Jean Genet (1910 - 1986)


L'abjection est-elle un humanisme ?

genet

           Jean Paul Sartre, qui voyait des salauds partout, a rencontré Genet en 1944. Il a été séduit.
          En 1952, il lui a consacré un livre  Saint Genet, comédien et martyr. Genet est pédophile et voleur (la classe !). Il arnaque ou dénonce ses amis (marrant !). Le nazisme et les assassins en général le fascinent (ironie décapante !). Il est incapable de distinguer le bien du mal, et il trouve ça très bien (et très mal !).
           Genet est un personnage sartrien. C'est un vrai révolutionnaire qui oblige, par son jeu, les salauds à se démasquer. Grâce à Jean-Paul Sartre, Genet est devenu un modèle humain de premier plan.

En fin d'ouvrage, Sartre s'explique : " Prouver que le génie n'est pas un don mais l'issue qu'on invente dans les cas désespérés, retrouver le choix qu'un écrivain fait de lui-même, de sa vie et du sens de l'univers jusque dans les caractères formels de son style et de sa composition, jusque dans la structure de ses images, et dans la particularité de ses goûts, retracer en détail l'histoire d'une libération : voilà ce que j'ai voulu."


Un génie, une libération ? Allons voir ce qu'il y a dans la tête d'un génie libéré. A chacun ensuite de partager l'attrait de Sartre pour le personnage.

Le livre de Genet "Pompes funèbres", paru en 1947, est une suite décousue de meurtres sordides et d' "enculages" d'adolescents. Entre les descriptions, Genet intercale des réflexions poisseuses sur la mort et le sexe. Voici quelques extraits :

Eloge de la pédophilie

Les joyeux l'appellent encore "oeil de bronze" ce que l'on nomme aussi "la pastille", "la rondelle", "l'oignon", "le derch", "le derjeau", "la lune", "son panier à crottes". (...)
La vénération que je porte à cet endroit du corps et l'immense tendresse que j'ai accordée aux enfants qui me permirent d'y pénétrer, la grâce et la gentillesse du don de ces gosses, m'obligent de parler de tout celà avec respect. Ce n'est pas profaner le mort le mieux aimé que dire (...) le bonheur qu'il m'offrit quand mon visage était enfoui dans une toison que ma sueur et ma salive rendaient moites, se collant en de petites mèches qui séchaient après l'amour et restaient rigides (...). J'aimai la violence de sa queue, son frémissement, sa taille, les boucles de ses poils, la nuque, les yeux de ce môme et le trésor unique et ténébreux, "l'oeil de bronze" qu'il ne m'accorda que très tard, un mois avant sa mort environ.
(pages 16-17 - Editions Gallimard, 1953)

Vive la Milice ! (Il s'agit de la Milice française, alliée de la Gestapo pendant la guerre 39-45)

J'aime ces petits gars dont le rire ne fut jamais clair. J'aime les miliciens. Je songe à leur mère, à leur famille, à leurs amis, qu'ils perdirent tous en entrant dans la Milice. Leur mort m'est précieuse (...).
Le recrutement s'en fit surtout parmi les voyous, puisqu'il fallait oser braver le mépris de l'opinion générale qu'un bourgeois eut craint, risquer d'être descendu la nuit dans une rue solitaire, mais ce qui nous attirait surtout c'est qu'on y était armé. Ainsi j'eus, pendant trois ans, le bonheur délicat de voir la France terrorisée par des gosses de seize à vingt ans (...).
J'aimais ces gosses dont la dureté se foutait des déboires d'une nation (...). J'étais heureux de voir la France terrorisée par des enfants en armes, mais je l'étais bien plus quand ces enfants étaient des voleurs, des gouapes. Si j'eusse été plus jeune, je me faisais milicien. Je caressais les plus beaux, et secrètement je les reconnaissais comme mes envoyés, délégués parmi les bourgeois pour exécuter les crimes que la prudence m'interdisait de commettre moi-même.
(pages 80-81)

La trahison comme un des beaux-arts

Pourtant j'eus le courage admirable de m'écarter des hommes par une chute plus profonde, de livrer à la police mon ami le plus martyrisé. J'amenai moi-même les policiers au logement où il se cachait et je tins à coeur de recevoir, sous ses yeux, le prix de ma trahison. (...)
J'avais commis un acte libre. Enfin, refusant que mon geste ne fût grandi par le désintéressement (...) j'exigeai que ma trahison fût payée.
(pages 81-82)

La beauté du nazisme

Il est naturel que cette piraterie, le banditisme le plus fou qu'était l'Allemagne hitlérienne provoque la haine des braves gens, mais en moi l'admiration profonde et la sympathie. Quand un jour, je vis derrière un parapet tirer sur les Français les soldats allemands, j'eus honte soudain de n'être pas avec eux, épaulant mon fusil et mourant à leurs côtés (...).
Je note encore qu'au centre du tourbillon qui précède - et enveloppe presque - l'instant de la jouissance, tourbillon plus enivrant quelquefois que la jouissance elle-même, la plus belle image érotique, la plus grave, celle vers quoi tout tendait, préparée par une sorte de fête intérieure, m'était offerte par un beau soldat allemand en costume noir du tankiste.
(pages 133-134)

La poésie d'Oradour ...

On me dit que l'officier allemand qui commanda le massacre d'Oradour avait un visage assez doux, plutôt sympathique. Il a fait ce qu'il a pu - beaucoup - pour la poésie. Il a bien mérité d'elle (...). J'aime et respecte cet officier.
(page 262)

La haine des Juifs

La fascination de Genet pour la barbarie nazie est connue, pour la simple raison qu'il l'a lui-même décrite. Son antisémitisme ne s'exprimera dans toute sa constance que quarante ans plus tard. Il faut un temps pour tout.
L'affaire est connue. Premier Européen à entrer dans le camp de Chatila, au Liban, après les massacres de 1982, Jean Genet écrit une chronique intitulée "Quatre heures à Chatila", où se mêle fascination de la mort et antisémitisme. La Revue d'Etudes Palestiniennes le publie dans son n° 6 de janvier 1983. Seule la fascination de la mort est conservée ; les propos antisémites sont tout bonnement censurés par l'éditeur : Genet ne savait pas que Palestinien ne veut pas dire forcément antisémite. Mais allez expliquer celà à un auteur à succès ...
Le texte est beau, la cause palestinienne est populaire. Alors, que voulez-vous, on veut rééditer le texte. Ce sera dans L'Ennemi déclaré - Textes et entretiens, Gallimard, 1991. Ici le texte de Genet est publié dans son intégralité. Et la pensée intégrale de l'auteur se fait jour.

Les Palestiniens avaient supprimé les passages négationnistes de notre auteur, comme celui-ci :

" Le peuple juif, bien loin d'être le plus malheureux de la terre, - les Indiens des Andes vont plus au fond dans la misère et l'abandon - comme il a fait croire au génocide alors qu'en Amérique, des Juifs, riches ou pauvres, étaient en réserve de sperme pour la procréation, pour la continuité du peuple " élu ".

L'antisémitisme de Genet se situe dans une tradition bien française : celui du rejet de la "nation odieuse et nécessaire" comme disait Voltaire, et du pouvoir occulte des Juifs (Genet dit plutôt pouvoir souterrain).

Dans ce pouvoir exécrable il s'enfonce tellement loin qu'on peut se demander, une fois de plus dans son histoire, s'il ne veut pas, méritant l'unanime condamnation, retrouver son destin de peuple errant, humilié, au pouvoir souterrain. Il s'est, cette fois, trop exposé dans la lumière terrible des massacres qu'il a cessé de subir mais qu'il inflige, et il veut retrouver l'ombre d'autrefois pour redevenir, supposant l'avoir été, le " sel de la terre ".
Mais alors quelle démarche !
L'Union soviétique, les pays arabes, aussi veules soient-ils, en refusant d'intervenir dans cette guerre, auraient donc permis à Israël d'apparaître enfin aux yeux du monde et en plein soleil, comme un dément parmi les nations ?

Texte complet (et intégral) de Quatre heures à Chatila



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Contreculture / Genet version 1.0