MERCURIALE DE NOVEMBRE 2012

Les nouveaux chemins de la révolution

          Il fut un temps où les pulsions révolutionnaires étaient rangées dans la catégorie de l'extrémisme politique. Quand ces pulsions n’étaient pas fondées sur la violence, elles y basculaient assez facilement. La logique était de créer un rapport de forces avec le pouvoir politique ou le pouvoir économique. La violence est en effet un élément déterminant du rapport de forces.
          Désormais, d’autres perspectives émergent. Le rapport de forces correspond à une stratégie de renversement d’un ennemi stable. Bousculés par une série de crises, parmi lesquelles la crise de leur propre légitimité, les grands pouvoirs ont perdu une partie de leur ancienne stabilité. D'autre part, nous avons développé, peut-être à tort, une aversion pour la violence. Les stratégies de renversement s’adaptent à cette nouvelle situation. Elles évoluent des techniques de la boxe à celles du judo. La violence reste une option, mais la déstabilisation est devenue une alternative au rentre-dedans.
          La déstabilisation des pouvoirs établis peut prendre un aspect ludique, alors que le révolutionnaire classique se complaisait dans une posture sérieuse, voire tragique. L’objectif reste cependant le même : non pas améliorer le système en place, mais le pousser à l’effondrement. Les crises et les nouvelles technologies ont révélé quatre nouvelles façons de créer un court-circuit sociétal. 

          La première option est la désobéissance civile. Vieille lune, me direz-vous. Certes. Mais désormais des actes comme le refus de l'impôt dépassent le niveau groupusculaire. Ce type d'action est sérieusement envisagé par les ultra-libéraux américains pour faire dépérir la bête. Le contre-civisme, de droite ou de gauche, est un anarchisme sans utopie. Les "libertariens", aux USA en particulier, visent clairement à déposséder le gouvernement central de ses prérogatives en le privant de ressources. D’autres formes d’action y contribuent, volontairement ou involontairement, comme la fraude organisée, la délocalisation ou l'exil fiscal. L’appel paru dans Libération le 3 septembre dernier « Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous ! »  est assez illustrative, non pas d'une volonté révolutionnaire, mais d’une banalité et d'un chic de l'incivisme.

          La seconde option est la construction de micro-sociétés autonomes. Les modèles alternatifs trouvent souvent leur origine dans les utopies de gauche, bien qu'elles puissent être le fait de sectes ultra-conservatrices. Il existe toute une variété de solutions intermédiaires entre la société établie et les contre-sociétés : organisations coopératives, réseaux financiers des Cigales, bourses d’échanges, SEL. Les monnaies locales ou complémentaires font partie de cette option. Aujourd'hui, les nouvelles technologies boostent les relations directes et court-circuitent les institutions. Toutes ces solutions sont tolérées par les pouvoirs établis tant qu’elles restent marginales. En effet, elles contribuent à la tranquillité publique. Elles fonctionnent de façon contre-cyclique. Elles émergent lors de crises économiques et financières, et disparaissent généralement ensuite. Elles pourraient être dévastatrices si l'ordre établi tardait à apporter aux populations la protection qu'elles attendent.

          La troisième option révolutionnaire est la contre-information, option liée fortement aux nouvelles technologies. Ici, l’idée n’est pas que le pouvoir corrompt. C’est l'idée que la corruption est le fruit d'une alliance entre le pouvoir et le secret. L'organisation la plus représentative de cette stratégie est Wikileaks, mais bien d’autres initiatives, mondiales ou locales, ONG ou associations, y participent. Des groupes activistes se sont organisés pour faire de la "sousveillance", c’est-à-dire pour surveiller les surveillants. L’action des forces de l’ordre ou des hommes de pouvoir est vérifiée, filmée, diffusée. La conséquence est de perturber et, au-delà, de neutraliser. On trouve parmi les Anonymous des activistes qui raisonnent aussi de cette manière, bien que le mouvement ne se donne pas un objectif aussi radical.

          La quatrième option est l’hyper-judiciarisation, dans le cadre de la société du spectacle. Le dépôt massif et répétés de plaintes médiatisées devant les tribunaux permet de bloquer une décision politique ou économique, ou au moins d’introduire des délais d’application. Dans un monde de vitesse, ces délais aboutissent à des blocages rédhibitoires. L’exemple le plus représentatif est la succession de polémiques-spectacles et de procès qui s’est créée autour des OGM. Le retard pris de ce fait par la recherche française et européenne a créé une quasi-obligation de trouver d’autres voies de progrès agricole, pour ne pas être dépendant des USA. Les recherches autour d'une agriculture plus verte ne se seraient sans doute pas ouvertes si l’option OGM avait été moins perturbée. Dans les domaines en forte évolution ou en forte concurrence, le ralentissement lié à la judiciarisation pousse le système politique ou économique, soit à la bifurcation, soit au dysfonctionnement. 

          Le révolutionnaire traditionnel se référait à un idéal ou, au moins, à une sorte d'exigence morale. Dans le monde actuel, on ne croit plus en rien et on ne doit plus rien à personne. De nouvelles influences, comme les Punks, ont brouillé la vision d’un avenir radieux et apaisé. Le révolutionnaire n'arrive plus à envisager un futur stable. Il est indigné. Il a la sensation d'avoir été floué. Par qui ? Les banques, les marchés financiers, les patrons, les syndicats, les immigrés, les soixante-huitards, l'Europe, la France ? Qu'importe. Il est plus proche des nihilistes que des utopistes. Peut-être sera-t'il plus efficace que l’ancien pour favoriser ou accompagner l’effondrement. 
             N'oublions pas que nous sommes en Bretagne. Ici, réfléchir au scénario d'effondrement, c'est aussi réfléchir au scénario d'autonomie.

JPLM


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