Mercuriale novembre 2014
Ni gauche ni droite ?
Vladimir Poutine, Barack Obama, Xi Jinping,
Hassan Rohani… Ces dirigeants de grandes puissances sont-ils de
droite ou de gauche ? Djihadistes contre résistants
kurdes… Qui est de droite, qui est de gauche ? Ces questions
nous font sourire, car elles ne veulent rien dire. L'alternative
droite-gauche ne permet pas de comprendre les stratégies, ni les
grands événements qui secouent la planète.
Autrefois, le slogan «Ni droite ni gauche»
était considéré comme un camouflage de
l'extrême droite. Au temps de la Guerre froide, les
catégories droite-gauche semblaient universelles. D'un
côté les pays socialistes, de l'autre les pays
capitalistes. Les pays «non-alignés» étaient
vus comme des opportunistes. Aujourd'hui, le clivage droite-gauche ne
conserve sa force que dans les pays de tradition catholique, en Europe
et en Amérique du Sud. C'est le cas en France.
Il y a, chez les Bonnets rouges, des femmes et des hommes
qui se revendiquent de droite ou de gauche. Mais il y en a beaucoup qui
ne se reconnaissent plus dans ces clivages, et qui n'ont aucune envie
d'y entrer. Ce sont eux qui ont été le ciment du
mouvement. Ils nous indiquent, parfois inconsciemment, la direction
à suivre.
Pourquoi cette indifférence ou ce rejet des
catégories politiques traditionnelles ? Droite et gauche sont
les références politiques parce que la question de la
protection sociale est devenue centrale, tout comme le
«salut» est une promesse centrale dans la tradition
catholique. Protection individuelle, par les biens accumulés et
le mérite, pour la droite. Protection collective, par les
institutions sociales et la redistribution des richesses, pour la
gauche. Ceux qui bénéficient de la meilleure protection
sont les riches d'un côté, les fonctionnaires de l'autre.
Stigmatiser l'une de ces catégories est un marqueur politique.
Les Bonnets Rouges n'expriment pas de rancœur
envers les riches, ni d'animosité envers les fonctionnaires, ce
qui crée une ambiance particulière. Le terme
«apolitique», parfois utilisé, signifie un refus de
l'alternative droite-gauche, tout en revendiquant néanmoins une
action de type politique ou syndical. Ce refus va de pair avec la
certitude que la protection sociale ne pourra plus être garantie
dans l'avenir, ni par une fortune personnelle, ni par
l'État-providence. Les protégés actuels ne sont
pas jalousés, car ils ne représentent plus un
idéal. En revanche, dans les comités, la question de
l'emploi et celle de l'identité bretonne sont centrales. Ces
préoccupations ne sont pas liées à un désir
de protection, mais à un sens à donner à sa vie,
individuellement et dans le cadre collectif de la Bretagne.
Compte tenu de leur prise de distance envers la droite et
la gauche, vers où peuvent se diriger les Bonnets Rouges ? Leur
scepticisme est un handicap dans le cadre politique actuel. Vont-ils
basculer dans une sorte de trou noir, hors des chemins de l'Histoire ?
Je suis persuadé du contraire. La capacité à vivre
dans un environnement non protecteur crée une bifurcation dans
notre histoire. Elle annonce une révolution qui remet en cause
à la fois la société de consommation et
l'État-providence. Les précaires en sont l'avant-garde.
Ils veulent autre chose qu'une protection à laquelle ils ne
croient plus.
Les précaires sont ceux
qui ne peuvent être assurés de leurs revenus dans un futur
proche. Ce sont les chômeurs, bien sûr. Mais aussi la
plupart des agriculteurs, qui ne contrôlent pas les prix de vente
de leurs produits (lait, viande, légumes, etc.) ni les prix
d'achat de leurs intrants. Aussi tous ceux qui travaillent dans des
petites entreprises, de l'ouvrier au patron : c'est actuellement une
hécatombe. Ce sont les salariés de l'agro-alimentaire
breton, qui est en pleine tempête.
Tant que la protection restera une préoccupation
majeure, le dilemme droite-gauche se maintiendra. En revanche, si la
participation de tous à l'activité économique et
le droit à l'identité deviennent des questions centrales,
la façon d'aborder la politique en Bretagne évoluera.
Ni droite ni gauche. Le vieux slogan maudit pourrait
devenir celui d'une transformation de la société ; les
Bonnets Rouges bretons en auront été les
précurseurs.
JPLM
Mercuriale. Novembre 2014