Jacobins et anti-jacobins

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Les hommes politiques
aiment utiliser des termes polémiques, gonflés de fortes charges
émotionnelles. Ainsi fleurissent des épithètes comme "traître",
"calomniateur", "fasciste". Celui qui accuse et celui qui est accusé
partagent la même émotion quand apparaissent ces puissants vocables.
"Espèce
de Jacobin !", "méchants Jacos !" Voilà ce qu'on entend dans la cour de
récréation du mouvement breton. Ces éclats font écho à "Communautariste
! Identitaire ! Ethniciste !", que l'on entend dans les cours de
récréation de la République.
La particularité de ces termes
récréatifs est qu'ils portent une forte charge émotionnelle pour celui
qui les emploie, mais aucune pour celui qu'il désigne. Ils satisfont
tout le monde. L'insulteur frissonne de son audace. L'insulté ne se
sent pas concerné. Bien sûr, ces termes n'ont aucune valeur pour
exprimer une idée ou pour faire avancer la réflexion.
Le
jacobinisme a le goût du sucré-salé. On y trouve ce qu'on connait. On
peut y voir le nivellement totalitaire mais aussi l'idéal d'égalité ;
le despotisme culturel mais aussi la ferveur républicaine. L'insulteur
et l'insulté peuvent, chacun de leur côté, choisir la nuance qui leur
convient. |
Un épisode historique ancien
Le
jacobinisme se réfère à un épisode
politique ancien. En juin 1789, à Paris, il se forma une
société de pensée qui prit d'abord le nom de Club Breton.
Ses animateurs étaient en effet les députés
bretons du Tiers-Etat. En octobre, la société s'installa
au couvent des Jacobins, où elle prit le nom de
"Société des Amis de la Constitution". Elle devint
"Société des Jacobins amis de la liberté et de
l'égalité" en septembre 1792. Les Jacobins sont à
l'origine de la dictature de Salut Public et de la Terreur, en 1793 et
1794. La Convention supprima la société des Jacobins le
12 novembre 1794, après l'exécution de Robespierre.
Un marqueur du régionalisme et de la marginalité
Constatons que le mot jacobin
n'est pas un marqueur identitaire pour l'ensemble du mouvement breton.
L'indépendantiste dira plus volontiers "la France" ou "les
Français" pour exprimer ce qui lui est étranger, ou ce
qu'il ne veut pas être. Le mot Jacobin est un marqueur du
régionalisme. Il exprime un souci d'organiser la France d'une
autre manière que celle qui a été
théorisée par la Révolution française.
C'est aussi un marqueur
de marginalité. "Jacobin" est un terme à la fois savant
et désuet. Par effet miroir, les anti-jacobins ne donnent pas
une impression de modernité ou d'ouverture. Un
régionaliste qui veut se faire comprendre parle de
centralisation, de centralisme, d'uniformisation. Celui qui se
réfugie dans les codes du mouvement breton ou dans
l'érudition historique parle de "jacobinisme".
Une dénonciation-facebook
Les
sensibilités régionalistes, autonomistes,
fédéralistes et indépendantistes peuvent cohabiter
pour construire la Bretagne. Je veux bien comprendre que celui qui
construit du neuf puisse se sentir obligé de contester l'ancien.
Mais on peut construire sans condamnations ronflantes, et même
sans se justifier. On peut construire un épisode de l'histoire
de la Bretagne sans perdre son temps à contester un
épisode de l'histoire de France. Les anciens Grecs n'ont pas
construit le Parthénon pour contester une laideur
étrangère. Tout au plus peut-on imaginer une
volonté de faire autrement.
L'anti-jacobinisme est une
manière de vivre entre soi. Le mot exhale le parfum d'un vague
complot, qui pourrait être excitant s'il n'avait l'inconsistance
d'une dénonciation-facebook.
JPLM
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