MERCURIALE DE JUILLET 2012
Bretagne / Breizh... Utopie ou aventure ?
Aux
dernières élections législatives, ceux qui se
présentaient sous une étiquette bretonne n’ont
récolté qu’un score marginal. En revanche, les
candidats qui s’affirmaient bretons tout en se présentant
sous l’étiquette d’un parti français ont en
général bien réussi. Il faut croire que nos compatriotes se veulent civilement
bretons mais politiquement français. L’affirmation semble leur suffire et la
revendication hors de propos. Car
l’identité bretonne se porte bien. On n’a jamais vu
autant de drapeaux bretons, flottant dans les lieux les plus
imprévus. Nos marqueurs identitaires fleurissent partout, de
l’autocollant au cache-nez, en passant par le cabas de
supermarché ou la tente gwen-ha-du.
Que manque t’il donc à
la revendication politique pour être aussi populaire que
l’affirmation identitaire ? Examinons notre façon de faire
de la politique. Nos partis bretons se focalisent sur la
réunification territoriale et la langue. Les militants sont
sincères dans leur démarche, mais ils doivent admettre
que l’on peut s’épanouir en tant que breton sans se
prendre la tête avec un ajustement administratif ou une
officialisation linguistique. Il s’agit là d’un
cadre légal qui ne fait pas frémir.
Les Bretons, comme les autres
Européens, ressentent que nous sommes entrés dans une
phase de désinstitutionnalisation. Le rêve de
l’Etat-providence et le cauchemar de l’Etat total, qui sont
les deux faces d’une même réalité historique,
s’éloignent avec la crise financière et le
déclin des moyens publics. Nous en avons déjà parlé ici.
Or, les programmes politiques bretons revendiquent une
institutionnalisation, que ce soit des frontières historiques ou
de la langue. Ils se disputent pour savoir si cette
institutionnalisation doit se faire dans un cadre français
(régionalisation, autonomie) ou dans un cadre spécifique
(indépendance). La crise des Etats-nations européens a
fait perdre à cette préoccupation une bonne part de
sa crédibilité. Au XXème siècle, le
nationalisme breton, comme tous les mouvements de libération
nationale, s’était confondu avec le combat pour un
Etat-nation. Ce nationalisme doit être repensé, sous peine
de devenir le musée des vieux rêves et des vieux
cauchemars du siècle passé.
Bien sûr, les partis
politiques bretons n’en restent pas à ces revendications
administratives. Ils les resituent dans un cadre plus large, celui
d’une Europe fédérale. La région autonome ou
la république bretonne sont de belles utopies
démocratiques.
Ces utopies d'institutions parfaites
ont fait tourner la roue de l’histoire européenne depuis
plusieurs siècles. Elles sont aujourd'hui en panne. Nous vivons
dans un monde de vitesse et de mutations permanentes, secoué par
des révolutions technologiques. L’accumulation de
richesses n’apporte plus ni la sécurité, ni
même la pérennité. Nous ne pouvons plus croire en
l'utopie d’une société stable, ni au
bien-être généralisé. Nous ne sommes
même plus attirés par ces peuples heureux qui n’ont
pas d’histoire. Nous y voyons un décrochage, un reniement
de la condition humaine, un suicide collectif. Les utopies sociales ont
forgées l’Europe politique depuis la Renaissance :
libéralisme, socialisme, communisme, coopérativisme,
mutualisme, et tous les « ismes » possibles. Ces utopies
devaient nous délivrer de l’incertain et de
l’aventure. Aujourd’hui, les âmes énergiques,
forgées dans les crises et sur fond de déclin de
l’occident, nous poussent vers des aventures sans utopies.
Breizh, La Bretagne, elle aussi,
doit être repensée comme une aventure sans utopie. Il faut
nous éloigner de l’inutile aspiration d’un petit
pays figé dans son bien-être. Le rêve d’une
Bretagne protégée, stable dans ses frontières,
forte dans sa langue et sa culture, gagne en cohérence mais
perd en intérêt. Elle n’aurait plus ce
magnétisme qui fait lever les coeurs et serrer les poings. Nos
fêtes seraient aussi fades que celles de Versailles.
L'idéal bourgeois d'une société achevée,
obèse, satisfaite,
ferait de nous un peuple sans rage et sans appétit. Non, pas
ça…
Quelles aventures permettent
aujourd'hui de donner une histoire à la Bretagne ? Les aventures
guerrières ? Nous nous y sommes essayés, sans grand
succès. Elles restent un recours. Les situations de crise en
font parfois une nécessité. Les aventures politiques ?
Elles ont une importance centrale lorsque l'Etat est fort. Est-ce
encore vrai ? Toujours est-il que, même si elle ne sont pas aussi
déterminantes qu'autrefois, elles continuent à avoir de
l'importance. En ce sens, les partis bretons sont nécessaires.
Les aventures économiques ? Tant que nous vivrons dans un
univers libéral, elles restent cruciales pour l'avenir du pays.
D'ailleurs, la Bretagne actuelle semble priser ce genre
d’aventures, à l’instar de la Catalogne ou de
l’Ecosse. Les réseaux économiques bretons
contribuent à façonner la Bretagne de demain. Les
aventures artistiques et culturelles ? Là aussi, la Bretagne a
des atouts très forts. Le récent succès de Nolwenn
Leroy, et bien d’autres aventures plus profondes et moins
médiatiques, montrent que cette voie est prometteuse.
Il nous faut favoriser une avalanche
d’aventures se réclamant de la Bretagne. Les unes se
feront à tort, d'autres à raison. Mais qu’importe.
Plutôt qu'un grand mouvement unifié et centralisé,
ce sont les initiatives diverses des Bretons qui feront l'histoire de
la Bretagne.
JPLM

Mercuriale juillet 2012