MERCURIALE DE MARS 2010


        L’esprit jacobin gâche tout. Pourtant, au départ, la réflexion se présentait bien…
        L’analyse du cycle de vie (ACV) permet d’évaluer les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un procédé. La réflexion écologique se structure et se diffuse au niveau mondial, à travers la norme internationale ISO 14044. Les bases méthodologiques et déontologiques se stabilisent.
        L’intérêt de la démarche est de s’adapter aux diversités de situations. Ainsi, plusieurs types d’impacts peuvent être retenus : l’effet de serre (chiffré en kg d’équivalents CO2) ; l’acidification (en kg d’équivalents H+) ; l’épuisement des ressources naturelles et la perte de diversité ; les risques d’eutrophisation ou de toxicité ; l’émission de composés organiques volatils ; etc.
        Ces impacts peuvent être hiérarchisés, afin de s’adapter aux problématiques locales ou régionales.
 
        Et puis, en France, les choses ont été prises en main par des bureaucrates. Ils ont limité la diversité d’approche à un seul problème, le réchauffement de la planète. Ils se sont polarisés sur un seul indicateur, l’émission de gaz à effet de serre. Ils ont breveté une méthode et même un nom, le Bilan Carbone®.
        Nous sommes loin du monde qui se construit hors du concept de propriété, que celle-ci soit individuelle ou étatique. Le Bilan Carbone® ne fait pas partie de l’univers du logiciel libre, du travail collaboratif ou de la démocratie participative. Les équations ne sont discutables qu’entre technocrates agréés par l’ADEME. C’est un pur produit institutionnel.
        Ceux qui militent pour la diversité, qu’elle soit biologique, linguistique, culturelle ou intellectuelle se voient confrontés à une nouvelle pathologie de l’alignement. Après l’alignement sur de fantasmatiques valeurs républicaines, après l’alignement économique sur le PIB et le profit financier, voici l’alignement carbonique.
 
        La mentalité jacobine a été un désastre pour les vitalités régionales. Elle ne laisse le choix qu’entre la soumission et la sécession. Cette mentalité est profondément enracinée dans les institutions françaises. Elle s’applique désormais aux mesures environnementales.
 
        Voici quelques effets de la pensée unique, version Bilan Carbone®, en Bretagne :
1 - Les marées noires ont permis d’améliorer le Produit Intérieur Brut de la Bretagne, dans la mesure où le PIB ne prend en compte que les flux financiers. Les marées vertes, qui piègent le gaz carbonique, améliorent le Bilan Carbone® breton, surtout si elles sont laissées en l’état sur les plages.
2 - Un poulet label ou un poulet bio élevé en Bretagne a un Bilan Carbone® défavorable par rapport à un poulet industriel brésilien. La raison en est simple. Le poulet brésilien vit et consomme pendant 8 semaines, à quoi il faut rajouter le bilan carbone lié au transport. Le poulet label vit 12 semaines, le poulet bio encore plus longtemps. Ils consomment beaucoup plus que le poulet industriel brésilien, compte tenu de la différence de durée de vie. L’émission de carbone lié à la production de cette nourriture supplémentaire est supérieure à celle du transport.
        L'intensification des productions animales est considérée par les institutions internationales comme la solution logique pour limiter l'émission de gaz à effet de serre. Il suffit de lire le rapport Lifestock's long shadow de la FAO (Food and Agricultural Organization) et en particulier ses conclusions. Toutefois, l'organisation filiale de l'ONU tempère ses recommandations. Contrairement au Bilan Carbone®, elle se donne aussi d'autres indicateurs comme la biodiversité, la lutte contre la pauvreté, la qualité des sols et de l'eau. Elle propose des approches régionales.
3 - Les races locales d’animaux d’élevage font partie de la biodiversité. Le seul indicateur Bilan Carbone® aboutit à sélectionner une seule génétique, une seule méthode d’élevage. Le productivisme, qui ne connaissait qu’un seul indicateur lui aussi, fonctionnait de la même façon. Pour l’apport énergétique, il condamnait la diversité des cultures fourragères face au maïs. Pour l’apport protéique, rien n’égalait le soja.
4 - Au kilo de produit vendu, la grande distribution est bien plus vertueuse carboniquement que les circuits courts animés par des myriades de paysans, même s’ils ne se déplacent qu’en Twingo.
5 - Les pédagogues connaissent la valeur des échanges directs en face à face. Or l’émission de carbone lié aux déplacements individuels des professeurs et des élèves est catastrophique. Au prisme du Bilan Carbone®, les cours par correspondance deviennent incomparablement plus vertueux que l’enseignement conventionnel.

        Contrôler l’émission des gaz à effet de serre est un objectif pertinent. Mais une pertinence limitée, celle du Bilan Carbone® comme celle du PIB, peut se révéler catastrophique. D’autre part, la Bretagne est confrontée à des problèmes environnementaux spécifiques : marées vertes, qualité de l’eau, destruction des paysages. L’autonomie des indicateurs bretons est une nécessité, tout comme est nécessaire l’autonomie politique ou culturelle de la Bretagne.
        Le Bilan Carbone® est une manifestation moderne du jacobinisme : c’est un indicateur à prétention universelle, créé par un processus bureaucratique centralisé, dans la plus pure tradition française.
        Par rapport aux savoirs institutionnels et républicains, l’écologie bretonne doit être une contreculture civile et démocratique.
JPLM

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