MERCURIALE DE JANVIER 2012

Produit en France, Produit en Bretagne

Je_relocalise           "Produit en Bretagne" est une organisation qui a réussi à rassembler des entreprises concurrentes. Ces entreprises partagent néanmoins une même vision, qui peut se résumer en 2 phrases : (1) la Bretagne a un futur (2) Nous voulons jouer un rôle dans la construction de ce futur.
          L’enquête TMO 2011 fait apparaître une forte notoriété en Bretagne (97%) et une notoriété inattendue en Ile de France (49%). L’indice de satisfaction est de 89% en Bretagne, 68% en Ile de France. 69% des consommateurs considèrent qu’acheter des produits portant le logo "Produit en Bretagne", c’est faire travailler des entreprises qui respectent leurs salariés.

          La réussite de ce label est liée à l’existence d’une forte identité bretonne, qui permet le développement d’un marketing tribal. A la différence du marketing classique qui vise à établir des liens entre un produit et des consommateurs, le marketing tribal vise à établir des liens entre consommateurs à travers un produit ou une marque. Ceci suppose, soit de créer une communauté, soit d’utiliser des liens communautaires existants.
          Peut-il exister un marketing tribal adapté à "produire français" ? Il faudrait qu’il existe une communauté France, un sentiment d’appartenance communautaire. Or la France s’est construite d’abord et avant tout comme une puissance politique. Robespierre a exprimé clairement cette conception de la nation, à la fois démocratique et bureaucratique : "Tous les hommes nés et domiciliés en France sont membres de la société politique, qu’on appelle la nation française" (Discours, novembre 1790). Certes, un enthousiasme national, porté par des Girondins, a t-il été populaire. On en retrouve les échos chez Renan : Avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire encore. Mais l’appartenance communautaire est incontrôlable par la machine étatique. La solidarité, quelle que soit son objet et son étendue, crée un risque révolutionnaire. La France ne veut connaître que des individus, des particules élémentaires. C'est un pays où, comme disait encore Renan, on naît orphelin, on reste célibataire et on meurt sans enfants. Ainsi, avec le temps et l'exercice du pouvoir politique, le républicanisme français est-il passé de l’enthousiasme à la conviction, puis au consentement, puis à l’obéissance. Aujourd’hui, être républicain français, c’est abdiquer son identité profonde au nom d’une identité de superficie. Cette identité de superficie est la seule qui soit reconnue officiellement. Elle est octroyée et non pas choisie.
          Dans un monde ouvert, l’abdication des Français signifie la fin de la France. D’aucuns s’en indignent. Ils voudraient remonter la pente. Ils voudraient faire le chemin en sens inverse : refuser l'abdication, passer de l’obéissance au consentement et à la conviction, jusqu’à l’enthousiasme pour les plus extrêmes. Le vocable "citoyen" tente de susciter une appartenance et une solidarité communautaire, sans remettre en cause le cadre administratif de la société politique chère à Robespierre. Cette contradiction est fatale. Elle empêchera la manoeuvre de fonctionner. Pourquoi ? La démarche communautaire est une solidarité collective fondée sur la liberté individuelle. La démarche citoyenne est, elle aussi, collective. Mais elle est plombée par un impératif de synchronisation qui ne peut être fondé que sur l'obéissance. Elle dégage une odeur de sacrifice. La démarche communautaire bretonne rassemble une farandole d’identités, d'énergies et d'initiatives individuelles. La démarche citoyenne française est un four dans lequel les identités et les initiatives individuelles doivent se fondre. Nos bons citoyens n’osent plus parler de devoir civique, qui rappelle les boucheries guerrières auxquelles nos parents et grands-parents ont été conviés. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. La démarche citoyenne voudrait se situer entre la démarche administrative et la démarche communautaire. Elle voudrait cumuler les avantages de l’une et de l’autre. Elle retombe fatalement dans la démarche administrative. Le citoyen, qui se prend pour le sans-culotte de ses livres d'école primaire, n'est qu'un pantin aigri. L'imagination, la liberté, l'initiative ne sont pas de son côté.
          On comprend intuitivement ce que veut dire Produit en Bretagne, comme on comprend ce que voudrait dire Produit en Corse, Produit par les Alsaciens, Produit chez les Basques. On y ressent la liberté de choisir, la volonté de bien faire, le plaisir de le faire savoir. C'est ainsi que les identités collectives sont devenues les limites du capitalisme mondialisé. Les frontières administratives ne le sont pas. Les antilibéraux pragmatiques devraient favoriser le modèle Produit en Bretagne. Mais, quand ils sont Français, ils sont généralement liés, par des préjugés et des intérêts, à la machine administrative qui a défini leur identité. Leur protectionnisme, basé sur la règlementation, n’est pas une alternative crédible au mondialisme. Nous autres Bretons, nous y sentons l’éternelle arrogance française, le centralisme bureaucratique, l'aversion pour les solutions venues d'en bas, le besoin de faire marcher tout le monde au pas. Le patriotisme économique ou le "produire français" sont des locomotives bruyantes et fumantes, mais condamnées à rester à l’arrêt.
          Le souverainiste-antilibéral, personnage répandu en France de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, est la forme actuelle d'un archétype français bien connu. Il est le descendant des généraux rigides et incapables de 1870, de 1914, de 1940, des guerres coloniales. Il annonce une catastrophe à la fois sociale, économique et morale, dont les Bretons doivent s'éloigner.
          Les solidarités communautaires peuvent limiter les ravages du capitalisme mondialisé et faire naître de nouveaux modèles de développement local. Les frontières administratives et les démarches citoyennes n'ont pas cette capacité.
JPLM

Retour
Mercuriale janvier 2012