Mercuriale de novembre 2016

Un parlement breton, pour quoi faire ?

Bâtiment du Parlement de Bretagne
       En Bretagne, la tentation institutionnelle se renouvelle constamment. Depuis la "Constitution Nationale pour une République Bretonne", publiée en 1904, nous avons bénéficié de plusieurs Constitutions auxquelles personne n’a jamais songé à se conformer. La dernière, celle de Lionel Guillory, date de 2013 ; d’autres sont annoncées.
          Nous avons eu des "États de Bretagne provisoires" au cours des années 2000. Nous disposons aujourd’hui d’associations aux appellations impressionnantes : "État national", "Parlement de Bretagne", sans compter plusieurs "Gouvernements provisoires". Le citoyen breton, trop fier pour se résigner, mais pas assez pour s'insoumettre, fait appel à ses connaissances historiques et juridiques. Il se persuade qu’il est "dans son droit".

           Aucune de ces créations institutionnelles n’a marqué l’histoire de Bretagne. Voici, en quelques mots, une analyse du phénomène.
 
La tentation d’anachronisme
         La plupart des constructions intellectuelles récentes, comme l’ "État national breton", le "Gouvernement provisoire", et tous ceux qui se réclament d’un retour au "duché" affichent des élans réactionnaires. Il faut leur savoir gré de cette clarté.
          Le réveil d’une institution morte est une nostalgie. La référence à un ancien droit est étrangère au combat moderne pour la Bretagne. La revendication bretonne du XXIe siècle n’a rien à voir avec nos vieux souverains, leur chancellerie, leurs ministres,
l’ancien Parlement, les États de Bretagne. L’ancien Parlement de Bretagne était une instance juridique. Les États de Bretagne étaient une instance politique. Une assemblée bretonne serait plus proche des États de Bretagne que de l’ancien Parlement. Mais tout ça, c’est du passé.
 
Le rêve d’une autorité supérieure
       En rêvant de Parlement, il est possible d’éviter la nostalgie historique. Toutefois, la création d’une institution bretonne de type gouvernemental part toujours de l’idée que les Bretons doivent se référer à une institution supérieure. C’est là une autre nostalgie. La société actuelle ne fonctionne plus comme ça. Certes, la sphère politique est omniprésente dans les médias. Mais elle est moins importante que les rapports économiques et sociaux. On vote de moins en moins. Il vaut mieux perdre ses droits civiques que de perdre son travail ou son statut social.
 
Être celui qui juge, faute d’être celui qui décide
           Les institutions bretonnes autoproclamées se veulent crédibles. Elles se positionnent comme une puissance publique et doivent donc faire preuve d’autorité. Or, elles n’ont pas la main sur l’armée, la police ou l’éducation, comme les vrais États. Elles ne sont pas non plus profilées pour utiliser la violence physique, comme les organisations paramilitaires clandestines. Pour asseoir leur autorité, il leur reste l'arrogance.
           
La grandiloquence à défaut de la grandeur.
           Être celui qui juge, faute d'être celui qui décide.

Institutions et libération nationale
          Une autorité centrale censée administrer, ou donner des lois au pays, n’a rien à voir avec un mouvement de libération.
       Une libération nationale nécessite une floraison d’initiatives culturelles, économiques et politiques. Ces créations et transgressions sont soumises à une sélection naturelle ; ne perdurent que les plus robustes et les plus adaptées à l’environnement. Il peut y avoir une convergence entre les différents mouvements. Mais la coordination se fait forcément entre ceux qui créent, qui agissent, qui osent. Elle n’est jamais déléguée à des éléments extérieurs, même quand ceux-ci arguent de leur compétence ou de leur "représentativité".
 
Le colonisé, le colonisateur et l"insoumis
         Il y a ceux qui se prennent pour des Gaulois ou des Celtes ; ceux qui se prennent pour des chouans ou des sans-culottes ; ceux qui se prennent pour des Breiz Atao ou des résistants en guerre contre les fascistes ; ceux qui se prennent pour des compagnons d'armes de Che Guevara ou de Daesh. Ceux qui se prennent pour des chefs d'État ou des parlementaires bretons.
          Quand l’ego est développé, on passe de l'imitation à la rivalité mimétique. Lors de l’épisode des Bonnets rouges, les uns étaient scandalisés de voir qu’un mythe auquel ils s’identifiaient était traité aussi trivialement par les activistes du XXIe siècle. D’autres, Bonnets rouges tardifs, faisaient surenchère de critiques contre le Collectif organisateur "Vivre, décider et travailler en Bretagne".
           Ceux qui sont possédés du désir mimétique se croient seuls dignes d’incarner un mouvement qui les fait rêver. Ce désir d'imitation touche de la même façon les vieilles institutions disparues. Ce sont souvent les mêmes personnes que l’on retrouve dans les deux cas.
           Le colonisé imite le colonisateur et jalouse l'insoumis.
 
         Les institutions bretonnes autoproclamées se posent en rivales des institutions françaises. Elles vivent dans le même monde, celui des codes, des lois, de la représentativité et de l’autorité publique. La nouvelle Bretagne ne sortira pas de ce monde-là.
JPLM

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