Tout le
monde comprend qu’une campagne de presse qui aurait pour slogan « Il existe des
banquiers juifs » ou « certains récidivistes sont des musulmans » ne serait pas
sans arrière-pensées. Le promoteur de la campagne pourra néanmoins affirmer que
ce qu'il proclame est une vérité incontestable. Qu'il n’attaque ni les juifs ni
les musulmans. Il pourra même se retourner contre vous. Espèce de paranoïaque,
esprit mal tourné !
Il a existé par le passé des hystéries
collectives. Certains groupes humains étaient désignés comme des tueurs
d'enfants. Aujourd'hui, le fantasme n'a pas disparu mais on sait être plus
subtil, comme le montre la première affiche ci-dessus. L'hystérie collective se
porte bien. La nouvelle laïcité parisienne (voir les mercuriales de janvier 2011 et de mai 2010) voudrait nous enrôler dans la
guerre des civilisations. L’écologie républicaine (voir la mercuriale de
septembre 2010) appelle à une
autre guerre des civilisations, l'urbaine contre la rurale.
Naguère, d’autres étaient venus pour dénoncer le commerçant voleur ou le
fonctionnaire fainéant. De nouveaux gourous bas de plafond sont apparus, qui se
font une spécialité de dénoncer le paysan pollueur.
Un cochon de
cent kilos peut disposer d’une station d’épuration
dernier cri ; il ne sera jamais fécalement correct face
à un parisien du même poids. Celui-ci vient se
soulager dans des stations balnéaires dont la population
décuple tous les étés ;
L’épuration locale est-elle dimensionnée pour de
tels écarts ? Personne ne s’en préoccupe, dans
la mesure où le pollueur est désigné
d'avance. C'est le cochon ; ce n'est pas le touriste en surnombre.
Dans certains
villages côtiers, les élus municipaux ont trouvé la solution. Ils sous-traitent
l’épuration à l’éleveur de porcs local et à sa station dernier cri. Et ça marche
! Mais, pour le Français moyen, mettre en compétition le paysan breton avec
Veolia est proprement inimaginable. Il faut respecter les hiérarchies : les
champions nationaux, publics ou privés,
ne doivent pas être contestés. Tout doit être décidé entre gens de bonne
compagnie, qui parlent un français sans accent et vivent dans la
capitale.
Les Bretons ne sont pas masos. Ils
veulent vivre dans un pays attrayant, prospère et solidaire. Cela passe par la
discussion et la confrontation d’intérêts différents. Eh oui, les intérêts sont
différents, parfois contradictoires. En démocratie, l’intelligence et la
confiance sont les conditions du progrès.
A côté de
cela, il existe une posture bien française, dont la réputation d'arrogance n'est
plus à faire. "Vous êtes Bretons ? Ce sont les
Français qui commandent !" disait Mirabeau. L’objectif n’est pas de
trouver une solution, mais de trouver un coupable et de s’en tenir là. C’est
très citoyen, très bonnet-phrygien. On
se veut coq gaulois, on se dresse sur ses ergots. Ecoutez mon ramage ! Admirez
mon plumage ! Avec ses affiches, France Nature Environnement est sur le
terrain de l’écologie ce que Riposte Laïque, avec ses apéros
saucisson-pinard, est sur le terrain de la laïcité. Aux uns les
agriculteurs, aux autres les musulmans.
L’écologie
républicaine s’appuie sur des scientifiques du même métal. Comparons un instant
la Météo et Ifremer. Après des tempêtes meurtrières, la Météo a pris conscience
de sa responsabilité sociétale. Elle ne se contente plus d’analyser. Elle
s’engage. Elle envoie des bulletins d’alerte aux pouvoirs publics locaux. Elle
offre des services utiles aux agriculteurs et à tous ceux dont l’activité dépend
du temps qu’il fait. Les chercheurs de l’Ifremer ont étudié la toxicité des
algues vertes. Ils n’en ont déduit pour eux-mêmes aucune responsabilité, en
particulier pour élaborer des protocoles de manipulation et de transport. Alors
que des vies sont en jeu, ils se contentent de pointer la responsabilité
sociétale des autres. Facile, confortable, mais surtout
inquiétant...
Le principe de subsidiarité a été
énoncé comme la base du fonctionnement de l’Union Européenne. Il pose que tout
doit être résolu par l’organisation compétente la plus proche du problème.
Inutile de faire remonter au niveau de l’État ou de l’Union ce qui peut être
résolu localement.
Le principe de subsidiarité est contrarié,
non seulement par la bureaucratie centralisatrice, mais aussi par des intérêts
privés ou associatifs. C'est ce que nous appellerons le Constat de séparisianisme (pour
reprendre un mot de Claude Champaud), et qui peut s'énoncer ainsi :
TOUT PROBLEME RÉGIONAL CONFIÉ A
UNE INSTANCE PARISIENNE, PUBLIQUE, PRIVÉE OU ASSOCIATIVE, DEVIENT INSOLUBLE.
Le passage par Paris introduit dans la
boucle des intérêts puissants, non plus pour résoudre, mais pour exploiter le
problème. Avocats à la recherche de coupables et non à la recherche de
solutions. Politiciens, ONG, associations, vedettes de médias qui savent que la
dénonciation est un chemin de traverse vers la notoriété. Fournisseurs et
importateurs agro-alimentaires, pour qui les Bretons sont des concurrents.
Gourous de l'écologie qui, hier encore, dénonçaient la présence d'un maout lors des finales de gouren, et aujourd'hui les éleveurs de porcs.
Pas un mot, pas un geste sur les concentrations citadines (voir deuxième
affiche). C'est aux ploucs d'absorber les déchets et les métaux lourds des
villes. Gare au paysan breton, trop moderne et pas assez dépendant du marché
petit-bourgeois ! Gare aussi au pêcheur normand si le poisson est pollué en aval
de Paris ! Pour sauvegarder la bonne conscience parisienne, on dénonce tantôt
l'origine de la pollution, tantôt la victime.
La
question de l’agriculture et de l’environnement en Bretagne ne sera pas résolue
par des élites parisiennes. Leur intérêt
n'est pas de résoudre, mais d'exploiter les problèmes qui leur sont soumis. De
toute façon, ces élites ne sont pas directement concernées ; la Bretagne est
loin de leurs appartements. La confrontation entre acteurs locaux, agriculteurs
et membres de la société civile, est détournée vers les tribunaux, les médias et
la société du spectacle. Chacun la met en scène dans son théâtre, son studio,
son meeting. Les Bretons sont sommés d’y tenir un rôle rigide et caricatural, et
de s'entredéchirer.
Les temps sont durs pour le
touriste parisien. Ses vacances en Tunisie et en Egypte sont gâchées par la
chute des dictatures. Pour que la Bretagne devienne une colonie balnéaire, il
n’imagine qu’une solution : une dictature de l'incompétence contre les éléments
vitaux de notre économie productive, la paysannerie et
l'agro-alimentaire.
Il a besoin de colonies balnéaires, je vous
dis. Il aime s'y pavaner, y faire ses crottes et s'y sentir supérieur. C'est
triste, mais il est comme ça ; on ne le refera pas.