MERCURIALE D'OCTOBRE 2009
De quoi
Huchet est-il le nom ?
A Bruz,
près de Rennes, quarante-neuf enfants ont
été
accueillis à la
rentrée dans une seule classe maternelle bilingue
breton-français. Les parents demandent de
dédoubler la
classe, et
donc de nommer au
moins un enseignant bretonnant supplémentaire.
L’inspection académique
refuse d'ouvrir une
seconde classe bilingue. Elle propose de répartir des
élèves de moyenne et de
grande section en élémentaire, et de scolariser
les six tout-petits dans une classe
monolingue qui compte déjà plus de 30 enfants.
L’inspecteur
d’académie se nomme
Jean-Charles Huchet. Sa volonté d'étouffer la
filière bilingue
à Bruz tient en deux
arguments : L’Ille-et-Vilaine n’est pas un
département brittophone ;
le breton est une langue artificielle.
Qui est
ce M. Huchet ? Les informations circulent facilement de nos
jours.
L’homme se pique d’une culture occitane, vous
savez. Il n’est pas rare que des
hauts fonctionnaires se targuent de conserver une
personnalité propre. Méfiez-vous d’eux.
Quoiqu'ils
disent, cette
personnalité antérieure n’existe plus,
si ce n'est sous la forme d'une nostalgie. Elle est
perdue sans retour, sacrifiée au Léviathan
administratif. Ils
n’ont plus pour seule référence que
l’État central. Ils sont morts pour le
reste.
"L’Ille-et-Vilaine
n’est pas un département
brittophone". Voila une remarque fort peu éducative quand
elle s’applique
à l’éducation. Les parents souhaitent
que leurs enfants apprennent plusieurs
langues à l’école, justement parce que
l'environnement est monolingue, donc incompétent en la
matière. Ils
veulent qu’ils apprennent un français correct,
justement parce que la façon de parler, dans la vie
courante, est approximative. Ils savent que
Pythagore
n’est pas natif d’Ille-et-Vilaine, mais
celà leur importe peu ; ils
demandent que leur progéniture
apprennent la géométrie.
En
Bretagne, les parents sont motivés pour l'apprentissage du
breton. Cette langue est liée à une
identité aujourd'hui dynamique. Des études ont
été réalisées au
Québec sur le
bilinguisme précoce. Il potentialise chez les
enfants des aptitudes qui ne sont pas liées
forcément aux langues, comme les
mathématiques. Parents motivés, bilinguisme,
potentialisation des aptitudes, solidarité
avec les enseignants, que demander d’autre ?
Eh bien
non !... M. Huchet, inspecteur d’académie,
n’a que faire
de motivation, d’ouverture linguistique, d'aptitudes
potentialisées, de
solidarité avec les enseignants. Le
département n’est pas brittophone…
Il n’est pas
anglophone non plus, si tant est qu’un
département puisse émettre des sons
articulés. La
référence éducative, pour
l’inspecteur
d’académie, c’est le moins-disant
culturel, la grisaille pour tous. Vos voisins ne parlent que le
français
? Vos enfants seront donc monolingues. A quoi sert l'école,
dans ces conditions ?
M. Huchet
véhicule une conception de
l’éducation qui fleure
l’ancien régime. Voltaire, qui
n’était pas toujours en avance sur son temps, a
dit : "Il est
à propos que le peuple soit guidé et non pas
qu’il soit
instruit" (Lettre à Damilaville). Notre haut
fonctionnaire est sans doute
voltairien, de la tendance ignorantiste. Il voudrait que les jeunes
Bretons et
les classes laborieuses soient guidés, et non pas instruits.
Il peut
être satisfait de son oeuvre et de celle de ses semblables.
Depuis les années 60, la langue
bretonne a reculé et le nombre d’enfants de milieu
modeste a fortement diminué
dans les grandes écoles. "Le désert
croît ; Malheur à ceux qui font
progresser le désert !" disait Nietzsche. M.
Huchet fait progresser
le désert en
Bretagne.
"Le
breton est une langue artificielle". Cet argument est hautement
significatif. Un parler, que ce soit une langue nationale,
l’espéranto, un argot ou cet anglais
mondialisé que l’on nomme le globish,
est fait pour créer une relation entre des individus ou pour
exprimer une vie
intérieure. Refuser un usage parce que l’outil est
impur (langue
artificielle ! pouah !) est une attitude qui a
été étudiée par les
sociologues. Ainsi les Amish refusent-ils des pratiques agricoles
courantes (moteurs ! pouah !), et les
Témoins de Jéhovah des pratiques
médicales vitales (transfusions ! pouah !). La condamnation
d’une
pratique au nom de l’impureté de l’outil
caractérise l’esprit sectaire, qui est
fondé sur le purisme et l’exclusion. M. Huchet
nous démontre que le sectarisme n’est pas un
monopole des allumés du
spirituel. Il existe aussi chez les adorateurs de la palme
académique.
Traiter la langue bretonne d’artificielle,
à l’instar de
l’espéranto, des créoles ou des langues
en formation chez les peuples qui accèdent à
l'indépendance, ce n’est pas la
condamner. Tant qu’elle ouvre l'esprit et crée des
solidarités libératrices, elle reste puissamment
légitime. Néanmoins,
l’argument de l’artifice est faux. Devons-nous
faire remarquer que les plus vieux
textes en breton sont antérieurs aux plus vieux textes en
français ?
Devons-nous évoquer la littérature en
moyen-breton, ou la standardisation
orthographique du XVIIème siècle ? M.
Huchet ne connait rien à la langue bretonne. J'arrête là ; il
est toujours un peu ridicule de se
prévaloir de culture et de faits
avérés quand la règle du jeu
est la
tracasserie administrative.
La sourde
réticence des hauts fonctionnaires de l’Education
à
donner au breton un statut officiel n'est que la poursuite d'un
rêve mort.
C’est celui d’un pays uniformisé,
d’une France "une et indivisible". L’odeur
fétide de ce cadavre flotte dans les bureaux des inspections
académiques et des
rectorats. Le chant du monde ne parvient en ces lieux que de
façon
déformée et assourdie. A
l’extérieur, les peuples bougent,
s’apostrophent dans toutes les
langues, se confrontent. Les innovations fusent. Les fleurs
s’épanouissent. Les sept
vents soufflent.
Insidieusement, dans les antichambres,
le rêve mort se
décompose. De "une et indivisible", le curieux adjectif
"une" s’est
évaporé. Selon
l’article premier de la Constitution française, "la France est une
république
indivisible… ". Après la
disparition de "une", les
autres
adjectifs seront-ils embaumés par les bureaucrates, pour
imposer à la société
une sorte de rigidité cadavérique ?
C'est possible. Mais, quoiqu’ils fassent, le
décès est
constaté et la décomposition se poursuivra.
De quoi
Huchet est-il le nom ?
D’un rêve mort, qui
se décompose.
JPLM

Mercuriale septembre 2009