Mercuriale de août 2016

La revendication bretonne à l'épreuve de l'insécurité

Le cri, de Munch
          Le chômage de masse et le terrorisme islamique ont fait évoluer les mentalités. En Bretagne, les dernières élections ont été dominées par ceux qui mettent la sécurité au premier plan, à savoir le Front National et le Ministre de la Défense. Peu importe ce qu’on pense de cette évolution. La préoccupation de sécurité est devenue primordiale, avant l’aspiration à la justice ou à la liberté. L’insécurité s’installe durablement, et la revendication bretonne, telle qu’elle s’est exprimée durant l’après-guerre, doit s’interroger sur son avenir.

         Les punks ont fait de "no future" un concept branché. La génération suivante en tire les conclusions et passe aux actes. Et que fait-on, s’il vous plait, quand il n’y a plus de futur, ni pour soi, ni pour les autres ?  
 
          La "meilleure" solution est la violence. La musique punk suggérait fortement cette solution. En l’absence de futur, la violence permet de donner consistance au présent. Elle provoque des changements immédiats, visibles et irréversibles. Il n’est pas nécessaire de faire des plans ni d’être intelligent. "Viva la muerte !", était un cri de ralliement franquiste pendant la guerre d’Espagne. Celui qui inventa ce cri de guerre en inventa aussi un autre : "Muera la intelectualidad traidora !" "A mort l’intelligence !".
         La plus visible des violences, ces temps derniers, a été la violence islamiste. Avec elle, l’innocence n’existe pas, la justice n’existe pas, l’avenir n’existe plus. Les massacres revendiqués par l’État Islamique ont ceci de particulier qu’ils correspondent à de la haine chimiquement pure. Les assassins n’ont pas vraiment de convictions. Seulement de la haine.
           On a vu aussi apparaître la haine indiscriminée envers les policiers. ACAB ! All cops are bastards ! Dans les manifestations contre l’aéroport de Notre Dame des Landes ou la loi Travail, les organisateurs sont débordés par les antiflics. Ils sont de plus en plus nombreux. Ils défient tous les services d'ordre, y compris les plus redoutables.
          Il existe aussi des haines ruminées, qui ne conduisent pas au meurtre mais qui forcent à l’envisager. Contre... Contre les sionistes quand on est de gauche. Contre les Juifs quand on est de droite. Contre le MEDEF, contre la FNSEA, contre les immigrés, contre les Français de souche, selon les sensibilités politiques ou identitaires… Les dégradations à répétition de locaux de la CFDT ou du PS expriment des haines nouvelles.
 
          Les périodes de haine et les périodes d’utopie obéissent à des cycles, comme les périodes de prospérité et de récession. Le mouvement anarchiste, depuis près de 200 ans, est un bon indicateur. Pendant les périodes de prospérité, au milieu du XIXe siècle et à la fin du XXe siècle, il est volontiers utopiste. Quand la situation se dégrade, il bascule dans le nihilisme. Il y eut les utopies autogestionnaires des années 60 ou 70, après les utopies communautaires du XIXe siècle. Entretemps, il y a eu le terrorisme anarchiste. Aujourd’hui, les textes du "comité invisible" prônent le chaos comme stratégie révolutionnaire. Les black blocs, les antifas ou les zadistes en expérimentent la pratique.
 
          Le mouvement breton d’après-guerre, en succédant à Breiz Atao, a présenté sa revendication comme un projet. Projet d’épanouissement de la singularité bretonne. Utopie démocratique.
          Est-ce encore adapté ? L’insécurité fait que ce ne sont plus les visions du futur qui créent les clivages, mais les haines. Nous ne sommes plus dans le rationnel, mais dans le rapport de forces. La violence est un élément plus déterminant que la puissance de raisonnement ou la recherche du bien commun.
 
          Comment peut se présenter la revendication bretonne dans une période de récession, de haine et de violence, dont nul ne sait combien de temps elle va durer ?
          Les programmes politiques ne servent plus à rien. On apprécie les promesses, qui nous donnent l’impression d’exister, mais on n’y croit plus. Qui  a étudié les programmes des partis avant d'en choisir un ? Personne. Qui a lu le code du Travail avant de le défendre ? Qui a lu les lois Macron ou El Khomry avant de s’en indigner ?
        Ah, indignez-vous ! disait Stéphane Hessel. Tu parles ! L’indignation est devenue branchée, prétentieuse, intolérante, stupide. "Indignation" est un élément indispensable de notre société du spectacle, comme les concepts de "bien-être" ou de "développement économique". La force des partis politiques bretons n’est pas dans leur programme. Elle est d’abord dans la capacité à faire du théâtre et du buzz à propos de leurs indignations.
 
          Tout combat désigne un ennemi. En période de prospérité, l’ennemi est un obstacle vers un futur désiré. La confrontation est une nécessité. C’est le seul moyen d’atteindre le but. Mais ce n’est pas le but lui-même.
             Quand le futur disparaît, le combat devient le seul but. La haine pourrait bien submerger le sens du futur chez ceux qui se réclament du combat breton. On le voit chez les anarchistes ou chez ceux qui se réclament du califat.
            Pour l’instant, ceux que la presse mal informée nomme "ultranationalistes bretons" dirigent leur haine contre les musulmans. Elle devrait logiquement se diriger contre les ennemis de la souveraineté bretonne. En cela, ils ne sont que des provinciaux du repli français ; il doit exister des équivalents berrichons ou auvergnats. Ce qui m’inquiète, c’est plutôt la perte du futur chez les authentiques nationalistes bretons, comme il existe des anarchistes sans futur ou des musulmans sans futur.
          Face aux sans-futur, ni l’indignation ni l’indifférence ne sont des comportements adaptés. L’insécurité, la haine et la violence écrivent l’histoire qui vient. La Bretagne devra faire partie de cette histoire, d’une façon ou d’une autre. Cette façon d’exister, c’est à nous de la choisir.
JPLM

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