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Tocqueville (Alexis de)1805-1859La démocratie blanche |
Il
existe dans Démocratie en
Amérique toute une
isotopie du sublime. Le sublime,
notion qui
est au centre de tout débat esthétique
du 17ème siècle au romantisme,
désigne
d’abord (page 194 |
Pourtant
la
thèse
pascalienne de la « double
nature » de
l’homme et donc de ses besoins
spirituels, toujours présents « par
nature»
même s’ils sont sous le
boisseau en démocratie, permet à Tocqueville de
fonder en
théorie la
possibilité de sa propre entreprise morale, qui consiste
à réintroduire, avec
la passion de la liberté politique, la dimension du sublime
en
démocratie : assurer sa liberté
politique, comme
l’œuvre de Tocqueville y
incite le citoyen démocratique, c’est en effet
sortir de
soi-même et d’une
activité centrée sur soi, pour exercer ( page 197 ) |
La
tâche
principale que je m'étais imposée est maintenant
remplie;
j'ai montré, autant
du moins que je pouvais y réussir, quelles
étaient les
lois de la démocratie
américaine; j'ai fait connaître quelles
étaient ses
mœurs. Je pourrais
m'arrêter ici, mais le lecteur trouverait peut-être
que je
n'ai point satisfait
son attente. On rencontre en Amérique autre chose encore qu'une immense et complète démocratie; on peut envisager sous plus d'un point de vue les peuples qui habitent le Nouveau Monde. Dans le cours de cet ouvrage, mon sujet m'a souvent amené à parler des Indiens et des Nègres, mais je n'ai jamais eu le temps de m'arrêter pour montrer quelle position occupent ces deux races au milieu du peuple démocratique que j'étais occupé à peindre ; j'ai dit suivant quel esprit, à l'aide de quelles lois la confédération anglo-américaine avait été formée ; je n'ai pu indiquer qu'en passant, et d'une manière fort incomplète, les dangers qui menacent cette confédération, et il m'a été impossible d'exposer en détail quelles étaient, indépendamment des lois et des mœurs, ses chances de durée. En parlant des républiques unies, je n'ai hasardé aucune conjecture sur la permanence des formes républicaines dans le Nouveau Monde, et faisant souvent allusion à l'activité commerciale qui règne dans l'Union, je n'ai pu cependant m'occuper de l'avenir des Américains comme peuple commerçant. Ces objets, qui touchent à mon sujet, n'y entrent pas; ils sont américains sans être démocratiques, et c'est surtout la démocratie dont j'ai voulu faire le portrait. J'ai donc dû les écarter d'abord; mais je dois y revenir en terminant. Le territoire occupé de nos jours, ou réclamé par l'Union américaine, s'étend depuis l'océan Atlantique jusqu'aux rivages de la mer du Sud. À l'est ou à l'Ouest, ses limites sont donc celles mêmes du continent; il s'avance au midi sur le bord des Tropiques, et remonte ensuite au milieu des glaces du Nord. Les hommes répandus dans cet espace ne forment point, comme en Europe, autant de rejetons d'une même famille. On découvre en eux, dès le premier abord, trois races naturellement distinctes, et je pourrais presque dire ennemies. L'éducation, la loi, l'origine, et jusqu'à la forme extérieure des traits, avaient élevé entre elles une barrière presque insurmontable; la fortune les a rassemblées sur le même sol, mais elle les a mêlées sans pouvoir les confondre, et chacune poursuit à part sa destinée. Parmi ces hommes si divers, le premier qui attire les regards, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c'est l'homme blanc, l'Européen, l'homme par excellence ; au-dessous de lui paraissent le Nègre et l'Indien. Ces deux races infortunées n'ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs; leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu'elles habitent; toutes deux éprouvent les effets de la tyrannie; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs. Ne dirait-on pas, à voir ce qui se passe dans le monde, que l'Européen est aux hommes des autres races ce que l'homme lui-même est aux animaux ? Il les fait servir à son usage, et quand il ne peut les plier, il les détruit. |
Le
Nègre fait mille
efforts inutiles pour s'introduire dans une
société qui
le repousse ; il se plie
aux goûts de ses oppresseurs, adopte leurs opinions, et
aspire,
en les imitant,
à se confondre avec eux. On lui a dit dès sa
naissance
que sa race est
naturellement inférieure à celle des Blancs, et
il n'est
pas éloigné de le
croire, il a donc honte de lui-même. Dans chacun de ses
traits il
découvre une
trace d'esclavage, et, s'il le pouvait, il consentirait avec
joie
à se
répudier tout entier. L'Indien, au contraire, a l'imagination toute remplie de la prétendue noblesse de son origine. Il vit et meurt au milieu de ces rêves de son orgueil. Loin de vouloir plier ses mœurs aux nôtres, il s'attache à la barbarie comme à un signe distinctif de sa race, et il repousse la civilisation moins encore peut-être en haine d'elle que dans la crainte de ressembler aux Européens A la perfection de nos arts, il ne veut opposer que les ressources du désert; à notre tactique, que son courage indiscipliné; à la profondeur de nos desseins, que les instincts spontanés de sa nature sauvage. Il succombe dans cette lutte inégale. Le Nègre voudrait se confondre avec l'Européen, et il ne le peut. L'Indien pourrait jusqu'à un certain point y réussir, mais il dédaigne de le tenter. La servilité de l'un le livre à l'esclavage, et l'orgueil de l'autre à la mort. |
Le plus redoutable de tous les maux qui menacent l'avenir des États-Unis naît de la présence des Noirs sur leur sol. Lorsqu'on cherche la cause des embarras présents et des dangers futurs de l'Union, on arrive presque toujours à ce premier fait, de quelque point qu'on parte. À mesure qu'on descend vers le Midi, il est plus difficile d'abolir utilement l'esclavage. Ceci résulte de plusieurs causes matérielles qu'il est nécessaire de développer. La première est le climat: il est certain qu'à proportion que les Européens s'approchent des tropiques, le travail leur devient plus difficile; beaucoup d'Américains prétendent même que sous une certaine latitude il finit par leur être mortel, tandis que le Nègre s'y soumet sans dangers ; mais je ne pense pas que cette idée, si favorable à la paresse de l'homme du Midi, soit fondée sur l'expérience. Il ne fait pas plus chaud dans le sud de l'Union que dans le sud de l'Espagne et de l'Italie . Pourquoi l'Européen n'y pourrait-il exécuter les mêmes travaux ? Et si l'esclavage a été aboli en Italie et en Espagne sans que les maîtres périssent, pourquoi n'en arriverait-il pas de même dans l'Union ? Je ne crois donc pas que la nature ait interdit, sous peine de mort, aux Européens de la Géorgie ou des Florides de tirer eux-mêmes leur subsistance du sol; mais ce travail leur serait assurément plus pénible et moins productif qu'aux habitants de la Nouvelle-Angleterre. Le travailleur libre perdant ainsi au Sud une partie de sa supériorité sur l'esclave, il est moins utile d'abolir l'esclavage. Toutes
les
plantes de l'Europe croissent dans le nord de l'Union; le Sud a des
produits
spéciaux. La
culture du
tabac, du coton et surtout de la canne a sucre exige, au contraire, des
soins
continuels. On peut y employer des femmes et des enfants qu'on ne
pourrait
point utiliser dans la culture du blé. Ainsi, l'esclavage
est
naturellement
plus approprié au pays d'où l'on tire
les produits
que je viens de nommer. Mais
voici un
autre motif plus puissant que tous les autres. Le Sud pourrait bien,
à la
rigueur, abolir la servitude; mais comment se délivrerait-il
des
Noirs ? Au Nord, on chasse en
même temps l'esclavage et les esclaves.
Au
Sud, on ne
peut espérer d'atteindre en même temps ce
double
résultat. Dans
l'État du
Maine, on compte un Nègre sur trois cents habitants; dans le
Massachusetts, un
sur cent; dans l'État de New York, deux sur cent; en
Pennsylvanie, trois; au
Maryland, trente-quatre; quarante-deux dans la Virginie, et
cinquante-cinq
enfin dans la Caroline du Sud . Telle était
la proportion
des Noirs par rapport
à celle des Blancs
dans l'année 1830. Mais cette proportion change sans cesse :
chaque jour elle
devient plus petite au Nord et plus grande au Sud. |
L'Espagne fit jadis transporter dans un district de la Louisiane, appelé Attakapas. un certain nombre de paysans des Açores. L'esclavage ne fut point introduit parmi eux; c'était un essai. Aujourd'hui ces hommes cultivent encore la terre sans esclaves ; mais leur industrie est si languissante, qu'elle fournit à peine à leurs besoins. |
Dans le Nord, comme je l'ai dit plus haut, du moment où l'esclavage est aboli, et même du moment où il devient probable que le temps de son abolition approche, il se fait un double mouvement : les esclaves quittent le pays pour être transportés plus au Sud ; les Blancs des États du Nord et les émigrants d'Europe affluent à leur place. Ces deux causes ne peuvent opérer de la même manière dans les derniers États du Sud. D'une part, la masse des esclaves y est trop grande pour qu'on puisse espérer de leur faire quitter le pays ; d'autre part, les Européens et les Anglo-Américains du Nord redoutent de venir habiter une contrée où l'on n'a point encore réhabilité le travail. D'ailleurs, ils regardent avec raison les États où la proportion des Nègres surpasse ou égale celle des Blancs comme menacés de grands malheurs, et ils s'abstiennent de porter leur industrie de ce côté. Ainsi, en abolissant l'esclavage, les hommes du Sud ne parviendraient pas, comme leurs frères du Nord, à faire arriver graduellement les Nègres à la liberté ; ils ne diminueraient pas sensiblement le nombre des Noirs, et ils resteraient seuls pour les contenir. Dans le cours de peu d'années, on verrait donc un grand peuple de Nègres libres placé au milieu d'une nation à peu près égale de Blancs. Les mêmes abus de pouvoir, qui maintiennent aujourd'hui l'esclavage, deviendraient alors dans le Sud la source des plus grands dangers qu'auraient à redouter les Blancs. Aujourd'hui le descendant des Européens possède seul la terre ; il est maître absolu de l'industrie ; seul il est riche, éclairé, armé. Le Noir ne possède aucun de ces avantages ; mais il peut s'en passer, il est esclave. Devenu libre, chargé de veiller lui-même sur son sort, peut-il rester privé de toutes ces choses sans mourir ? Ce qui faisait la force du Blanc, quand l'esclavage existait, l'expose donc à mille périls après que l'esclavage est aboli. Laissant le Nègre en servitude, on peut le tenir dans un état voisin de la brute ; libre, on ne peut l'empêcher de s'instruire assez pour apprécier l'étendue de ses maux et en entrevoir le remède. Il y a d'ailleurs un singulier principe de justice relative qu'on trouve très profondément enfoncé dans le cœur humain. Les hommes sont beaucoup plus frappés de l'inégalité qui existe dans l'intérieur d'une même classe que des inégalités qu'on remarque entre les différentes classes. On comprend l'esclavage, mais comment concevoir l'existence de plusieurs millions de citoyens éternellement pliés sous l'infamie et livrés a des misères héréditaires ? Dans le Nord, une population de Nègres affranchis éprouve ces maux et ressent ces injustices ; mais elle est faible et réduite ; dans le Sud elle serait nombreuse et forte. |
Du moment où l'on admet que les Blancs et les Nègres émancipés sont placés sur le même sol comme des peuples étrangers l'un à l'autre, on comprendra sans peine qu'il n'y a plus que deux chances dans l'avenir: il faut que les Nègres et les Blancs se confondent entièrement ou se séparent. J'ai
déjà
exprimé plus haut quelle était ma conviction sur
le
premier moyen. Je ne pense pas que
la
race blanche et
la race noire en
viennent
nulle part à vivre sur un pied
d'égalité. Un despote venant à confondre les Américains et leurs anciens esclaves sous le même joug parviendrait peut-être à les mêler: tant que la démocratie américaine restera à la tête des affaires, nul n'osera tenter une pareille entreprise, et l'on peut prévoir que, plus les Blancs des États-Unis seront libres, plus ils chercheront à s'isoler . (...) Je confesse que quand je considère l'état du Sud, je ne découvre, pour la race blanche qui habite ces contrées, que deux manières d'agir: affranchir les Nègres et les fondre avec elle; rester isolés d'eux et les tenir le plus longtemps possible dans l'esclavage. Les moyens termes me paraissent aboutir prochainement à la plus horrible de toutes les guerres civiles, et peut-être à la ruine de l'une deux races.
|
S'il fallait absolument prévoir l'avenir, je dirais que, suivant le cours probable des choses, l'abolition de l'esclavage au Sud fera croître la répugnance que la population blanche y éprouve pour les Noirs. Je fonde cette opinion sur ce que j'ai déjà remarqué d'analogue au Nord. J'ai dit que les hommes blancs du Nord s'éloignent des Nègres avec d'autant plus de soin que le législateur marque moins la séparation légale qui doit exister entre eux: pourquoi n'en serait-il pas de même au Sud ? Dans le Nord, quand les Blancs craignent d'arriver à se confondre avec les Noirs, ils redoutent un danger imaginaire. Au Sud, où le danger serait réel, je ne puis croire que la crainte fût moindre.(...) |
Je
ne crois
pas que la France puisse songer
sérieusement à
quitter l'Algérie. L'abandon qu'elle en ferait serait aux yeux du monde l'annonce certaine de sa décadence. Il y aurait beaucoup moins d'inconvénient à nous voir enlever de vive force notre conquête par une nation rivale. Un peuple dans toute sa vigueur et au milieu même de sa force d'expansion, peut être malheureux à la guerre et y perdre des provinces. Cela s'est vu pour les Anglais qui, après avoir été contraints de signer en 1783 un traité qui leur enlevait leurs plus belles colonies, étaient arrivés, moins de Mais si la France reculait devant une entreprise où elle n'a devant elle que les difficultés naturelles du pays et l'opposition des petites tribus barbares qui l'habitent, elle paraîtrait aux yeux du monde plier sous sa propre impuissance et succomber par son défaut de cœur. Tout peuple qui lâche aisément ce qu'il a pris et se retire paisiblement de lui-même dans ses anciennes limites, proclame que les beaux temps de son histoire sont passés. Il entre visiblement dans la période de son déclin. |
D'une
autre
part, j'ai souvent entendu en France des
hommes que je
respecte, mais
que je
n'approuve pas, trouver mauvais qu'on
brûlât les
moissons, qu'on vidât les silos
et enfin
qu'on s'emparât des hommes sans armes,
des femmes et des
enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. Et, s'il faut dire ma pensée, ces actes ne me révoltent pas plus ni même autant que plusieurs autres que le droit de la guerre autorise évidemment et qui ont lieu dans toutes les guerres d'Europe. En quoi est-il plus odieux de brûler les moissons et de faire prisonniers les femmes et les enfants que de bombarder la population inoffensive d'une ville assiégée ou que de s'emparer en mer des vaisseaux marchands appartenant aux sujets d'une puissance ennemie ? L'un est, à mon avis, beaucoup plus dur et moins justifiable que l'autre. |
Extrait
N° 3 : Il faut s'attaquer aux populations civiles.
(La dernière
phrase suppose
que, pour Tocqueville, massacrer ou affamer des populations civiles
sont des moyens que l'humanité et le droit des nations ne
réprouvent pas)
Si en Europe on ne brûle pas les
moissons, c'est qu'en
général on fait la guerre à des
gouvernements et non à des peuples ; si on ne fait
prisonniers que les gens de guerre, c'est que les armées
tiennent ferme et que
les populations civiles ne se dérobent point à la
conquête. C'est en un mot que
partout on trouve le moyen de s'emparer du pouvoir politique sans
s'attaquer
aux gouvernés ou même en se fournissant chez eux
des ressources nécessaires à
la guerre. On ne détruira la puissance d'Abd-el-Kader qu'en rendant la position des tribus qui adhèrent à lui tellement insupportable qu'elles l'abandonnent. Ceci est une vérité évidente. Il faut s'y conformer ou abandonner la partie. Pour moi, je pense que tous les moyens de désoler les tribus doivent être employés. Je n'excepte que ceux que l'humanité et le droit des nations réprouvent. |
Le second moyen en importance,
après l'interdiction du
commerce, est le ravage du pays. Je crois que le droit de la guerre
nous
autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit
en détruisant les
moissons à l'époque de la récolte,
soit dans tous les temps en faisant de ces
incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de
s'emparer des
hommes ou des troupeaux. On crie beaucoup en France contre ces grandes promenades militaires que l'armée d'Afrique décore du nom de campagnes. On a raison dans ce sens que très souvent ces voyages meurtriers ne sont entrepris que dans le but de satisfaire l'ambition des chefs. Mais ils me paraissent quelquefois indispensables et dans ces cas on aurait bien tort de les proscrire. Ce qui est à la longue insupportable à une tribu arabe, ce n'est pas le passage de loin en loin d'un grand corps d'armée sur son territoire, c'est le voisinage d'une force mobile qui à chaque instant et d'une manière imprévue peut tomber sur elle. |
Nous avons fait en petit en
Afrique ce que nous avons fait partout soit en petit soit en grand
depuis dix
ans dans le reste du monde : nous avons agi de manière que
notre amitié fût
toujours fatale. Presque toutes les tribus ou presque tous les hommes qui s'étaient déclarés en notre faveur ont été ou abandonnés ou frappés par nous. Le traité de la Tafna a livré à Abd-el-Kader le territoire admirable qu'occupaient les Douairs et les Smelas. Le même traité a remis entre ses mains la malheureuse petite tribu Coulougli des Ben Zetoun, la seule de la Mitidja qui eût embrassé ardemment notre cause. |
Je suis en général fort ennemi des mesures violentes qui, d'ordinaire, me semblent aussi inefficaces qu'injustes. Mais ici, il faut bien reconnaître qu'on ne peut arriver à tirer parti du sol qui environne Alger qu'à l'aide d'une série de mesures semblables, auxquelles, par conséquent, on doit se résoudre. La plus grande partie de la plaine de la Mitidja appartient à des tribus arabes qui, de gré ou de force, sont aujourd'hui passées du côté d'Abd-el-Kader. Il faut que l'administration devenant la maîtresse de ce territoire, il ne soit point rendu, même à la paix. (...) Quant aux terrains soit dans la Mitidja, soit dans le Massif qui n'appartiennent pas aux tribus arabes mais aux Maures, il est utile que le gouvernement les acquière presque tous soit de gré à gré, soit de force, en les payant largement. La population maure mérite des égards à cause de son caractère pacifique. Mais dans la campagne elle nous gêne sans nous être utile à rien. Elle ne peut servir de lien entre les Arabes et nous, ainsi que je l'ai expliqué précédemment, et elle forme au milieu de notre population rurale un élément réfractaire qui ne s'assimilera jamais avec le reste. Cette dépossession des indigènes n'est point le plus difficile de l'œuvre. Les Arabes se sont déjà éloignés et les Maures sont en très petit nombre. (...) |
La
première objection ne
saurait être faite que par des gens qui n'ont pas
été en Afrique. Ceux qui y
ont été savent que la
société musulmane et la
société chrétienne n'ont
malheureusement aucun lien, qu'elles forment deux corps
juxtaposés, mais complètement
séparés. Ils savent que tous les jours cet état de chose tend à s'accroître par des causes contre lesquelles on ne peut rien. L'élément arabe s'isole de plus en plus et peu à peu se dissout. La population musulmane tend sans cesse à décroître, tandis que la population chrétienne se développe sans cesse. La fusion de ces deux populations est une chimère qu'on ne rêve que quand on n'a pas été sur les lieux. Il peut donc et il doit donc y avoir deux législations très distinctes en Afrique parce qu'il s'y trouve deux sociétés très séparées. Rien n'empêche absolument, quand il s'agit des Européens, de les traiter comme s'ils étaient seuls, les règles qu'on fait pour eux ne devant jamais s'appliquer qu'à eux. |
La plupart des procès criminels sont
également dirigés
contre des Européens. Dans le
cas où ce sont des
indigènes, si l'on croit que
nos formes soient trop lentes (ce que je ne crois pas), on peut établir pour eux des
conseils
de guerre. Après avoir constitué la justice civile, il faut s'occuper sans retard à donner des limites précises à la justice administrative. Il faut surtout se hâter de donner au tribunal administratif une constitution qui donne des garanties à la propriété. A l'heure qu'il est, ainsi que je l'ai montré, elle n'en a point. Et c'est toujours non seulement l'administration, mais encore le fonctionnaire intéressé qui prononce dans sa propre cause. |