la discrimination concerne aussi les demandes de mutation ou la Légion d'Honneur, ce qui n'a aucun rapport avec la nécessité de déjouer un complot.
           Dès 1878, vingt-cinq ans plus tôt, on savait q'un tel complot était impossible. Huit ans après la proclamation de la Troisième république, Gambetta avait commandé une enquête au Grand-Orient sur les opinions politiques de l'état-major. Celui-ci avait mis à sa disposition les moyens d'investigation de 400 loges. Si la précédente enquête, datant de 1876, pouvait conclure à un risque modéré, celle de 1878 montrait que 63% des cadres affectés aux états-majors et aux écoles militaires professaient des idées libérales ou se déclaraient ouvertement républicains. La Franc-Maçonnerie ne pouvait ignorer ces résultats qu'elle avait elle-même collectés (Source : François Bedarida, L'armée et la République. Les opinions politiques des officiers français en 1876-1878, dans la Revue Historique, 1964, p 119 à 165)

             Le terme "républicain" signifie, d'après le contenu des fiches, "anticlérical". Dans un discours de 1904, Emile Combes considère qu'il y a "incompatibilité radicale de principes" entre l'église et la république. D'où l'équation simple : chrétien = ennemi de la république.


16 octobre 1901
"Ci-joint la note du concours de l'Ecole de Saumur au sujet de laquelle je pense vous aurez lieu d'être satisfait. Vous avez vu la dernière promotion. Les officiers nommés sont presque tous républicains. Vous êtes pour beaucoup dans ce résultat et je ne saurais trop vous en remercier..."

11 mars 1902
"Très cher frère Vadécart. Je vous envoie les deux listes ci-jointes, dont l'une représente les officiers n'ayant pas les conditions d'ancienneté suffisantes pour être mis au tableau de concours pour la Légion d'honneur et qui y ont été inscrits cependant, grâce à leurs opinions républicaines que nous avons connues par vous et dont l'autre représente tous les officiers qui réunissent toutes les conditions d'ancienneté et de notes militaires pour être maintenus, que nous avons éliminés parce que vous nous les avez signalés comme étant hostiles à nos institutions..."

8 juin 1902
"Très cher frère Vadécart. Ci-joint je vous envoie une liste de commandants brevetés devant à bref délai être affectés à un service d'état-major sur lesquels nous n'avons aucun renseignement.
En nous en procurant, vous nous donnerez le moyen de classer dans les états-majors agréables ceux qui seraient, par hasard, républicains ou au contraire de classer les autres à Gap, à Briançon et autres lieux de plaisance...
Si vous le voulez bien ce ne sera là que le commencement d'un travail très vaste que nous avons l'intention de faire sur l'état-major tout entier et dans ce but je vous enverrai d'autres listes comprenant des officiers brevetés."

6 avril 1904
"... Je vous envoie inclus la liste des officiers (capitaines et lieutenants) qui sont inscrits au tableau d'avancement et sur lesquels nous n'avons pas de renseignements. Le Ministre donnant un tour de faveur aux officiers républicains qui sont inscrits au tableau, il y a grand intérêt à ce que nous soyons fixés sur les sentiments politiques de chacun..."

         L'histoire ne dit pas combien de soldats ont été inutilement sacrifiés dix ans plus tard, pendant la guerre 14-18, par des officiers incompétents qui tenaient leur grade de leurs amitiés politiques.

          Elle ne fait pas non plus de relation entre la discrimination laïque et les pertes bretonnes. Les Bretons ont toujours été considérés, de frère Gambetta à frère Mélenchon, comme d'indécrottables chouans, dont la soumission à la laïcité française n'est jamais acquise.
Dans la littérature anticléricale de l'époque de Combes, les Bretons sont stigmatisés comme étant "le peuple noir".

"Le Peuple noir — Il n'est pas de meilleurs chrétiens que cette crapule de Bretagne ; il n'en est pas de plus réfractaire à la civilisation. Idolâtre, fesse-mathieu, lâche, sournois, alcoolique et patriote, le cagot armoricain ne mange pas, il se repaît ; il ne boit pas, il se saoule ; ne se lave pas, il se frotte de graisse ; ne raisonne pas, il prie, et, porté par la prière, tombe au dernier degré de l'abjection. C'est le nègre de la France, cher aux noirs ensoutanés qui dépouillent à son bénéfice les véritables miséreux."
(Laurent Tailhade dans L'assiette au Beurre, N°131, 3 octobre 1903)

           Pendant la guerre 14-18, la moyenne des pertes bretonnes par rapport aux conscrits est de 24,3 % ; la moyenne des troupes françaises est de 16,5%. La moyenne parisienne est de 10,5%. Le terrible décalage statistique peut-il s'expliquer sans un état d'esprit particulier de ceux qui rangent les lignes et engagent les batailles ? C'est l'époque où le général Mangin s'étonnait publiquement du "nombre de Bretons qu'il avait consommés en quelques jours". 

          L'histoire retient qu'après les premiers mois de guerre, le généralissime Joffre, pourtant lui-même franc-maçon, dut limoger 180 généraux médiocres ou incapables, dont les étoiles étaient dûes à la faveur politique.

          Quand l'affaire des fiches éclate, le général André doit démissionner. Le Ministère Combes chute quelques semaines plus tard.

          Emile Combes finira sa vie tranquillement en 1921, sans retrouver un rôle politique de premier plan.

          Gabriel Syveton, qui avait giflé le général André en public, sera calomnié et lynché médiatiquement. Il sera retrouvé mort par asphyxie chez lui quelques semaines plus tard, le 8 janvier 1905, dans des circonstances assez mystérieuses (et semblables, curieusement, à la mort de Zola en 1902). La police bouclera le dossier en concluant au suicide.


Sources :       Pierre Rocolle, l'hécatombe des généraux, Ed Lavauzelle, Paris, 1980.
                     Dominique Venner, Histoire de la collaboration, Ed Pygmalion, Paris, 2000, p 119
                    Jean-Yves Broudic, Suicide et alcoolisme en Bretagne au XXème siècle, Ed Apogée, Rennes, 2008.
                    François Bedarida, L'armée et la République. Les opinions politiques des officiers français en 1876-1878, dans la Revue Historique, 1964
                    Ronan Dantec, Bécassine, Banania, destins croisés, 2006 (pdf téléchargeable)

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ContreCulture/Combes version 1.3