MERCURIALE DE SEPTEMBRE 2012
Stratégies bretonnes d'aujourd'hui
Chez les militants bretons, il existe un
débat, toujours renouvelé, jamais tranché, entre
puristes et opportunistes. Il génère invectives, insultes
et amertumes diverses. Les uns veulent construire la Bretagne hors
des structures françaises, y compris hors des structures de la
société civile française : syndicats, partis
politiques, associations. Les autres considèrent qu’il est
plus efficace d’être actifs au sein de ces structures et
d’y faire progresser l’idée bretonne. Il ne faut
voir entre les deux options aucune différence de
sincérité, d’intelligence ou
d’énergie. La réflexion ne doit pas se laisser
stériliser par les méfiances et les a-prioris. C'est un
important débat stratégique, pas un débat moral ni
même idéologique.
Voyons l’option puriste
d’abord. L’avantage est une visibilité de la
revendication bretonne, dans la mesure où elle est
volontairement isolée de son environnement français.
Ainsi, le fait qu’il existe des associations culturelles
bretonnes distinctes des associations culturelles françaises est
une nécessité pour l’identité bretonne.
L’existence de partis politiques bretons est une
nécessité pour la revendication bretonne.
L’inconvénient est que
les éléments les plus visibles de cette option, les plus
« purs », sont aussi, forcément, les plus
marginaux. La recherche de pureté conduit en effet à
accumuler les contraintes et donc à s'isoler. Le purisme
culturel vous oblige à parler un Breton parfait, à bien
connaître l’histoire de Bretagne, à ne pas
négliger l’ethnographie et la biodiversité de la
péninsule. La maintenance d’une telle base de
données est un travail à plein temps, au détriment
de l'action.
Le purisme politique, souvent qualifié d'extrémisme,
privilégie la posture spectaculaire par rapport à l'intelligence. Il
impose un langage qui, pour poser la différence entre la
Bretagne et la France, ou pour
souligner nos frontières historiques, n’est
parfois déchiffrable que par les initiés.
La pureté est souvent le
refuge des loosers. Leur maître-mot est : respect. Il exprime
l’espoir d’impunité pour des paroles ou des actes
dont la portée n’est souvent voulue que dans leur dimension symbolique. Les
vainqueurs se comportent différemment et assument leur volonté de puissance, leurs efforts et leur
victoire. Ils ne savent pas ce qu'est le respect et ne peuvent offrir que leur bienveillance.
Autrefois, les vaincus demandaient la clémence, ce qui
était bien plus adapté et bien plus compréhensible
que le respect.
Les puristes, quand ils
défendent un idéal élevé, et non des
préjugés ou des supersitions, sont nécessaires. Tels les vestales des anciens dieux, ils
entretiennent la braise. Cette braise du nationalisme breton peut
allumer demain des feux dont nous n'avons aucune idée
aujourd'hui. Ces feux peuvent éclairer des événements qui
nous
semblent obscurs. Ils peuvent nous donner une visibilité internationale.
L’option opportuniste est
quasiment symétrique de l’option puriste.
Elle rend actif même si, bien souvent, elle rend myope. Elle
empêche d’offrir aux Bretons une perspective claire de leur
avenir. Or, en période de crise, tout devient possible.
L’excès d’opportunisme s'oppose aux actions radicales, alors
que l'audace peut être
très
réaliste. L'opportunisme présente aussi un risque
maximal de récupération par la Machine France. Il
suppose, pour être efficace, un contrôle sur les
infiltrés.
L’avantage de
l’opportunisme est de se donner pour but la réussite.
Nous pourrions
remonter à la création de l'Etat breton, au IXe
siècle. Nominoe, qui fut pendant plusieurs
années l’envoyé obéissant de l'empereur
Louis le Pieux, lança sa guerre
d’indépendance à la mort de ce dernier.
L'opportunité qu'il avait saisi se révéla payante
du fait de la faiblesse du nouveau maître.
Dans
l’histoire récente de la Bretagne, des
personnalités comme Louis Le Pensec, Jean-Yves Cozan ou
Jean-Yves Le Drian, qui sont membres de partis français,
ont autant d’importance que Yann Fouéré, Ronan
Le
Prohon ou Yann Puillandre, fondateurs de partis bretons. La
reconnaissance du breton, l’essor de Diwan, l'installation
d'institutions régionales ou l’affirmation
identitaire est passée par des personnes immergées dans
la société française, qui ont su saisir des
opportunités pour la Bretagne.
Au lieu de positions
tranchées, qui ne profitent qu'à des
personnalités faibles, déguisées sous des
accoutrements voyants, il serait profitable de renouveler, au sein de
l’Emsav, le débat sur le purisme et l'opportunisme. La
façon de le renouveler est d'aborder les pratiques qui
émergent dans la société post-moderne, et en
particulier deux d'entre elles : les réseaux et la
bi-adhésion.
J’entends par le concept de réseaux
les
liens humains qui se tissent, non par une stricte communauté
d’idées, mais par une communauté de vision d'abord,
de projet ensuite. Les Américains, lorsqu'ils veulent faire
quelque chose ensemble, commencent par des vision statements, pour passer au project management.
Pour
construire ensemble, il n'est pas nécessaire de penser de
façon identique. Il est même préférable de
confronter différents points de vue. Chez nous, il faut d'abord
convenir que la Bretagne a un futur. Ensuite, il faut vouloir tenir un
rôle dans la construction de ce futur. Il ne faut pas chercher
à atteindre une vérité politique, mais se choisir
le créneau le plus adapté à ses moyens et à
ses goûts.
Et ça marche... Le
réseau Produit en Bretagne (www.produitenbretagne.com) rassemble
des concurrents économiques sur un objectif commun, la
prospérité bretonne. Le réseau Agriculteurs de Bretagne (www.agriculteurs-de-bretagne.fr)
est en train de se structurer, en dehors mais non pas en opposition des
différentes organisations agricoles.
Assembler des communautés de
projets structurants pour la Bretagne est une voie explorée par Breizh Impacte (www.breizhimpacte.org).
C'est une voie d'avenir et une nécessité. Le job est
ouvert à tous, il n'est réservé à personne.
Il pourrait exister
d'autres réseaux. Imaginons fonctionnaires en Bretagne,
qui apporterait un guide des bonnes pratiques dans les relations entre
le bien commun breton et les professionnels du service public. Entre purisme
et opportunisme, à chacun de mettre le curseur là où il sera
le plus efficace et le plus profitable à la Bretagne.
La
bi-adhésion est le fait, pour des militants bretons
encartés,
d’adhérer en parallèle à des organisations
françaises (ou irlandaises, américaines, internationales,
...) jouissant d’une représentativité
officielle. Il est néfaste de cantonner des personnes
énergiques dans la marginalité, alors qu’elles
peuvent à la fois prendre un leadership et apporter une vision
collective bretonne, surtout quand il n'y a plus de vision
collective française.
Dans
le domaine syndical par exemple, l'essor d'un syndicat breton de
salariés est lié à une réflexion sur
un modèle intelligent de bi-adhésion, d'une part à
un syndicat breton à construire, et d'autre part à une
des cinq
organisations représentatives françaises (CGT, CFDT, FO,
CFTC, CGC). La représentativité reconnue à ces
cinq
organisations permet à ses membres de participer au dialogue
social, en particulier aux niveaux locaux, départementaux et
régionaux. Idem pour les organisations patronales.
La
présence de l'UDB dans les instances politiques est liée
à une forme proche de la bi-adhésion, qui est la
coalition avec un grand parti français. La coalition
diffère de la bi-adhésion par les contraintes et les
opportunités offertes. Il n'est pas question ici de donner des
directives ou de décider pour d'autres, mais d'ouvrir des
perspectives à tous.
Tant que la Bretagne était
impuissante, le purisme était un refuge et l'opportunisme une roublardise. Maintenant que la
France perd de sa force, que les confusions s'amplifient, que la vision
française de l'avenir se brouille, il est
possible d'organiser notre progression de façon dynamique. Il faut pour cela rajeunir
notre logiciel stratégique.
JPLM
Mercuriale septembre 2012