MERCURIALE D'AOÛT 2010


« Le département, qu'on le remarque bien, est une unité toute factice, abstraite en quelque sorte et ne répondant pas à une réalité objective ; c'est pour cela même que la Révolution l'a substitué aux provinces, subdivisions très réelles, au contraire, obstacles insurmontables en ce sens à la constitution d'un pouvoir central, à l'établissement de la République une et indivisible »
Albert Regnard (1832 – 1903)

« Par la seule dictature morale et intellectuelle des grands centres, nous pourrons conserver la République de nos rêves, celle que nous voulons et qu'il nous faut : la république une et indivisible, démocratique et sociale »
Albert Regnard (1832 – 1903)


            Une institution dispose de plusieurs manières pour tuer une initiative populaire. Elle peut l’interdire, l’étouffer financièrement, créer une concurrence artificielle, en prendre le contrôle.
            La prise de contrôle semble avoir les faveurs du Conseil régional. Ainsi la Fest-Yves, initiative populaire, est-elle devenue une sauterie officielle sous le nom insipide de "Fête de la Bretagne". Les voltairiens de province ne pouvaient tolérer une festivité incontrôlée, placée sous le patronage d’un individu trop généreux pour ne pas être suspect. On voit par là que la laïcité, c’est comme la diététique : Au départ, c’est bon pour la santé mais il ne faut surtout pas en abuser.
            L’Institut Culturel et le Conseil Culturel ont été eux aussi récupérés par l’institution régionale. Promotion ? Cela ressemble plutôt à ce que les inventeurs du principe de Peter nomment la sublimation horizontale. C’est une façon élégante de neutraliser un cadre d’entreprise à fort potentiel en lui offrant un poste brillant mais coupé des décisions stratégiques. Espérons pour eux qu’ils ne se contentent pas de cette sublimation. Sinon, dans quelques mois, ils ne seront plus grand chose.

            Qu’en est-il dans les départements ? Dès le départ, ceux-ci ont été créés pour détruire l’initiative locale, surtout au sein des communautés humaines habituées à se gérer elles-mêmes. Personne n’en était dupe. Albert Regnard, jacobin actif sous la troisième république, communard rallié à Gambetta, l’a exprimé sans ambiguïté.
            Aujourd’hui, les départements restent fidèles à la mission que leur ont assigné les pères de la république pyramidale. Leur manière moderne à eux de tuer le dynamisme naturel est de "fédérer" les acteurs, c’est-à-dire de les faire pénétrer dans des labyrinthes institutionnels où ils seront durablement désorientés.
            Un bel exemple est le département 35. Ille-et-Vilaine … D’abord, disons tout haut ce que tout le monde pense tout bas : avec un tel nom, sorti d’un cerveau tordu, doublement nul en grammaire et en orthographe, bonjour l’identité positive !
            Eh bien, vous ne me croirez peut-être pas, mais les bureaucrates locaux veulent coller ce vocable poisseux sur les forces vives du secteur en créant un "guide de marque départementale". Les entreprises et les associations sont conviées à utiliser une série de signes extérieurs formatés. Cela indiquera leur allégeance à une institution finissante au nom improbable. Quelle preuve de dynamisme !
            En Bretagne, les signes de ralliement existent déjà, crénom ! Regardez autour de vous ! Vous voyez le Gwen-ha-Du flotter au festival des Vieilles Charrues, sur les matchs de foot-ball, au fronton des entreprises conquérantes. Il est brandi dans toutes les manifestations revendicatives. C’est normal. Tout le monde sait que c’est normal. Vous vous voyez agiter le drapeau de l’Ille-et-Vilaine pour défendre vos droits ou manifester votre joie ? Ridicule !
            Les crânes d’œufs qui se gonflent de marketing territorial devraient apprendre que, sur les territoires, il y a des hommes, des femmes, des entreprises, des associations et toute une société civile qui ne les ont pas attendus pour exister et pour se trouver des signes de ralliement. Le temps des identités subies, octroyées d’en haut, est terminé. "Vous êtes Bretons ? Ce sont les Français qui commandent !" disait Mirabeau. Vous êtes Ille-et-Villains ?… Il serait mort de rire. Les Bretons peuvent prétendre au commandement ; pas des créatures artificielles.
            Les parasites institutionnels voudraient nous faire croire qu’ils ont de bonnes intentions, qu’ils veulent et qu’ils peuvent mutualiser, fédérer les acteurs, créer des synergies. Impossible, voyons... Ils ne sont pas les éléments adéquats pour une telle alchimie. Un bureaucrate n’a jamais été et il ne pourra jamais être un catalyseur. Une courroie de transmission ne peut pas savoir et encore moins enseigner ce qu’est l’initiative.
            Un label calamiteux "Produit en Ille-et-Vilaine" peut il faire mieux que le label "Produit en Bretagne" qui, lui, est géré directement et démocratiquement par ses adhérents ? La toxicité de la sous-marque départementale est évidente.

            Les Anglo-saxons disent top-down pour caractériser le flux des décisions qui sont prises au sommet et descendent vers des exécutants. Ils disent bottom-uppour les initiatives venues de la base, que les hiérarchies acceptent de prendre en charge et de cultiver. Les mécaniques départementales ne sont pas profilées pour le bottom-up. Elles gèrent et elles assemblent des pièces, selon les contraintes venues d’en haut. Elles n'ont rien à voir avec les jardiniers qui veillent aux mystères de la germination. Ceux-ci savent qu'ils faut s'adapter quotidiennement au climat et au développement végétal.
            Personne ne peut ordonner ni la germination ni la floraison économique ou associative, sauf peut-être les acteurs eux-mêmes…
            Mais sûrement pas une bureaucratie d' "Ille-et-Vilaine".
JPLM
M. Tourenne

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Mercuriale Août 2010