Mercuriale de septembre 2007


              Qu’est ce que l’anticommunautarisme ? une nouvelle forme de militarisme ? une abnégation patriotique ? Disons qu'il affirme de façon arrogante l’importance sociale de la citoyenneté.
              Qu’est-ce que la citoyenneté ? C’est un lien social qui se manifeste à travers l’adhésion à des lois communes, la participation aux mêmes élections, la possession de papiers d’identité analogues. A la différence des nationalités ou des identités, la citoyenneté ne sait définir une société qu’à travers une médiation administrative, sur laquelle est greffée une vie sociale. Certes, les armatures sociales sont nécessaires à la vie, en particulier à la vie moderne. Mais ce n’est pas la vie.
          Dans l’anticommunautarisme, cette référence privilégiée à l'armature sociale se double d’une réticence face aux sociétés elle-même. On admire le carcan qui fait tenir l'homme debout, même si la tête est courbée et les membres entravés. Cette méfiance envers la société civile n’est pas nouvelle ; elle transparaît dans toute l’histoire de France. Elle fait partie du fond culturel hexagonal.
           Les Francs, lorsqu’ils apparaissent dans l’histoire de l’Europe, sont des tribus plus ou moins nomades. S’étant soumis sans combattre, les Francs Saliens sont installés dans l’empire romain à titre de Lètes. Ce statut en fait du bétail à disposition de l’armée. Contrairement aux Lètes saliens, les  Bretons installés au nord de la Gaule ont un statut de Foederati. Le vainqueur les respecte et les redoute ; ils conservent leur autonomie et leurs droits civiques.
          La Loi salique est celle des Francs Saliens. Elle est connue pour prescrire les règles de succession au trône de France. Mais, au delà de cette prescription, la Loi salique est d’abord un code de discipline militaire. L’exclusion des femmes s’intègre dans la vision d’une administration strictement masculine, qui contrôle la société civile de l’extérieur.
         La féodalité française suivra la même pente et renforcera cette culture pendant plusieurs siècles. La société civile est gérée de l’extérieur par une caste guerrière dont les titres sont hiérarchisés eux aussi de l’extérieur, par le titre des terres possédées. Les comtes et les ducs (comites et duces dans l’armée romaine) sont d’abord des gouverneurs militaires qui contrôlent un espace géographique. 
         Au XVIème siècle, le protestantisme revendiquera l'autonomie individuelle et l'accès direct à Dieu. Hérésie ! En France, les guerres de religion furent d’une violence qui resterait inexplicable si l’on néglige ce que représente, dans l’inconscient culturel français, l’institution médiatrice et normative. Le prêtre, le fonctionnaire ou l'élu sont des intermédiaires obligés entre tout problème de société et sa solution. Ce n’est pas par hasard que la France est la fille aînée de l’église romaine ; que l’enseignement y est magistral ; que le diplôme, c'est-à-dire le papier officiel, est juge suprême. A l’instar du prêtre d’autrefois, le fonctionnaire est à la fois choyé et détesté. Dans les villages, le douanier accomplit un "service public" mais pas le boulanger.

            La vieille culture militaro-religieuse, dirigiste et centralisante, s’est sécularisée à partir du XVIIIème siècle, sans se transformer. Ceux qui veulent écraser l’Infâme ne rêvent pas de liberté mais de nouvelles normes. La victoire des Montagnards sur les Girondins et la dictature napoléonienne révèlent la tentation permanente, la pente fatale. Plus tard, la laïcité militante, si spécifique à la France, démontre que les vieux réflexes normatifs se maintiennent malgré le déplacement des références. Le libertaire français incline plus facilement vers le nihilisme que vers le pluralisme. Maurice Barrès a exprimé cette culture paradoxale d’une seule phrase : « Je suis athée, mais bien sûr je suis catholique ».

            On voit par là que le problème breton n’est pas seulement un phénomène politique ; C’est aussi, plus profondément, la marque d’un écart entre deux cultures dont la synthèse reste problématique. Cet écart explique la difficulté que nous autres Bretons avons à faire partie intégrante de la France. Il explique aussi la sourde distinction dont les Français nous gratifient (Ah, vous êtes breton ! Je comprends mieux …), et qui dégénère chez les plus irritables (le fameux "Je me fous des Bretons" de Sarkozy).

            Aujourd'hui, le rapport de forces est disproportionné. Mais patience… Les forces mondiales se reconstruisent autour de réseaux non-étatiques, elles nous sont complices. Nous sommes de plus en plus conscients de notre singularité. Et l’histoire est pleine de facéties déroutantes.
LM



Retour
Mercuriale  2007 / 09