MERCURIALE DE FEVRIER 2012


Diplomatie bretonne

          Nous vivons une phase historique de désinstitutionnalisation… Waouh !  Que voilà un mot compliqué ! Pourquoi se tordre la langue ou s'affoler le cerveau avec un tel vocable ?
          Il vise à résumer le phénomène que nous vivons actuellement. Depuis le XVIème siècle, les institutions publiques étaient montées en puissance. Cette évolution vers Big Brother représentait à la fois la modernité et le progrès. Les institutions ont culminé au XXème siècle. Alors se sont exprimées les prétentions de l’État total, avec les expériences communistes et nazies. Le totalitarisme, dans l'ombre des états, avait remplacé le despotisme qui prospérait à l'ombre des églises. Plus confortablement, dans l'Hexagone, nous avons vécu sous la protection de l’État-Providence. Nous nous sentions protégés, bien au chaud, baignés dans la tiédeur de l'irresponsabilité. L’idéal égalitaire et redistributeur de l’état total supplantait son modèle imparfait, l’idéal solidaire prôné par l’église. L’auto-organisation sociale, portée par le mouvement coopératif et mutualiste, était soupçonnée de relents passéistes. L’action venant de la base, qu’elle soit économique, culturelle, humanitaire, était méprisée du nom d’initiative "privée".
          Les institutions étaient omniprésentes, incontournables, indispensables. Nous attendions d'elles notre bonheur, avec impatience. On les insultait quand elles ne parvenaient pas à nous satisfaire. Que fait la police ? Que fait la justice, Pôle Emploi, l'Education Nationale, mon député, le gouvernement ? On ne s’apercevait pas encore que les institutions étaient devenues lourdes, très lourdes. Le Service Public avait bel et bien remplacé Dieu, mais il existait encore des lacunes dans le paradis républicain.

          La révolution technologique nous a réveillé. Elle nous a remis sur la route de l'autonomie, là où la révolution sociale s'était arrêtée. Les nouveaux moyens de communication, conjugués avec les circuits courts, nous ont réappris la décision individuelle. Ils ont permis de réapprendre les contacts directs, sans intermédiaires publics ou privés. Plusieurs d'entre nous se fournissent directement en légumes chez le paysan. Significativement, ils ne se préoccupent plus outre mesure des normes de qualité. La confiance entre producteur et consommateur a réveillé le sens de la responsabilité de l'un et de l'autre. Elle a remplacé la protection tatillone des institutions de surveillance. D’autres signent des pétitions en ligne, sans passer par des partis politiques. On échange des biens sur internet sans passer ni par la TVA, ni par des procédures compliquées. On se fie à la réputation donnée par les acheteurs précédents.
          Les institutions intermédiaires permettent de rendre vivable une société de méfiance généralisée. Ces institutions deviennent-elles trop onéreuses ? La méfiance devient-elle insupportable ? Toujours est-il que les relations communautaires, basées sur la confiance, progressent. Parallèlement, les institutions déclinent, en puissance comme en légitimité.
          L’église au XIXème siècle et l'état au XXème siècle étaient des écrans, l’un entre Dieu et nous, l’autre entre la société et nous. Le cléricalisme est moribond. La laïcité, qui est le clergé de la république, retient nos regards ces temps-ci, en passant de gauche à droite. Mais, pour beaucoup d'entre nous, ces corps intermédiaires ne sont plus que deux points à l’horizon, dans nos rétroviseurs.

          Il est grand temps que les Bretons prennent en compte cette évolution, en particulier dans le domaine de la diplomatie. Celle-ci est vue comme une fonction régalienne, c’est-à-dire réservée à l'état. La désinstitutionnalisation désacralise les fonctions régaliennes. Certes, le processus met du temps à s'imposer, en raison peut-être du respect bien connu des Bretons envers le sacré. Je m’aperçois que, parmi nos indépendantistes bretons, bien peu se préoccupent des activités régaliennes. Comme les autonomistes ou les régionalistes, ils semblent considérer que l’état français est un interlocuteur incontournable. Les indépendantistes se distinguent par une attitude cassante et colérique. Ils multiplient les clins d'oeil pour dire qu'ils ne croient pas que la France puisse faire quelque chose pour la Bretagne. Cette posture du révolté désabusé les fait apparaître pour des irresponsables, alors qu'ils réclament la plus grande responsabilité qui soit : la charge de prendre des décisions souveraines.
                    Les Breiz Atao, dans les années 30 et 40, agissaient en indépendantistes. Ils s’étaient adressés directement à des puissances "étrangères", c'est-à-dire au delà des limites françaises. Scandaleux. Impardonnable. C’est cette transgression, et non leur importance numérique, qui les a fait entrer dans l'histoire. J’ai eu l’audace juvénile, au tournant des années 80, de participer à une autre tentative diplomatique, dirigée vers des gouvernements plus à gauche, mais aussi peu recommandables que les interlocuteurs de Breiz Atao. Sans aucun succès... Heureusement, malheureusement ? Peu importe désormais. En tout cas, adieu l’histoire.
          Aujourd’hui, compte tenu du déclin français, la diplomatie bretonne peut à nouveau émerger. Elle doit s’adresser directement à des puissances étrangères, mais celles-ci ne sont plus seulement des états. Demander à l’état turc de soutenir les minorités de l’Hexagone ne manquerait ni de pertinence, ni d’à-propos ; l’efficacité reste à vérifier. Cette logique irlandaise, qui est de considérer les ennemis de nos ennemis comme des amis potentiels, demande à être approfondie. Beaucoup d’états, qui auraient de bonnes raisons de clouer le bec à la France, ont accumulé une dette et des obligations complexes, qui leur interdisent de pointer la minorité bretonne, même lorsque la France pointe leurs manquements envers les minorités.
         
          La diplomatie n’est plus ce qu’elle était. Nous vivons une époque où la puissance des entreprises peut rivaliser avec la puissance des états. La diplomatie bretonne peut donc élargir sa cible. Elle gagne du même coup en sécurité. Négocier pour le développement culturel, linguistique ou politique de la Bretagne avec les gouvernements chinois ou canadien pourrait être vu comme un crime d’intelligence avec des puissances étrangères. Elle est alors passible de prison. Le jeu peut être excitant, mais il faut du courage et donc tout le monde ne peut pas se le permettre. En revanche, conclure un accord de mécénat avec une entreprise chinoise –fut-elle dirigée par le parti au pouvoir-, avec une entreprise turque ou avec une entreprise anglophone du Québec, ne crée pas d'inconvénient d'ordre légal.

          Ainsi évoluent les concepts, selon l’évolution du monde. Ceux qui envisagent aujourd'hui de construire une diplomatie bretonne ont de beaux coups à jouer.
JPLM
Diplomatie


Retour
Mercuriale février 2012