Mercuriale d'avril 2017

Pourquoi voter aux présidentielles françaises ?

Electrices

Elire un président, vraiment ?

          Les "citoyens" nous disent et nous répètent qu’il faut voter. Pour choisir celui qui va nous gouverner. Le candidat doit présenter un programme, pour que tout le monde sache ce qu’il va imposer aux Français.
        Le premier devoir de ceux qui y croient serait, logiquement, de lire tous les programmes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le deuxième devoir serait de choisir celui qui semble, après lecture, le plus pertinent.

           Excluons du jeu ceux qui ont choisi leur candidat avant de lire les programmes. La lecture partielle ou totale ne sert dans ce cas qu’à se rassurer. Les convaincus cherchent les morceaux de programmes qui justifient leurs préjugés. Ils trouvent forcément le bien dans le programme de leur champion, le mal dans les programmes de ses adversaires. On conviendra que c’est là un exercice très répandu, mais inutile.
            Ceux qui ont lu cette fois-ci les 11 programmes dans leur intégralité sont peu nombreux, sans doute moins de 1% des électeurs. Ceux qui les lisent sans être au départ des convaincus ou des militants sont moins de 1% des premiers.
            Alors, à quel jeu joue l’immense majorité des électeurs ?

Elire un administrateur, un rêveur ou un imprécateur

          Les uns votent, non pas pour un gouvernant, mais pour un administrateur. La différence est qu'on ne demande pas à un administrateur un programme extraordinaire ou alléchant, mais de faire fonctionner les institutions et le fameux "état de droit". Les compétences requises ne sont pas calculées par une agence de notation, mais annoncées par le candidat lui-même. Il peut se prévaloir d’une expérience gouvernementale, de diplômes prestigieux, d’une moralité irréprochable, d’une jeunesse prometteuse. L’électeur choisit l’argument qui lui semble le plus rassurant. L’ENA, malgré sa mauvaise réputation, fournit des administrateurs crédibles, partout à la manœuvre dans la fonction publique et dans les grandes entreprises.

           D’autres votent pour un rêve : revenu universel, prospérité économique, effacement de la dette, fin du terrorisme, ordre moral, grandeur de la France. Bien que les idéologies aient beaucoup vieilli, le rêve peut être aussi celui d’une pureté idéologique, marxiste, gaulliste, ou que sais-je encore.
            Un rêve collectif est puissant, car il donne une identité à ceux qui en manquent. Mettre un bulletin dans une urne permet de montrer que l’on existe. Ce bout de papier de mauvaise qualité permet de s’affirmer. Être de gauche ou même, soyons fou, "insoumis". Être de droite ou, encore plus vertueux, gaulliste social.

          D’autres encore votent pour désigner un bouc émissaire. A l’extrême-droite, le bouc émissaire sera un groupe social ethnique ou religieux. Musulmans contre tradition judéo-chrétienne. Allogènes contre Français de souche. A l’extrême-gauche, la malédiction touche des groupes professionnels : les salauds de patrons, les agriculteurs-tous-pollueurs, le "privé", la finance. Certaines détestations, comme celle des capitalistes américains ou des émirs qataris, sont des extrémismes polyvalents. Ils font le lien entre le rejet ethnique et le rejet social.

De quoi la Bretagne aurait-elle besoin ?

         La Bretagne peut-elle tirer profit d'un président administrateur, rêveur, ou imprécateur ? Chaque option présente des avantages et des inconvénients.

         Se donner un administrateur est le premier réflexe de ceux qui ont pour objectifs la protection sociale et le confort. C’est la tentation Macron ou Fillon. Un administrateur clairvoyant pourrait remettre la France sur le chemin de la prospérité et du plein-emploi, à l’instar de plusieurs de nos voisins. Une telle prospérité pourrait profiter aux Bretons.

       Adhérer à un rêve est toujours agréable, tant que la réalité ne vient pas le perturber. Ceux qui font rêver les électeurs ne peuvent pas en prévoir toutes les conséquences. Ils peuvent réveiller des désirs d’autonomie locale, anesthésiés par des années d’administration centrale. La question des libertés bretonnes, absente aujourd’hui des discours, pourrait émerger à partir de promesses de démocratie augmentée.

        Si l’on pense que l’opposition entre groupes sociaux viendra tôt ou tard, autant la déclencher immédiatement. L’exemple de la Grèce nous montre que l’élection trop tardive d’un gouvernement radical ne produit que de l’impuissance. L’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen ou de Jean Luc Mélenchon provoquerait une situation de confusion généralisée, et probablement de désobéissance civile. Des opportunités peuvent alors se présenter. Si les institutions centrales sont neutralisées par des mouvements sociaux, les zones les plus périphériques, comme les départements et collectivités d’Outre-mer, la Corse ou la Bretagne, pourraient en profiter.

         Vous le voyez, je n’ai pas de consigne de vote. Peut-être parce que, quel que soit le nouveau président français, nous devrons inventer une stratégie adaptée au nouveau pouvoir. Comme dans toutes les confrontations entre le faible et le fort, ou entre le pauvre et le riche, la Bretagne doit, non pas surclasser, mais déstabiliser le pouvoir central. Les forces étant inégales, nous devons agir de façon asymétrique, comme les Norvégiens avec Michelsen,  les Irlandais avec Pearse, les Indiens avec Gandhi, les Slovaques avec Meciar ou les Catalans avec Jordi Pujol.
         Pour y parvenir, nous devons être autre chose que des administrateurs du microcosme breton, des rêveurs de seconde zone ou des imprécateurs locaux.
JPLM

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