Il fut un temps
où les pulsions
révolutionnaires étaient rangées dans la catégorie de
l'extrémisme politique. Quand ces pulsions
n’étaient pas
fondées sur la violence,
elles y
basculaient assez facilement. La logique était de
créer un rapport de forces avec
le pouvoir politique ou le pouvoir économique. La violence
est en effet un élément
déterminant du rapport de forces.
Désormais, d’autres perspectives émergent. Le
rapport de forces correspond
à une stratégie de
renversement d’un ennemi stable. Bousculés par une
série de crises, parmi
lesquelles la crise de leur propre légitimité, les
grands pouvoirs ont perdu une
partie de leur ancienne stabilité. D'autre part, nous avons
développé, peut-être à tort, une aversion pour la violence. Les
stratégies
de renversement s’adaptent à
cette nouvelle situation. Elles évoluent des techniques de
la boxe à celles du judo. La violence reste une option, mais la
déstabilisation est
devenue une alternative au rentre-dedans.
La
déstabilisation des pouvoirs établis peut prendre un aspect ludique, alors que le révolutionnaire classique
se complaisait dans une
posture sérieuse, voire tragique. L’objectif reste
cependant le même : non
pas améliorer le système en place, mais le pousser
à l’effondrement. Les crises et
les nouvelles technologies ont révélé quatre nouvelles façons de
créer un
court-circuit sociétal.
La
première
option est la désobéissance civile. Vieille lune, me
direz-vous. Certes. Mais
désormais des actes comme le refus de l'impôt
dépassent le niveau groupusculaire. Ce type d'action est
sérieusement
envisagé par les ultra-libéraux américains
pour faire dépérir la bête. Le contre-civisme, de droite
ou de gauche, est un
anarchisme sans utopie.
Les "libertariens", aux USA en particulier, visent
clairement à déposséder le
gouvernement central de ses prérogatives en le privant de
ressources. D’autres formes d’action y contribuent,
volontairement ou
involontairement, comme la fraude organisée, la délocalisation ou l'exil
fiscal. L’appel
paru dans Libération le 3 septembre dernier
« Jeunes
de France, votre
salut est ailleurs : barrez-vous ! »
est assez illustrative, non pas d'une volonté
révolutionnaire, mais
d’une banalité et d'un chic de l'incivisme.
La
seconde option
est la construction de micro-sociétés
autonomes. Les modèles alternatifs trouvent souvent leur
origine dans les
utopies de gauche, bien qu'elles puissent être le fait de sectes
ultra-conservatrices. Il existe toute une variété
de solutions intermédiaires
entre la société établie et les
contre-sociétés : organisations
coopératives, réseaux financiers des Cigales,
bourses d’échanges, SEL. Les
monnaies locales ou complémentaires font partie de cette
option. Aujourd'hui, les nouvelles technologies boostent les relations directes et court-circuitent les institutions. Toutes
ces
solutions sont tolérées par les pouvoirs
établis tant qu’elles restent
marginales. En effet, elles contribuent à
la tranquillité publique. Elles fonctionnent de façon
contre-cyclique. Elles émergent lors de crises
économiques et financières, et disparaissent
généralement ensuite. Elles pourraient être
dévastatrices si l'ordre établi tardait à apporter aux populations la
protection qu'elles attendent.
La
troisième option révolutionnaire est la
contre-information, option liée fortement aux nouvelles technologies.
Ici, l’idée n’est
pas que le pouvoir corrompt. C’est l'idée que la corruption est le fruit d'une alliance entre
le pouvoir et le secret. L'organisation
la plus représentative de cette
stratégie est Wikileaks, mais bien d’autres
initiatives, mondiales ou locales,
ONG ou associations, y participent. Des groupes activistes se sont organisés pour
faire de la "sousveillance",
c’est-à-dire pour surveiller les surveillants.
L’action des forces de l’ordre
ou des hommes de pouvoir est vérifiée,
filmée, diffusée. La conséquence est
de
perturber et, au-delà, de neutraliser. On trouve parmi les
Anonymous des
activistes qui raisonnent aussi de cette manière, bien que
le mouvement ne se
donne pas un objectif aussi radical.
La
quatrième option est l’hyper-judiciarisation, dans le cadre de la société du spectacle.
Le
dépôt
massif et répétés de plaintes médiatisées devant les
tribunaux permet
de bloquer une décision politique ou économique, ou au
moins d’introduire des délais d’application.
Dans un monde de vitesse, ces délais aboutissent
à des blocages rédhibitoires.
L’exemple le plus représentatif est la succession de
polémiques-spectacles et de procès qui s’est créée
autour des
OGM. Le retard pris de ce fait par la recherche
française et européenne a créé une
quasi-obligation de trouver d’autres voies de
progrès agricole, pour ne pas
être dépendant des USA. Les recherches autour d'une agriculture
plus verte ne se seraient sans doute pas ouvertes si
l’option OGM avait été moins perturbée.
Dans les domaines en forte évolution ou
en forte concurrence, le ralentissement lié à la
judiciarisation
pousse le système politique ou économique, soit à la bifurcation, soit au
dysfonctionnement.
Le
révolutionnaire traditionnel se
référait à un idéal ou, au moins, à
une sorte d'exigence morale. Dans le monde actuel, on ne croit plus en rien et on ne doit plus rien
à personne. De
nouvelles influences, comme les Punks, ont
brouillé la vision d’un avenir radieux et
apaisé. Le révolutionnaire n'arrive plus à
envisager un futur stable. Il est indigné. Il a la sensation d'avoir été
floué. Par qui ? Les banques, les marchés financiers, les patrons, les syndicats, les
immigrés, les soixante-huitards, l'Europe, la
France ?
Qu'importe. Il est plus proche des
nihilistes que des
utopistes. Peut-être sera-t'il plus efficace que
l’ancien pour
favoriser ou accompagner l’effondrement.
N'oublions pas que
nous sommes en Bretagne. Ici, réfléchir au
scénario d'effondrement, c'est aussi réfléchir au
scénario d'autonomie.
JPLM