MERCURIALE DE DECEMBRE 2012
Le jacobinisme est-il le problème ?
La
politique se plait à utiliser des termes polémiques
gonflés de fortes charges émotionnelles. Ainsi
fleurissent des épithètes comme "indigné",
"déshonorant", "fasciste". Ces
épithètes aboutissent à des injonctions ronflantes
: "scandale", "honte", "démission". Celui qui accuse et celui
qui est
accusé partagent la même émotion. quand
apparaissent ces puissants vocables.
La particularité du terme jacobin est qu’il
porte une forte charge émotionnelle pour celui qui l’emploie, mais généralement
aucune pour celui qu’il désigne. Il satisfait tout le monde. L’insulteur,
disons un régionaliste breton, frissonne de son audace. L’insulté ne se sent
pas concerné. Il peut même arriver que celui qui reçoit l’épithète en ressente
une émotion positive. Le terme de jacobin porte les irisations du sucré-salé.
Elles vont de l’égalité au nivellement totalitaire, de la régulation étatique à
la bureaucratie sans âme, de l’unité républicaine au despotisme culturel. Chacun
peut choisir la nuance qui lui convient.
Le jacobinisme se réfère à un épisode politique ancien et
fugace, mais marquant. En juin 1789, à Paris, il se forma une société de pensée
qui prit d’abord le nom de Club Breton. Ses animateurs étaient en effet les
députés bretons du Tiers-Etat. En octobre, la société s’installa au couvent des
Jacobins, où elle prit le nom de "Société des Amis de la
Constitution". Elle devint "Société des Jacobins amis de la liberté
et de l’égalité" en septembre 1792. Les Jacobins sont à l’origine de la
dictature de Salut Public et de la Terreur, en 1793 et 1794. La Convention
supprima la société des Jacobins le 12 novembre 1794, après la mort de
Robespierre. Sur les dix ans que dura la Révolution française, les Jacobins
s’illustrèrent pendant la phase la plus sanglante.
Accuser quelqu’un de jacobinisme est sans risque. Le Zola
antijacobin n’ira pas en prison. Alors, que signifie que le terme fleurisse en
Bretagne, jusqu'à l'indigestion ?
Constatons d'abord que le mot jacobin n’est pas un
marqueur identitaire pour l'ensemble du mouvement breton. L’indépendantiste
dira plus volontiers « la
France » ou « les
Français » pour exprimer ce qui lui est étranger, ou ce qu’il ne veut
pas être.
Le mot Jacobin est un marqueur du régionalisme. Il exprime
une préoccupation contrariée de développement des territoires périphériques.
L’État central détruit les solidarités de la société civile. Il les remplace
par les devoirs liés à la société politique. Le jacobin est l’homme des devoirs
centralisés. L’anti-jacobin est l’homme des solidarités transversales.
Revendiquer le jacobinisme, comme le font Jean-Luc Mélenchon
ou Marine Le Pen, a quelque chose de désuet. Comment un vieux
mythe plus ou moins fossilisé, dégoulinant d'arrogance, pourrait-il répondre aux
questions d'aujourd'hui ? Par effet miroir, les croisades
anti-jacobines ne donnent pas, non plus, une impression de
modernité.
En Bretagne, le véritable
adversaire de la revendication d'autonomie est moins le
jacobinisme que l'irresponsabilité sociétale. En
Bretagne, on pourrait dire : l'irresponsabilité territoriale.
C'est se désintéresser d'une
langue qui, au monde, n'est parlée que sur ce territoire.
C'est l'acceptation de voir les centres de décision et de
production s'en aller ailleurs. C'est se reposer sur l'Etat
français pour assurer
sa sécurité ou l'éducation de ses enfants. C'est
faire confiance aux médias "nationaux" pour s'informer.
Pour
les acteurs privés, c'est le choix de l'intérêt
personnel au lieu du bien
commun breton. Pour les acteurs publics, c'est l'achat de granit
portugais ou chinois
pour paver nos villes, pour prendre les exemples récents de
Brest, Tréguier ou
Saint Brieuc. C'est, pour les uns ou les autres, la non-prise en compte
des
intérêts bretons et d'abord celui qui est le plus
préoccupant, l'emploi. Bien sûr, la culture
centralisatrice française, qui nous déresponsabilise, est
un obstacle. Mais voulons nous, vraiment,
passionnément, prendre toutes nos responsabilités,
politiques, sociales, économiques ? Nous mettre au centre de la
cible ?
Ainsi, dans le domaine
économique, l'irresponsabilité s'appuie sur de
bonnes raisons. L'entreprise privée ou
la collectivité locale met en avant des contraintes budgétaires. Le décideur,
qualificatif usurpé dans un tel cas, se comporte en esclave de
la machine qu'il
croit conduire. Le consommateur n'est pas plus brillant. Il regrette de
ne pouvoir acheter local ou breton, car "les temps sont durs", "il faut
économiser",
"Produit en Bretagne, c'est pas clair", etc.
"Si tu refuses ton propre combat, on fera de toi le
combattant d'une cause qui n'est pas la tienne" disait Jean Rostand. Quand
on achète un produit, on achète le monde qui va avec. Que chacun assume ses
choix, sans se cacher derrière de prétendues contraintes
! Ce que l'on appelle l'innovation, qu'elle soit technologique ou
sociétale, est l'art et la capacité à
surmonter ce que l'on croyait être une contrainte. Innovons !
Le jacobinisme français est
le cache-misère de l'irresponsabilité bretonne. C'est une
manière commode d'expliquer l'échec,
de renoncer aux solidarités et de camoufler les
égoïsmes bretons sous le mythe
d'un complot défraîchi.
JPLM
Mercuriale décembre 2012