MERCURIALE DE FEVRIER 2010
L’idée circule en
Bretagne avec insistance. Certains la nomment la "pop-taxe",
d’autres "le
1% breton". Le mois de février s’y prête. Pour les
entreprises d’une
part, les écoles, les centres de formation et les unités
de recherche d’autre
part, c’est la période de la taxe d’apprentissage.
A l’approche des élections
régionales, chacun s’apprête à questionner les candidats sur tel ou tel sujet
qui lui tient à cœur. Les questionneurs seront plus ou moins pressants, plus ou
moins menaçants, plus ou moins pertinents. Les uns ne parleront que de social,
d’autres d’écologie, d’autres de culture. Au brouhaha des candidats se mêlera
le brouhaha des quémandeurs.
Le 1% breton, ce n’est pas
demander aux divers candidats d’exaucer nos vœux. C’est les exaucer nous-mêmes.
Tout le monde conviendra que la démarche est plus sûre.
L’idée est de
permettre à chaque électeur d’affecter librement 1%
de ses impôts, à commencer par les impôts
régionaux, à l’association de son
choix.
Pour ceux qui ne payent pas
d’impôts régionaux, il est possible de calculer la
somme dont ils pourraient
disposer. Ce serait la quote-part de leurs impôts centraux,
reversé à la région par dotation de
l’État.
Plus simplement et plus
égalitairement, il est possible de diviser 1% du budget
régional par le nombre
d’inscrits sur les listes électorales : on obtient 4,94
€ pour chacun des 2,335
millions d’électeurs des 4 départements. Le total
affecté est de plus de 11 millions d’euros. Il
permet de donner de l’énergie aux associations
considérées comme utiles par les
Bretons eux-mêmes, et non plus seulement à celles qui
conviennent aux élus.
Impossible ? Allons
donc ! C’est même plus que possible puisque cela
existe déjà. Lorsqu’une
entreprise verse sa taxe d’apprentissage, elle l’affecte
à une structure de son
choix : école, centre de formation, unité de
recherche. Cette structure a
été agréée préalablement à
percevoir la taxe. Il faut donc prévoir pour la
pop-taxe un agrément des associations, selon une échelle
de valeurs. La plus
appropriée des échelles transparaît dans la
formule bien connue et qui heureusement n'appartient à personne : une
Bretagne belle, prospère, solidaire et ouverte sur le monde. Un livre de
Jean Ollivro, Projet Bretagne, vient de paraître. Il donne consistance à
cette échelle de valeurs.
Le boulot est déjà à moitié fait.
Peu de réflexions se font
sur l’origine
de l’argent dont dispose les services publics, l’État ou les
collectivités territoriales. C’est comme
si cet argent jaillissait d’une fontaine inépuisable
située dans les jardins
secrets du Trésor Public. C'est un mythe confortable. Il balaie les scrupules quand on vole l'État ou quand on lui
réclame toujours plus d'argent. Il est politiquement correct de
demander une juste
répartition de ce trésor, mais ce serait muflerie de
prétendre y avoir des droits de
propriété.
Pourtant, l’argent public
que
brassent les collectivités est lié à nos
impôts. Ceux qui aspirent à gérer cet
argent veulent le mettre au service d’actions ou de projets qui
bénéficient à
leurs administrés. Eh bien, qu’ils aillent jusqu’au
bout de la logique !
Qu’ils laissent les intéressés en
exprimer les grandes orientations. Il suffit de permettre aux
Bretons d'affecter une partie du budget régional à des
associations de leur
choix.
Commençons par une affectation
faible mais symbolique : 1%.
Un tel pourcentage ne peut
déséquilibrer un budget ni même
les promesses des candidats. Ou alors il faudrait que ce budget et ces
promesses soient tellement aux antipodes des souhaits des
électeurs que de tels
candidats se disqualifient eux-mêmes en s'opposant à la pop-taxe.
C’est une démarche
de confiance.
Les politiques se méfient de la société civile
jusqu’à parfois nier son existence et ne
plus voir que des rapports de forces partisans. L’inverse est
vrai aussi. Les
électeurs se défient des jeux politiques. Ils sont de
moins en moins nombreux à y participer. Ils ne se sentent plus concernés par
le spectacle. Etablir un lien, via l’institution
régionale, entre
chaque Breton et les associations qui, à leurs yeux,
mènent le bon combat, est
le meilleur moyen de réconcilier ceux qui administrent et ceux
qui sont
administrés.
La pop-taxe est autre chose qu’un
référendum. Celui-ci ne pose qu’une seule question et ne permet qu’une
alternative. Il correspond à un choix binaire. L’affectation de 1% de mes
impôts à l’association de mon choix permet de répondre aux questions que je me
pose, et non aux questions qui me sont posées.
Ce sont les militants d’associations, bien plus que les
élus, qui structurent et orientent la vie sociale. Les politiques n’en sont
qu’une petite partie, pas forcément la plus radieuse ni la plus innovante.
Les associations, qu’elles soient de protection de la nature, d’animation
locale, humanitaires, culturelles, ludiques, expriment des sens de la vie.
Chacun peut s’y reconnaître. Aujourd’hui, avec les candidats, il n’est pas
possible d’avoir cette approche directe, franche. Ils ont d’autres
préoccupations ; ils doivent cultiver les apparences ; ils dépendent
d’un positionnement partisan.
Comme la taxe Tobin, la pop-taxe
représente bien plus qu’un
enjeu financier. C’est une conception de la société
et un rappel à l’ordre.
Derrière la taxe Tobin
s’affirme une volonté d'influer sur
les échanges mondiaux. Elle sous-entend que les
intérêts sociaux ont précédence
sur les intérêts financiers.
La pop-taxe est
l’affirmation d’un progrès possible dans la
pratique démocratique. Elle sous-entend que le système
représentatif n’est pas une fin en soi. Ce fonctionnement
de la démocratie est lié à des technologies
qui sont, sur certains aspects, dépassées. Des
expériences de fonctionnement
démocratique autrement plus excitantes que
l’élection de délégués se font
aujourd’hui sur internet.
La pop-taxe est une piste
privilégiée pour relancer la participation
populaire. La limitation de la démocratie à
l’élection de
représentants est aujourd’hui en échec : plus
de la moitié de la
population s’en détourne. Il est temps
d’expérimenter d’autres voies. Si cette
expérience peut se faire en Bretagne, il est inutile
d’attendre que la bureaucratie française la
bénisse.
Si vous n’avez qu’une
question à poser à des candidats en
maraude, posez-leur celle-là.
JPLM
Ajout du 19
février : un "impôt dédicacé" existe dans
les pays scandinaves pour le financement volontaire du culte
protestant. En Belgique, la discussion existe pour le financement des
cultes et des actions humanitaires reconnues par l'Etat. La France est
bloquée par sa règle de non-affectation de l'impôt.
Cette règle, appelée "universalité
budgétaire", date du roi Louis XVIII et consacre
l'hégémonie de la bureaucratie centralisatrice. Quelques
exceptions (procédures d'attribution) ont été
instituées récemment par la LOLF.

Mercuriale février 2010