MERCURIALE DE NOVEMBRE 2011
Y a-t'il une vie après l'état-nation ?
Les évolutions sociales et technologiques ont fait
émerger
de nouvelles façons de s’organiser
démocratiquement. Alors que les
états-nations, paralysés par un empilement d'institutions, s’affichent comme des structures du
passé, la vieille
revendication bretonne hésite à choisir entre
état et nation. L’étatisme se
cristallise en France dans le culte républicain, que personne n'ose
contester. Les mythes de 1789 sont sacrés. Un
républicanisme chimiquement pur est revendiqué à la fois
par les communistes et le Front National, la
gauche de repli et la droite antilibérale.
Le nationalisme, qui s’est
jusque là confondu avec
l’étatisme, peine à se définir. Face
à la fermeté et à la structuration des partisans
d'un état fort, les nationalistes font figure de poètes
libertaires, d'exaltés, d'idéalistes.
Que peuvent revendiquer les
Bretons pour la nation bretonne ? Plus personne ne sait ce
que signifiera dans l'avenir "indépendance" ou
"souveraineté". L’indépendance
d’un Etat européen ne peut plus s’envisager
de la même façon qu’au temps des vieux Breiz Atao.
Ceux-ci étaient de leur
temps, on ne peut leur enlever cela. Ils voulaient un
état-nation breton,
indépendant et souverain, conscient de sa
supériorité, avec sa monnaie, ses lois propres, sa
langue, ses frontières. Ils vivaient à
l’apogée
de l’état-nation autoritaire, qu’il soit
républicain, communiste ou fasciste.
Cette époque est révolue. Les "valeurs" d’alors
n’ont plus aujourd’hui de signification. L’histoire, comme disait un penseur
barbu, ne se répète qu’en farce. Notre monde n’est plus celui des vieux Breiz
Atao. Construire la Bretagne se fait aujourd’hui dans un contexte nouveau qui
est celui du déclin des institutions, de la mondialisation, des crises
économiques et financières, du nomadisme généralisé.
En Europe et donc en
Bretagne, la législation est issue de
directives européennes. L’économie dépend de
plus en plus de stratégies
d’entreprises transnationales. La finance est liée
à des marchés
internationaux. Il est impossible de définir la France ou la
Bretagne par une
monnaie, une législation, une religion. Il est impossible
de définir un Français
ou un Breton par des traits physiques, une couleur de peau, une langue, des coutumes particulières. Les vieux
livres de géographie nous feraient rire si Hitler n'avait pas
existé.
Il ne faut pas
jeter
le
bébé avec l’eau du bain, dit-on.
L’eau du bain, c’est le pouvoir étatique, ce sont
les institutions. Cette eau, dont la tiédeur endormait le
bébé, s’écoule jour après jour par le
trou de la dette publique. Le bébé, ce sont les nations,
les communautés
humaines. Elles apparaissent dans leur nudité, comme les récifs
quand la mer descend. Elles font peur à ceux que
l'autorité de l'état rassurait, et qui
ne voudraient voir qu'une mer sans récif. Un monde
d'institutions, une société esclave de son image
dorée, une humanité calibrée.
L'état-nation a su exalter
les différences collectives. La nation produisait la
différence et l'état produisait le conflit. On mourait
alors en se battant contre les féroces Allemands ou les maudits Anglais. Les
conflits ne sont plus envisageables de la même manière,
mais l'agressivité humaine est toujours la même. Elle reste aussi forte. Vers où
va-t'elle s'orienter ? Le
métissage généralisé conduirait
à
généraliser les conflits basés sur l'argent et le
pouvoir, valeurs universelles et partagées.
Les esprits plus abstraits, mais tout aussi agressifs,
combattraient au nom d'un idéal
mondialisé, l'égalité, la paix, le socialisme.
Mais ces conflits sans fin sont-ils vraiment l'avenir de
l'humanité ?
Je comprends que, devant la montée des individualismes, on puisse
regretter l'époque des états-nations. Mais attention...
Les Bretons ont un penchant pour la nostalgie ; je les
adjure à ne pas pleurer ce bon vieux temps. Ils ont aussi un
penchant à se
sacrifier pour des causes perdues ; je leur conseille
d’éviter cette
cause-là. Mieux vaut construire pour les nations un nouvel
écosystème, moins
cloisonné, moins uniformisant que le vieil état
républicain centralisé.
Comment construire
ce nouvel écosystème ? Il faut porter son regard au
delà de la pyramide des institutions, vers le monde associatif,
le monde économique, le monde artistique et culturel. Il faudra
se parler, se comprendre. L'autorité n'est plus un moteur social. On ne réforme pas
l’enseignement contre les enseignants. On ne
changera pas l’agriculture bretonne contre les agriculteurs. Les
vieilles
recettes idéologiques ou économiques liées
à l'état-nation, basées sur la contrainte,
ne sont plus que radotages et complaintes du passé.
L'appel à l'abnégation ne marche plus.La
vieille taupe
révolutionnaire qui creuse patiemment et le rentier
réactionnaire qui amasse tout aussi patiemment sortent l'un et
l'autre de l'histoire. Regardons
autour de
nous ! La nouveauté a pris le pouvoir.
Dans le monde économique, les grandes fortunes
mondiales sont des
fortunes récentes. En politique, sur 193 états
présents à
l’ONU, 126 ont moins de 60 ans. Les
succès des révolutions économiques et politiques
ne s’expliquent aujourd’hui
que par l’innovation et l’audace. Autrefois, il fallait
diviser pour régner. Aujourd'hui, pour prendre le pouvoir, il
faut posséder l’art de coaliser
ceux qui ne s’étaient
jamais parlé auparavant : par exemple investisseurs et
créateurs déjantés autour d'un projet de start-up.
L’indigné
prévisible fait généralement partie des martyrs
devant lesquels on s'incline, mais qui ne nous font pas rêver.
Dans cette même étrange guerre, l’innovateur
imprévisible est un maquisard, qui se donne une chance de s'en
sortir, le plus souvent avec d'autres qui rêvent comme lui. Le
vainqueur potentiel
n’est plus celui qui bâtit patiemment un nouveau rapport de
forces. C'est celui
qui transforme le rapport du faible au fort en un rapport du mobile
à
l’immobile, du rapide au lent, de l’insoumis au soumis, du
fou au conformiste.
En Bretagne, cette
situation inédite oblige à des échanges
difficiles mais nécessaires entre libéraux et
antilibéraux, écologistes et agriculteurs, fonctionnaires
et indépendants. Il faut que se rencontrent, dans les plis du
Gwen ha du, les mobiles, les rapides, les insoumis, les fous de toutes les anciennes catégories. Cette
confrontation nécessitera à
tous du courage, mais devrait aboutir à des solutions
inédites. De telles rencontres éveillent
plus d’espoirs pour notre pays que les mornes certitudes des uns
ou des autres.
Pour l'avenir de la langue, de la culture, de notre économie, de la communauté
bretonne, il existe des solutions plus prometteuses que l'obtention
d'un statut officiel ou la perspective de devenir soit un martyr, soit une institution
vénérable.
Une république existe dans des réalités diverses, avant
d'obtenir une reconnaissance officielle. Il n'y
a jamais de reconnaissance s'il n'y a pas une existence
préalable. Nous devons faire fonctionner la Bretagne de
façon autonome, au point de vue économique, social et
culturel. Laissons à ceux qui nous remplaceront les plaisirs
mondains de voir la Bretagne reconnue par la France. Nous avons mieux à faire.
JPLM
Mercuriale novembre 2011