Mercuriale de novembre 2008

            Qu’est ce qu’un républicain ? C'est un individu bien réel, qui se promène tous les jours dans les rues. Toutefois, ce personnage ne correspond à aucun prototype universel. A Washington, c'est un conservateur. A Belfast, c’est un rebelle, longtemps hors-la-loi. A Dublin, c’est le tenant d’une tradition nationaliste. A Londres, c’est un original. A Paris, le républicain est un héritier de l’épopée qu’ont vécu ses ancêtres.
              Et en Bretagne ? L’épopée française est un peu la nôtre ; nous y avons pris part malgré nous. L’histoire républicaine fait du Breton le réfractaire, l’ennemi, au mieux le faire-valoir. Les exceptions ne remettent pas en cause la règle. Les efforts pathétiques de nos compatriotes, lorsqu’ils se présentent en modèles de républicanisme français, se heurtent dramatiquement à des stéréotypes dévalorisants. Ces stéréotypes font partie de l'imagerie républicaine française ; et ils sont plus forts que les convictions. Pour un authentique républicain français, un Breton sera toujours suspect.
            A Brest, Saint-Brieuc, Rennes ou Nantes, le républicain local n’est pas l’héritier. En ce domaine, il sera toujours inférieur au Parisien. Il n’est pas et ne sera jamais un apôtre ; seulement un converti.

            Que se passe-t’il lorsque le républicain breton se réclame d’une autre république, la sienne ? Une république bretonne ? Si la Bretagne, c’est la France, notre homme pourrait s’enorgueillir d’être un républicain de nature supérieure ; il serait partisan, non pas d’une, mais de deux républiques françaises. Mais non, ce n’est pas concevable. Une telle perspective est monstrueuse. République bretonne ! Qui peut lancer un tel cri ? Un visionnaire, un pervers ? Ou tout simplement un ivrogne, abruti de mauvais vin ?

            Si les républiques existent, le républicanisme n’existe pas en soi. Un républicain français ne se reconnait pas forcément en MacCain, candidat républicain à la présidence des USA. Bien des républicains hexagonaux proclament même que leurs valeurs sont opposées à celles des républicains d'outre-atlantique. Qu'est-ce alors qu'un républicain ? Restons en Europe, et comparons deux républicanismes proches dans l’espace et le temps, mais tellement différents ! La tradition républicaine française proclame la patrie en danger et brandit la menace de la guillotine. La tradition républicaine irlandaise apprécie la clandestinité et se méfie des automitrailleuses. L’un, dans ses écoles, impose pour modèle le sans-culotte parisien, petit bourgeois citadin, brutal et arrogant (voir l’étude Bastille). L’autre conserve en son coeur les francs-tireurs du Tipperary ou les maquisards du West-Cork, ruraux modestes et silencieux. L’un vénère Marat et Robespierre, deux orateurs sanguinaires. L’autre vénère un poète et un syndicaliste, Patrick Pearse et James Connolly ; frères d’armes fusillés en 1916.
            Le républicanisme français évolue rapidement. Nous ne sommes plus au temps où la République galvanisait ses administrés. Il y a cent ans, un français était fier de mourir pour elle. Effectivement, des millions d’êtres humains sont morts ainsi. Aujourd’hui, le républicain n’est plus le soldat glorieux, mais le conservateur désespéré d’un feu sacré qui s’éteint. L’épopée laisse place au drame et à la comédie. Nos gouvernants menacent d’arrêter les matchs de football lorsque la Marseillaise est sifflée. Les gouverneurs locaux de l’Éducation Nationale en sont, non pas à interdire la langue bretonne, mais à louvoyer pour en empêcher l’enseignement. Nous n’avons plus en face de nous une autorité, mais seulement un pouvoir. Bientôt, nous n’aurons plus que des manœuvriers.

            Quand nous demandions "respect", la France haussait les épaules et répondait "autorité". Aujourd’hui, c'est elle qui demande "respect". Il y a quelque chose de changé, quelque chose de fondamental.
           Les "valeurs républicaines" que l’on nous sert aujourd’hui de façon de plus en plus insistante, nous les connaissions sous d'autres noms. Longtemps, nous avons mis ces valeurs en avant, sans succès : respect, dignité, partage, non-violence, vivre ensemble, conscience, tolérance, valeurs morales. Nos poètes et nos militants ont inutilement gribouillé des pages qui étincelaient de ces mots-là. Nous les avons collé sur les murs, nous les avons crié lors de procès perdus d’avance.

            Respect, tolérance... Ils ont été les arguments des libertés bretonnes. Ils ont été les arguments des colonisés. Aujourd’hui, les défenseurs de la Marseillaise et de la République française se les sont appropriés. Nous ne pouvons pas les en empêcher. Mais le guerrier vaincu est-il crédible lorsqu'il critique la violence ? Le trader ruiné est-il crédible quand il remet en cause la folie des marchés ? Le colonisateur chassé est-il crédible quand il donne des leçons de démocratie ? Ceux qui persistent à chanter "qu’un sang impur abreuve nos sillons" peuvent-ils nous donner des leçons de respect ou de tolérance ?

          Les rapports s'inversent, et ce phénomène se manifeste par une inversion de langage. Le langage des valeurs serait-il le langage des agenouillés ? Devons-nous l'abandonner sans regret aux tenants de la Marseillaise et de la République française ? Grave question. Terrifiante question.
            Respect, tolérance... Nous y sommes attachés. Mais est-ce un horizon suffisant pour les bâtisseurs d’une nouvelle république ?
JPLM


PS : Malgré l'augmentation régulière du nombre de visites sur le site contreculture.org, le nombre de courriers de menaces ou d'insultes n'a cessé de décroître au fil du temps. Ainsi, au mois d'octobre, nous avons reçu, en tout et pour tout, seulement deux courriers de ce type. L'espoir de publier une anthologie de l'indignation citoyenne se fane. Que les amoureux de ce site se rassurent cependant ; nous maintiendrons notre ligne éditoriale.

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