Mercuriale d'août 2013
Qu'est-ce que la culture ? Une approche futuriste
Tout d'abord, merci à tous les contributeurs de Juillet (qui se sont exprimés ICI). Je l'avoue, je ne m'attendais pas à une telle qualité et à une telle richesse dans la réflexion.
J'en suis d'ailleurs un peu déstabilisé...
J'avais abordé la question
par trois niveaux qui se superposent : la mémoire,
l'intelligence et la notion du bien. Ou, vu d'une autre façon,
les informations, les interprétations et les perspectives.
Je n'ai pas su répondre
à Christophe David, qui considère que mon
troisième niveau, celui de la perspective, façonne la
culture mais n'en fait pas partie. D’un autre côté,
Michel Treguer et Yann Maneguen ont concentré leurs approches de
la culture sur des points qui font plutôt partie de mon
troisième niveau.
Une synthèse est-elle
possible ? On en arrive à des définitions
contradictoires.
D'un côté, la culture
est un savoir, un savoir-être, un savoir-vivre. Une
mémoire. Une manière de comprendre. La somme de ce que
l’on sait.
D'un autre côté, la
culture est la façon dont un peuple gère ce qu'il ne
connaît plus, le passé ; ou ce qu’il ne peut
connaître, l'inconscient et le divin.
Dans un cas comme dans l'autre, il
est admis que la culture, du moins la culture bretonne, est un
phénomène de groupe. C’est un art de vivre
ensemble. Cet art n’est pas figé. Il évolue,
qu’il soit un savoir, un inconscient ou une religion. Il se
nourrit de réalités. Il s’adapte.
Plusieurs contributeurs ont
insisté sur le drame humain que constitue la perte de la
diversité culturelle. J'ai cru percevoir que ce drame avait une
relation avec le sacré, une relation avec tout ce qui
élève et transcende l'individu.
Beaucoup de contributeurs ont
relié la culture bretonne à des phénomènes
visibles : la gavotte, les galettes, le biniou, le kabig, le style
néo-gothique Beaumanoir, le maillage de petites villes, Stivell,
Servat, Glenmor, la profusion de saints populaires…
La culture bretonne, ce sont aussi
avec des traits de caractère que, faute d’expliquer, on se
contente d’énumérer : simplicité,
honnêteté, économie de type associatif,
mélancolie, penn kalet…
Ces énumérations
ressemblent à une défaite de la pensée. Faute de trouver une
origine, une cause profonde de la spécificité bretonne,
on se contente d’en décrire les manifestations.
Nous n’arrivons pas à
établir une relation de cause à effet. L’ "effet
breton" ne se rattache à aucune cause palpable, consistante. A
notre particularité, nous ne trouvons pas de raisons valables, qui
auraient laissé une trace indiscutable dans notre histoire, dans
notre géographie, dans notre génétique, bref
quelque part.
Et si…
Et si la question de la culture
devait s’envisager autrement ? En dehors des relations de
causes à effets ? Oh ! Crime contre la logique !
Crime contre la raison ! Crime contre l’intelligence !
Non, non... Autre façon de voir les choses…
Dans les années 70 et 80, des
agronomes et des vétérinaires réunis dans le Zoopole de Ploufragan ont élaboré une façon
révolutionnaire d’approcher la santé animale. Il
devenait évident que la relation de causes à effets
atteignait des limites en ce domaine. Aux symptômes d’une
maladie, on cherchait la cause. On la trouvait dans quelque chose de
bien réel : le virus, la bactérie, le parasite. Tout le
monde était content. Comment s’en
débarrasser ? Encore la relation de cause à
effet : le médicament, l’antibiotique pour tuer le
germe infectieux.
Nos chercheurs de Ploufragan,
plutôt que de chercher le germe, ont étudié les
facteurs environnementaux présents, lorsque le germe fait de
l’animal sain un animal malade. Un peu comme la culture bretonne,
quand elle nous pénètre, fait de nous des Bretons. Ils se
sont penchés sur l’alimentation, l’eau, la
densité, la conduite d’élevage, l’ambiance
dans le bâtiment, la vitesse de l’air. Ils ont
établi des liens, non de causalité mais de
corrélation, en utilisant des méthodes statistiques, comme
l’analyse en composantes principales. Ils ont simplifié
les modèles par les méthodes de régression
logistique.
Ce n’est pas par hasard que
cette approche s’est appelée "écopathologie".
L’écologie scientifique s’éloigne de la pure
recherche des causes pour intégrer l’environnement et tous
les facteurs de risques.
Google utilise des méthodes
similaires. En brassant des milliards de données issues de son
moteur de recherche, il arrive à prévoir des
épidémies, comme la grippe, en avance par rapport aux
réseaux épidémiologiques. Les méthodes de
police prédictive utilisent les mêmes algorithmes.
Et pourquoi croyez-vous que la NSA,
l’espionnage américain, s’intéresse aux
données de Google ou de Facebook, qui par ailleurs sont
publiques ? Non pas pour trouver la cause ou même les
responsables d’une menace. L’objectif est de prévoir
les manifestations hostiles, avant même que
l’hostilité soit déclarée. Le film "Minority
Report" n’est pas loin.
Les Occidentaux voient
dans cette affaire une transgression culturelle majeure.
L’analyse statistique prédictive relativise la
liberté et la responsabilité individuelles, piliers des
cultures et des religions occidentales. C’est là, plus que
dans la requête d'informations données volontairement par
chacun de nous, et dont la plupart sont accessibles par internet, que
se
situe le scandale Snowden.
Revenons à la culture
bretonne, évolutive, insaisissable. Revenons à notre
difficulté pour l’intégrer dans une rassurante
chaîne de causes à effets. Sans dévaliser Google,
nous pourrions établir les proximités de "culture
bretonne" avec "musique", "crêpes", "honnête", "solidaire",
"religiosité", "coopérative", "brezhoneg", "Nantes", etc. Nous pouvons
trouver en Bretagne des connaisseurs de l’analyse en composantes
principales et de la régression logistique, ou d’autres
méthodes plus performantes. Nous pourrions ainsi mieux nous
connaître nous-mêmes, en tant que communauté
culturelle.
JPLM
Mercuriale août 2013