Au cours des années 90, la gauche est passée de
l’anticapitalisme à l’antilibéralisme. Il est
vrai que le capitalisme a subi
une mutation. Naguère industriel et familial (les fameuses "200
familles"), il est devenu financier, anonyme,
joueur, imprévisible. Le capitaliste n’est plus celui qui
dirige une entreprise,
mais celui qui la finance. Et encore... Le nouveau capitaliste a un
terrain de jeux qui va bien au-delà de l'économie
réelle.
Le Front National, autrefois
ultralibéral, est lui aussi devenu antilibéral. Il a un
programme de nationalisations. Il veut un État fort et
redistributeur. Il est contre la loi El-Khomri. Le MEDEF en a peur.
Mais le Front National est aussi antilibéral d’un point de
vue ethnique (contre les migrants), culturel (contre le
multiculturalisme), moral (contre le mariage pour tous). Cet
antilibéralisme total peut être vu comme plus clairement "républicain" qu’une gauche
mélenchoniste, certes antilibérale sur
l’économie, mais ultralibérale sur
les terrains ethnique, culturel ou moral.
Quel projet pour la Bretagne ?
Le désarroi lié à la remise en cause du clivage
droite-gauche atteint aussi l’Emsav. Les organisations politiques bretonnes qui
sont nées avant la chute du mur de Berlin sont prisonnières du clivage et, à
mon avis, elles auront du mal à s’adapter.
Les militants bretons plus jeunes ou plus récents ne
se sentent pas limités par les anciennes contraintes idéologiques. Aidons-les
dans leur réflexion.
L'élection présidentielle nous a
américanisé, avec un clivage entre souverainistes et
libéraux qui ressemble au clivage américain entre
républicains et démocrates. Si l’on prolonge
les nouvelles lignes de force, le mouvement breton peut prendre deux
directions.
Je m’explique.
Le national-souverainisme breton est la forme classique de
la revendication bretonne, inspirée du républicanisme
français. C’est le combat pour obtenir des institutions
autonomes
et, à l’horizon, un État indépendant. Le
national-souverainisme attire
des nouveaux venus issus des classes populaires. Nous avons
remarqué ce
phénomène d’attraction lors du mouvement des
Bonnets Rouges.
Le nationalisme libéral est une forme
nouvelle, sans doute immature, de nationalisme. Il prend sa source dans
le mouvement "communautarien" qui a émergé aux
Etats-Unis, ainsi que dans les mouvements indigénistes. Ceux-ci
inspirent les avancées sur les droits des peuples autochtones
à l'ONU et dans divers pays. Les droits des communautés
progressent. Le communautarisme est un
spectre qui hante les républicains français. Ne nous
alignons pas sur eux. Cette étonnante convergence entre
aspiration communautaire et aspiration libertaire correspond à
un
changement de cycle historique.
Le cycle de la "modernité" est né au
15ème siècle avec la Renaissance et l’invention de l’imprimerie.
L’imprimerie avait permis la diffusion d’un message accessible à tous, mais
normalisé. Dans ce cadre ont pu émerger les institutions étatiques,
l’État-nation, la démocratie représentative, la production industrielle.
Le nouveau cycle historique nait avec la
globalisation et l’invention de l’internet. Dans ce
contexte se constituent des
communautés réelles et virtuelles, de nouvelles formes de
démocratie, des informations non contrôlées, des
alternatives à la production de masse.
L’objectif du nationalisme libéral est (ou
sera) d’inscrire la Bretagne comme un quartier du village global. L’objectif
est d’en faire une communauté à la fois réelle et virtuelle, avec ses
composantes historiques, économiques, culturelles, linguistiques. Une
communauté insolite au sein de laquelle il fait bon vivre. La question des
institutions devient secondaire par rapport à celles des initiatives
individuelles et collectives, qui sont à la source de projets structurants.
National-souverainisme et nationalisme libéral
sont deux aventures très différentes, encore plus différentes que ne l’étaient
les revendications bretonnes de droite et de gauche.
Les plus énergiques adopteront l’une ou l’autre
position, en rejetant les compromis qui affadissent les plus beaux projets. Les
plus clairvoyants empêcheront que les deux conceptions ne se neutralisent dans
la confusion, au détriment de l’intérêt historique de la Bretagne.
JPLM