MERCURIALE D'AVRIL 2013

Le retour des grands principes

         L’élection de François Hollande présageait un changement de style. Dès son élection, il a voulu montré qu’il n’était pas parisien. Il a voulu montrer qu’il n’était pas un décideur hors-sol comme ceux qui généralement gouvernent la France. Les ministres furent recrutés plutôt à l’ouest, terre démocrate, et beaucoup moins que d'habitude au centre et à l’est, terres républicaines.
        Les conflits imprévus, par exemple celui des « Pigeons », ont été gérés de façon empirique et participative. Le passage de la charge fiscale de 75% sur les très hauts revenus, de celui qui reçoit à celui qui accepte de donner, est astucieux. La mise en place de l’A.N.I. sur la flexibilité du travail témoigne d’une volonté de laisser les partenaires sociaux trouver eux-mêmes des issues à des problèmes complètements étrangers aux hauts fonctionnaires et à la plupart des députés.
        De telles manières, il faut l'avouer, manquent de panache. D’abord, elles ne sont pas dans la grande tradition d’arrogance. Ensuite, elles pourraient se révéler efficaces. Enfin, elles changent les rapports entre le monde réel et le monde politique. Trois raisons de s’en méfier... Elles déconsidèrent l’aristocratie administrative qui vit grassement de problèmes non résolus.

          Les vieux démons reviennent. En Bretagne, nous remarquons certains signaux faibles. Que signifie "amendement Le Fur-De Rugy" au pied de la Tour Eiffel ? Que signifie "Charte des langues régionales" dans le 15ème arrondissement de Paris ? Que signifie "Livret de famille bilingue" à la Bastille ? De notre péninsule excentrée, nous voyons ce que ne voient pas ceux qui vivent dans le bruit et la fureur de la mondanité.
          Wellington disait que la France est une cascade de mépris. Le riche méprise le moins riche. Le grand méprise le moins grand. Le Parisien méprise le provincial. Le citadin méprise le paysan. Le mépris s’appuie sur des principes. Et les Français en ont, des principes ! Des grands, des beaux principes !... 
        Ils ont par exemple un principe de laïcité. Ce principe ankylose leur esprit et limite leur imagination. Il les condamne au conflit quand, paradoxalement, il s’agit de trouver des solutions nouvelles pour vivre ensemble. 
          Ils ont un principe d’égalité. Ce principe-là les rend paranos. Tous ceux qui ne marchent pas au pas sont une menace pour l’ordre établi. Les citoyens doivent être interchangeables. L’administration française ne comprend qu'une seule langue ; elle se considère -par principe- plus stupide que l’administration belge. Qu'importe. Son but est le monolinguisme républicain, pas l’intelligence.
          Ils ont un principe du rapport de forces. Ils votent pour ceux qui défendent leurs intérêts. Le bien commun est pour eux une fiction et un attrape-nigauds. Ils se font gloire de ne rien céder, ne rien lâcher, ne jamais se laisser séduire par le bien commun. 
         Ils ont depuis peu un principe de précaution. Les Français adorent légiférer pour les siècles des siècles ; le principe de précaution s’inscrit dans le rêve d'une grandeur française conservée pour l'éternité.
D'autre part, ils aiment parader, et il est plus théâtral d'interdire que de permettre.

          S’il n’allait pas faire de miracles, François Hollande apparaissait comme celui qui allait tarir -au moins un peu ! au moins provisoirement !- la cascade du mépris. Quelques évènements récents annoncent le retour des grands principes.
          Les Français ont une Constitution. C’est un bouquet de principes, qui a la fragilité cassante d’un bouquet sec. C’est du mort qui ressemble à du vivant. A chaque fois qu’on exhibe la Constitution, c’est pour interdire quelque chose. Pour éteindre un débat. Pour refouler une aspiration. Ce vieux texte militaire et complètement has been ne porte aucune des valeurs qui permettront de construire le nouveau siècle. Tout le monde le sait. Alors, pour ne pas risquer le ridicule universel, on n'en fait pas un objet de débat. On le sort de temps en temps du tabernacle de la République. On l’exhibe rapidement, on demande le silence. On exige des fidèles qu’ils s’agenouillent et qu’ils baissent les yeux. On espère que les peuples du monde s’abstiendront de faire des commentaires déplaisants ou moqueurs.
           Affirmation arrogante de la laïcité pour justifier le refus d'évoluer. Entêtement sur le centralisme, alors que le centre n’est plus qu’un nid de parasites et de corrompus. Refus de remodeler les régions, de crainte d’un dynamisme incontrôlé. Cris d’orfraie du monolinguisme républicain face au multilinguisme breton. 
          Remarquons que les revendications sociétales de la périphérie et de la France réelle ne coûtent rien à satisfaire. Elles rapprochent au contraire la France des autres pays européens. Elles permettent d'envisager une politique intérieure commune et une vraie gouvernance européenne. En effet, comment pourrait-il exister une gouvernance européenne avec une France qui se croit encore au XIXe siècle ? 
          La ratification de la Charte des langues régionales par la France est avant tout une mesure symbolique. Le symbole, c'est celui de l'intégration européenne. La vieille aristocratie républicaine n’en veut pas. Elle y voit une menace pour ses privilèges. Elle se défend en mobilisant les mythes jacobins et les intérêts corporatistes. Les extrêmes, à gauche et à droite, ont mordu à l’hameçon. Reste pour l’aristocratie républicaine à retrouver son influence au coeur de l’État.

          Le retour des grands principes fait oublier que le principal enjeu auquel est confrontée la France n’est pas d’ordre sociétal, mais d'ordre économique. Or, les doctrinaires n'ont jamais été de bons gestionnaires, surtout par gros temps. Ce sont même les plus mauvais gestionnaires qui soient. 
          Le retour des grands principes républicains ne présage rien de bon pour la santé économique et sociale de l’Hexagone. Il nous faut préparer le scénario de l’effondrement. La question est simple : Comment faire, lorsque la France va s’effondrer, que la Bretagne tombe moins bas ?

JPLM

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Mercuriale avril 2013