MERCURIALE DE JUIN 2011
Où est donc le pouvoir ?
« Le pouvoir est au bout du fusil ! »
scandaient les révolutionnaires des années 70. Ils n’ont pris ni les
fusils ni le pouvoir.
Aujourd’hui, où est donc le pouvoir ?
Le pouvoir est-il au bout des
communautés virtuelles ? Dans
les pays arabes, des régimes forts s’effondrent en
quelques semaines sous la
pression de jeunes gens technologiquement avancés.
Ceux-ci ont fait passer dans le monde réel les
habitudes prises dans les mondes virtuels. Facebook devient une
arme de guerre. Les
spectateurs applaudissent, mais on ne sait si c’est
l’exploit technologique ou
la volonté révolutionnaire. Les médias,
goguenards, nous dictent les raisons
impératives que nous avons désormais de haïr Ben
Ali, Khadafi ou Moubarak. Ces raisons
sont aussi nombreuses et aussi impératives que celles
qu’ils nous donnaient
hier de les respecter. Ces gouvernements étaient certes un peu
brutaux et
passablement corrompus, mais ils étaient laïques et
républicains, nous
expliquait-on. Ils étaient nos garants contre le mal
absolu :
l’anti-occidentalisme de Ben Laden. Les médias nous
donnaient alors des leçons
d’intelligence stratégique. Ils nous donnent maintenant
des leçons
d’indignation. Demain, n’en doutons pas, ils nous donneront
de nouvelles leçons.
Le pouvoir est-il au bout de la sécession ? C’est ce
qui s’est passé récemment au Soudan. C’est ce qui pourrait bien se passer en
Lybie. C’est ce que cherchent désespérément les Palestiniens. Attendons de voir
ce qui se passera à Barcelone, en Ecosse ou chez nous, lorsque les communautés
virtuelles rejoindront les communautés culturelles.
Le pouvoir est-il au bout du scandale ? La démission du
directeur du Fonds Monétaire International fragilise les pays de la vieille Europe. Que va
devenir la Grèce ? Au-delà des diverses prises de position, l’affaire
Strauss-Kahn a provoqué un choc mystique assez troublant. L'homme riche et respecté
est devenu une sorte d’antéchrist. Il y a 2000 ans, le sacrifice de l’un avait
sauvé l’humanité. On nous suggère que la faute de l’autre pourrait damner un
parti, un pays, ou même tout un continent.
Les pouvoirs que l’on nous
présentait comme des citadelles
imprenables tombent comme des châteaux de cartes. Dans le
même temps, les
Français rêvent de faire de leur république une
forteresse, qui résisterait au
tsunami de la mondialisation. Ainsi devaient raisonner les peuples
d’Afrique et
d’Asie face à la colonisation. Les Européens
deviennent, pour les Brésiliens, les Indiens ou les Chinois,
leurs "populations d'outre-mer".
Emportée par la
révolution mondiale, la République française est,
peu ou prou, en situation de défense et
d’incompréhension. L’idéologie
républicaine est
devenue une idéologie réactionnaire, plus encore
qu’aux USA. La différence avec
les USA est qu’il n’existe pas d’alternative
démocrate. Et qu’on ne me dise pas
que la gauche républicaine joue ce rôle ! Les
leaders politiques français ne sont
pas des Obama en puissance. Ils n’ont pas l’optimisme
enthousiaste des
Yankees. Quand ils disent "Yes we can !", on ne sent pas une
volonté partagée. Ils ne veulent pas être
accusés d’être naïfs, alors ils se
méfient de tout, y
compris de leurs proches. Leurs combats sont des combats
défensifs, qui
ressemblent de plus en plus à des aspirations
conservatrices : défense des
services publics ; défense des retraites ;
défense des acquis
sociaux. Je n’en nie pas la pertinence ! Je constate seulement
que le projet d'un monde nouveau a disparu, écrasé par la
défiance, les égoïsmes
corporatifs, la peur, l’incompréhension du monde tel
qu’il va.
Les "valeurs républicaines" sont les vieilles bouées d'un
bateau qui prend l'eau. Il n'y en aura pas pour tout le monde.
Le pouvoir serait-il au bout du compte bancaire ? Pour
faire trembler les banques, Eric Cantona avait préconisé que les épargnants
retirent leur argent le même jour. Belle idée. Mais la difficulté est
évidente : pour le mettre où ? Dans un coffre ? Pourquoi pas,
mais les inconvénients sont énormes. Dans une autre banque ? Absurde…
Le pouvoir serait-il au bout de la dette publique ?
Alors que l’État français est alourdi par une dette considérable, il ne faut
pas oublier qu’il existe des créanciers. Pour l’instant, ceux-ci restent
silencieux. Mais ce n’est pas un volcan éteint. Les créanciers de la République
française sont essentiellement les Français eux-mêmes. Ils achètent les
obligations d’État, le plus souvent sans s’en rendre compte, à travers leurs
assurances-vie. La belle idée des bobos d’annuler la dette publique française
reviendrait d’abord à faire s’évaporer les assurances-vie des classes moyennes.
Les réprouvés, tous
ceux qui sont taxés dédaigneusement de
communautaristes, pourraient faire trembler, non pas les banques, mais
la
République. Il leur suffit d’agir sur leurs
assurances-vie, en même temps et le
même jour. Simplement et pour ne rien perdre, il leur serait
possible de
transformer le profil de leur épargne. Ils en exclueraient les
obligations
d’État, ne serait-ce que pendant un mois. Il faut mieux
éviter, pour cette
migration, les périodes de crises économiques
aiguës. Actuellement, il est
possible d’en faire une opération rentable.
Il existe des solutions plus
permanentes. Les banquiers et
les assureurs qui proposent des assurances-vie laissent le choix du
dosage
entre les obligations d’État et les actions de grandes
entreprises. Mais
regardons autour de nous ! Notre territoire breton ne vit ni de la
générosité de l’État français,
ni de la sollicitude des grandes sociétés cotées
en Bourse ! Il vit à travers un réseau de petites et
moyennes entreprises,
d’associations, de coopératives. Nos économies
seraient bien mieux placées dans
ces entreprises locales. Ce serait un choix à la fois pertinent
et éthique.
S’insurger contre les délocalisations est une imposture si
on ne relocalise pas
ses propres économies.
Il existe des solutions structurées. Pour les fortunes
conséquentes, ce sont les associations de « business angels » locaux.
Elles sont présentes dans les cinq départements bretons : Armor Angels,
Bretagne-Sud Angels, Logoden, Finistère Angels, ABAB.
Pour les moins fortunés, il existe les CIGALES (Clubs d’Investisseurs pour une Gestion
Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire). Bon, d’accord, pour obtenir un
acronyme qui évoque le paradis ensoleillé, c’est un peu tarabiscoté… Mais le
fait est là. C’est nouveau et ça se développe. Les Cigales relocalisent
l’épargne et son utilisation, tout en favorisant les projets économiques
éthiques. Il en existe un peu partout en Bretagne.
Vivre hors du pouvoir des banques et hors de l’emprise
étouffante de l’État français… Au-delà
des hypocrites pétitions de principe, les Bretons ont déjà des outils pour
avancer concrètement dans cette voie.
JPLM

Mercuriale juin 2011