MERCURIALE DE JUILLET 2010

                Les décideurs politiques qui se sont déclarés le plus fortement contre l’unité administrative de la Bretagne ont allumé un contre-feu. C’est le projet de métropole Rennes-Nantes.
            Certains y ont vu une avancée, de par le rapprochement entre Nantes et la capitale administrative de la Bretagne. Ils n’ont pas vu ce que signifiait, pour la Bretagne, la métropolisation de ses deux capitales historiques.
 
            La ville de Nantes, industrieuse et commerçante, a voulu sortir du réduit breton au 20ème siècle. Elle l’a fait sous Pétain. Elle veut aujourd’hui sortir du réduit des régions françaises. Ce sera peut-être sous Sarkozy, avec le nouveau statut des métropoles.
            Nantes se veut ville européenne, peut-être un jour ville mondiale. Avoir le destin de Venise au 14ème siècle ou de Hong-Kong au 20ème siècle, c’est là un rêve qui ne manque pas de grandeur. La cité, avec son arrière-pays et son prolongement dans l’estuaire, possède quelques atouts pour y parvenir. Nous ne pourrons pas, nous ne devons pas l’empêcher de rêver. Nous pouvons seulement lui rappeler qu’un jour Venise est redevenue une ville italienne et Hong-Kong une ville chinoise. L’une comme l’autre ont suscité pour longtemps la méfiance du pays. Le déracinement volontaire se paie amèrement quand réapparaît la nécessité des racines .
 
            Les villes qui se donnent de telles ambitions cherchent à s’extraire de leur territoire ou, ce qui revient au même, à le rendre inconsistant. Paris a défini autour de lui un territoire auquel elle nie toute personnalité. Que vous habitiez Saint-Brieuc, Pau ou Pézenas, Paris vous affirmera que vous habitez la province.
            Nantes se développe au sein d’une région administrative sans caractère, mêlant dans le même ragoût Bretons, Angevins, populations du Maine et du Nord-Poitou devenu Vendée. Les Pays de Loire, c’est sa province.
            La métropole Rennes-Nantes est de la même veine que le Grand-Paris. C’est le projet de se détacher d’un écosystème historique, celui des nations, pour accéder à un autre univers, celui des pouvoirs.
            Une nation se rassemble autour de valeurs non quantifiables : langue, religion, communauté d’histoire ou de destin, conception commune de la liberté ou de la justice. Une métropole se donne une identité basée sur des valeurs quantifiables : nombre d’habitants, puissance économique, tonnages produits ou échangés, flux monétaires.
            Une identité nationale est liée à une communauté humaine et à un équilibre territorial. C'est une vision de l’espace et du temps. Un projet métropolitain est un projet productiviste et, pourrait-on dire, hors-sol. Certes, une métropole a besoin d’un espace minimum. Mais son objectif n’est pas l’étendue ou l’harmonie de cet espace. C’est la concentration et l’organisation des pouvoirs, de la production, des connaissances. La nation se pense comme un écosystème durable. La métropole se pense comme une accumulation indéfinie. Ce sont deux conceptions de la vie, qui correspondent à des rêves d’hommes, à des ambitions, à des valeurs.
 
 
            Rennes pose problème. De par son histoire, sa dimension et sa localisation, elle n’a pas vocation à devenir une véritable métropole. Cela reste vrai même si la communauté d’agglomération rennaise est nommée dans la liste des onze métropoles du rapport Balladur. Le rapport lui donne néanmoins la condition de s’étendre, ce qu’elle ne peut faire qu’au détriment de l’équilibre territorial. Nantes peut attirer Rennes dans son rêve métropolitain en lui faisant miroiter des avantages fiscaux et économiques, s’ils concentrent à eux deux une population totale d’un million d’habitants. La Bretagne en tant qu’écosystème serait alors confronté à un corps étranger monstrueux qui peut provoquer son effondrement. C’est aussi le cas de la France face au Grand-Paris. Nos penseurs de la métropole Rennes-Nantes en importent le modèle. Ils en importent aussi l’admiration pour les grands chiffres, au dessus de toute autre considération. Ils sont prêts à sacrifier l’équilibre d’un territoire à une carotte que l’Etat français n’a sans doute plus les moyens de payer.
            Il existe heureusement un autre scénario. Nantes, avec le soutien des énergies bretonnes, pourrait tenir une place de métropole internationale, localisée dans un espace reconnu comme breton. Même si la cité est dotée d’un statut à part, cela ne remet pas en cause le maillage territorial. Un esprit ouvert sur le monde constate que la dualité New York-Washington fonctionne. L’une des cités est une ville maritime, métropole mondiale, l’autre est la capitale administrative de l’Union. Significativement, les pays qui émergent aujourd’hui sont configurés de la même façon : Shanghaï-Pékin en Chine, São Paulo-Brasilia au Brésil.
            A leur niveau, les départements bretons les mieux équilibrés territorialement sont aussi dans la situation de pôles économiques et administratifs séparés. C'est le cas du  Finistère avec le couple Quimper-Brest et le cas du Morbihan avec le couple Vannes-Lorient. Dans les périodes où Lannion s'épanouit économiquement, le département des Côtes d'Armor en est ré-équilibré.
 
            Le cauchemar de "Paris et le désert français" renaît avec le Grand-Paris. En Bretagne, nous devons accepter le rêve nantais, à condition qu’il soit un dépassement et non un reniement de son ancrage historique. Mais, pour éviter le cauchemar du désert breton, nous devons tuer cette grosse larve parasite que serait une métropole Rennes-Nantes.
JPLM
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Mercuriale juillet 2010