Mercuriale d'octobre 2013

Ras-le-bol fiscal ; le point de vue breton

          Il fut un temps où les progressistes justifiaient les taxes et les impôts par la redistribution des richesses. Cette redistribution, opérée par un État impartial et juste, devait corriger les inégalités liées à l’économie libérale.
 
          Deux phénomènes, cruciaux pour la Bretagne, viennent mettre à mal cette utopie, et la transforment en une sombre supercherie.
          1 – L’expérience historique des 70 dernières années montre que le mécanisme est faussé par des intérêts catégoriels. Après la guerre, la coalition entre gaullistes et communistes a donné des avantages particuliers aux catégories travaillant dans des secteurs considérés comme stratégiques pour le relèvement de la France.  De nouvelles inégalités se sont cristallisées, sans rapport avec le travail ou la création de richesses. La redistribution a favorisé ceux qui sont proches du pouvoir central. Les avantages sociaux et régimes spéciaux ont été octroyés aux salariés d’institutions ou d’entreprises qui peuvent paralyser la France : EDF, RATP, SNCF, Banque de France. La Grèce, autre pays centralisé, est dans la même situation.

       Ce qui est vrai socialement est aussi vrai géographiquement. La région parisienne est celle qui bénéficie le plus de la redistribution. On le voit pour l’écotaxe, où la Bretagne est appelée à payer mais ne recevra rien. L’investissement de l’État dans le ferroviaire chez nous est reporté au-delà de 2030. Pour l’entretien des monuments historiques, Paris engloutit le tiers du budget français. Au Ministère de la culture, la mise en valeur des patrimoines en régions ne représente même pas la moitié du budget total du programme Patrimoines. Dans le domaine de l’architecture, le Grand Paris est annoncé officiellement comme une priorité. La nouvelle guerre socio-économique, née de la mondialisation, pousse au renforcement des espaces stratégiques que sont les métropoles.
          La pression fiscale, dans un pays centralisé, bénéficie à ceux qui sont au centre et dépossède la périphérie.
 
          2 – Le poids des prélèvements fiscaux favorise les tricheurs. L’économie souterraine est de 2,5% chez nous alors qu’elle atteint 15% en moyenne en France et s’élève à plus de 20% dans certaines régions. Plus les impôts sont lourds, plus l’honnêteté devient un handicap, par rapport aux concurrents des autres régions ou des autres pays. La loyauté des Bretons, autrefois envers les chefs religieux, les nobles, aujourd’hui envers les institutions françaises, est malheureusement un trait culturel et historique, qui ne peut être corrigé facilement, même par l’éducation. Nous avons une tendance fâcheuse à nous sacrifier pour les autres.
          La loyauté bretonne, souvent mal dirigée, parfois désastreuse, fait partie de notre identité. Nous nous sentons bien ainsi. Pour compenser notre vertueuse infirmité, nous sommes condamnés à adopter des manières sans fioritures, à l’insoumission, à la désobéissance civile, éventuellement à la violence. Au-delà de ces comportements, nous devons inventer un monde où l’honnêteté ne soit pas un handicap.
 
          Que faire ? Je vois trois axes. A chacun de choisir selon ses goûts, son orientation politique ou son potentiel.
          1 – Territorialiser les prélèvements fiscaux et la redistribution. C’est la revendication autonomiste ou indépendantiste classique. Au-delà de la prière ou de la revendication, il reste à trouver la méthode adéquate. L’autonomie fiscale ne sera pas octroyée spontanément. Les Bretons devront s’organiser pour y parvenir. Faut-il attendre que nos élus fassent passer des lois ? La Constitution s’y opposera. Peut-on obtenir que les prélèvements, liés à l’écotaxe par exemple, soient redistribués en Bretagne ? On peut essayer. Comment régionaliser la Sécurité Sociale ? Elle serait en équilibre financier en Bretagne, du fait du comportement responsable des Bretons. Faut-il une grève fiscale, en commençant par une taxe particulièrement contestable ou symbolique ? Youenn Gwernig, dans les années 70, avait pris la tête d’un mouvement de refus de payer la redevance télé.
 
          2 – Provoquer une baisse des prélèvements fiscaux et, par conséquent, de la redistribution centralisée. Cela se fait de façon naturelle, hélas, par le déclin économique. C’est une revendication libérale. Aux inégalités de gauche, liées au poids des agents publics lors de la redistribution, elle substitue les inégalités de droite, liées à l’absence de redistribution. Les unes et les autres sont tolérables dans un contexte de prospérité générale. Elles sont plus problématiques dans un contexte de marasme.
Faut-il apprendre à nos entreprises à se délocaliser administrativement, pour contourner au moins une partie des prélèvements, afin de préserver leur compétitivité et les emplois ? Les nouvelles technologiques peuvent y aider.
 
          3 – Effectuer les prélèvements et la redistribution par nous-mêmes, hors du cadre institutionnel. Les entreprises classiques disposent de quelques moyens de redistribution, les conventions d’intéressement par exemple. Mais ces moyens sont limités. Les institutions centrales, par des charges sociales démesurées, dissuadent les entreprises de redistribuer volontairement les richesses produites. Les syndicalistes qui siègent aux conseils d’administrations de l’URSSAF en Bretagne doivent être interpellés sur leur responsabilité territoriale et sur leur devoir d’intervention, quitte à bloquer le système. Comment organiser la redistribution hors des institutions ? L’économie solidaire, le statut de SCOP ou de SCIC, les monnaies complémentaires, le troc, les échanges non monétarisés apportent des solutions intéressantes.
 
          Notre avenir passe par des décisions à prendre en Bretagne, par nous-mêmes, bien plus que par la revendication de droits, fussent-ils légitimes.
JPLM

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