Mercuriale de mai 2013
La théorie de la relativité appliquée à la Bretagne
Einstein, dans la
théorie de la relativité restreinte, montre que l'espace
et le temps, sans être identifiables l'un à l'autre, sont
interdépendants. Il existe un rapport constant entre les mesures
d'espace et de temps.
En Bretagne, l'incapacité à relier l'espace
et le temps s'illustre par l'incompréhension qui s'est
développée autour de notre agriculture. Cette
incompréhension est grave. Elle
pourrit les rapports sociaux et le dynamisme économique. On ne
peut mener vers l'autonomie un peuple dont les membres ne se
comprennent
plus.
Les intérêts contradictoires
existent partout. Avec
un peu d'astuce ou d'intelligence, il est possible de trouver des
solutions acceptables. L'incompréhension est beaucoup plus
dramatique. Elle empêche toute solution positive. Elle ne peut
être réglée que par des victoires ou des
défaites, avec à la clé l'arrogance des vainqueurs
et l'amertume des vaincus.
Les écologistes posent le problème des
densités et des pollutions agricoles. Certains se contentent de
dénoncer ; ce ne sont pas eux qui m'intéressent. Ceux qui
se sentent concernés par l'avenir de la Bretagne proposent des
solutions sous la forme d'actions à mener. L'approche parait
incontestable. Mais, quand on écoute attentivement
l'agriculteur, les normes et les procédures ne suffisent pas
à son logiciel de compréhension. Les nombreux
aléas auxquels il est confronté font qu'il accomplit
autant une nécessité balisée par des impondérables qu'un travail
balisé par des procédures. Ecoutez-le attentivement quand
il parle de ses terres, des maladies du bétail, des cours
mondiaux. Entre l'écologiste et le paysan, on a l'impression du
même décalage qu'entre celui qui pilote un paquebot et
celui qui barre un dériveur. L'un suit des procédures.
L'autre a besoin d'autre
chose, plus difficile à exprimer, moins facile à
transmettre, pour ne pas sombrer. L'un suit une route, l'autre essaie
de garder un cap ; ce n'est pas la même chose.
Dans un conflit classique, les
intérêts sont contradictoires, mais le profit que
recherchent les uns et les autres est connu. Ici, nous sommes dans un
décalage "culturel", qui concerne à la fois le temps et
l'espace. Et c'est là que ma réflexion en arrive sur
l'espace-temps et la relativité restreinte.
La Bretagne est à la fois
espace et temps, géographie et histoire. La perception de ce
qu'est la Bretagne varie selon les personnes. Posez la question autour
de vous ; vous verrez.
Le Breton des champs voit
plutôt la Bretagne comme un lieu de vie. Il en mesure
l'étendue. Il observe notre situation péninsulaire, notre
incroyable réseau de rivières, notre climat fantasque
mais modéré, notre relief doux. Il en perçoit les
caractères spécifiques. Il en ressent la
différence et la permanence. Le Breton des champs se sent bien
lorsqu'il est "à sa place". Ce n'est pas là une attitude
de soumission, contrairement à ce que peut croire le citadin.
Cette place est déterminée par le cheval d'orgueil qui caracole dans sa tête. Mais nous sommes bien dans la localisation, dans la géographie.
Le Breton des villes voit
plutôt la Bretagne comme une trajectoire historique. Il en
perçoit l'évolution. Il en ressent le passé et le
présent. Il scrute l'avenir. Le Breton des villes est bien
lorsqu'il se sent "dans le coup", "dans le sens de l'histoire", "dans
le vent". Nous sommes dans le mouvement, dans une vive perception du
temps.
Le Breton de l'espace fait perdre du
temps à la Bretagne. Le Breton du temps lui fait perdre
l'équilibre. L'un perçoit la permanence au
détriment de la trajectoire. L'autre perçoit la
trajectoire au détriment de la permanence. L'un doit être
au bon endroit et au bon moment pour semer, récolter, nourrir le
bétail. L'autre croit en sa liberté d'action ; il fait
même de la liberté une de ses valeurs fondamentales.
Le nationaliste des champs croit en
l'éternité de son pays, à travers le
renouvellement des saisons et des générations. Le
nationaliste des villes veut l'immortalité pour son pays,
à travers l'action et la volonté.
Le citadin est un homme
pressé ; c'est un homme pour qui le temps compte. Son
identité est liée, non pas à une localisation,
mais à des ambitions. Le rural est un homme de la
géographie, de l'étendue, de la distance. Son
identité est liée au lieu. Il parle sans se lasser de
tous ceux qui, avant lui ou avec lui, ont peuplé le lieu de vie
qu'il connait.
Face aux paysans bretons, hommes de
l'étendue spatiale et de la permanence, les écologistes
se sont positionnés, un peu malgré eux, comme les hommes
du temps. ils sont devenus les partisans de la trajectoire, du projet
extérieur, de la procédure imposée. Un peu
malgré eux, en effet ! Sur d'autres sujets, comme
l'aéroport de Notre Dame des Landes, on les retrouve comme les
partisans de l'étendue spatiale et de la permanence, moquant les
hommes de projet, de procédures et de prévisions.
Mon opposition entre le Breton
des villes et le Breton des champs est exagérée, je le
sais. Il n'empêche qu'une incompréhension dangereuse
existe entre les deux Bretagnes, celle de la durée et celle de
l'étendue. Celle de l'histoire et celle de la géographie.
La question de la métropole Nantes-Rennes illustre et creuse,
elle aussi, l'incompréhension entre les deux conceptions de la
Bretagne.
Nous avons chacun, dans notre
Bretagne personnelle, une part d'histoire et une part de
géographie. Pour que cette Bretagne devienne commune, il ne nous
faudra pas seulement des proclamations ou des actes, fussent-ils
courageux. Il ne suffira pas de s'agiter en brandissant un gwenn-ha-du.
Il ne suffira pas de se rassurer en répétant que nous
sommes tous Bretons. Il faudra que l'un d'entre nous possède le
génie d'Einstein pour concilier l'espace et le temps, pour que
la Bretagne soit à la fois un projet commun et un espace commun.
Et si un seul d'entre nous ne suffit pas, alors il faudra un groupe de
Bretons qui aient, ensemble, l'intelligence, l'originalité et
l'ouverture d'esprit nécessaire.
Pour ne pas rester
enfermés dans les incompréhensions actuelles, il nous
faut trouver l'équation de la relativité bretonne.
JPLM
Mercuriale mai 2013