MERCURIALE D'AOÛT 2009
Il fut un temps où,
pendant les vacances, l’intello ne voulait pas "bronzer idiot". Plutôt
que de se vautrer sur la plage, il se réfugiait donc aux jours de beau temps dans les châteaux
historiques et les musées. La
fréquentation des châteaux historiques et des musées évite de bronzer, c'est bien connu. Elle
n’évite malheureusement pas de s’idiotiser.
La vision historique
qu'offre le tourisme a beaucoup de points communs avec les vieux livres
d’histoire d’école
primaire, et la mythologie française s'y déploie à
son aise.
Le mythe le plus
commun auquel le touriste est confronté est celui de la subordination immémoriale
des peuples indépendants au royaume de France, puis à la République. La
différence entre une couronne ducale et une couronne royale est considérée
comme la marque indiscutable de cette subordination. Dans le même temps, la subordination
du royaume de France au Saint Empire,
issu de Charlemagne et
revendiqué par des empereurs germaniques, est
considérée comme une fiction
négligeable. Ces deux types de subordination étaient
pourtant de même nature mythique.
Rois et empereurs faisaient "comme si", même si la
réalité n’était
pas au rendez-vous. Pour que la revendication impériale sur le
royaume de France perde de son acuité, il a fallu attendre la bataille de
Bouvines, en 1214.
La
revendication royale française sur le duché de
Bretagne est mise entre parenthèses quand la
Bretagne est sujette du
roi d'Angleterre. L'appartenance du Roussillon au royaume de France est
mise entre parenthèses, de la même façon, quand
celle-ci fait partie du royaume d'Aragon.
Mais l'imagerie
touristique colportée dans les châteaux et les
musées ne peut supporter qu'un duché ou un
comté aient pu vivre de façon indépendante,
même si les moyens de communication et d'asujettissement
étaient rudimentaires.
L'industrie touristique nous soumet
aux hiérarchies symboliques de l'ancien temps ; et nous devrions
nous y plier, bien plus que ceux qui vivaient dans cet ancien
temps.
L’indépendance est décrite comme
une révolte
illégitime, et non comme un état de stabilité, de
paix et de
prospérité, ce qui fut
souvent la réalité bretonne pendant la période
ducale.
Les aléas de
l'histoire sont vus comme une ligne sinueuse menant forcément à l'assimilation
française. Et celle-ci ne peut être mise en doute. Dans la cité de Carcassonne,
le diaporama vous parle, à propos du traité des Pyrénées en 1659, de la réunion
"définitive" du Roussillon à la France. Ce terme de "définitif
" possède un double sens. Il signifie que l'union était déjà en germe depuis
les temps les plus reculés, et qu’une espèce de logique transcendante, mais
patiente, a fini par l'emporter. Il signifie aussi que la France hexagonale est
éternelle.
"Définitif"
… L'arrogance, l'ignorance et l'imprudence en un seul adjectif.
A Nantes la muflerie et
l’inculture des responsables du tourisme
s’étalent impudiquement. Le château des ducs de
Bretagne est rangé parmi les
châteaux de Loire. L’UNESCO définit le Val de Loire
comme la vallée des rois de
France, entre Sully-sur-Loire et Chalonnes, à 25 km
d’Angers, mais qu’importe.
Pourquoi ne pas y mettre aussi la forteresse de Clisson, bâtie
contre l’agression
française ?
Pour attirer le touriste, le château des ducs
de Bretagne est donc rangé à l'ombre de celui de Chambord.
S'il vient là pour ce qu'on lui promet, à savoir l'histoire des
rois de France, le touriste avisé verra immédiatement l'entourloupe. Le "ligérien"
sera pour lui le prototype du camelot inculte.
Poussons
un peu la
logique. Oh, de très peu : de 10%, soit 30 km. Si,
touristiquement parlant, le
château de Nantes gagnait à vivre dans l'ombre de celui de
Chambord, situé à 300
km de là, le muscadet gagnerait à faire partie des vins
de Bordeaux. Son classement parmi les vins de Loire n'a guère
favorisé sa notoriété, pour différentes
raisons. Et, après tout, la
distance n'est que de 330 km entre
Nantes et Bordeaux. Il est incompréhensible que les penseurs
touristiques nantais, qui se raccrochent à la région
Centre lorsqu'il s'agit d'architecture, n'aient pas songé
à se
raccrocher à la région Aquitaine en ce qui concerne la
viticulture.
Pourtant, l'argument de notoriété aurait
été strictement le même.
Ces gens-là, il
faut bien le constater, n'ont ni culture, ni fierté. Que savent-ils faire au juste ?
Sucer, se raccrocher, parasiter. On croit faire du tourisme culturel ; on
est manipulé par un tourisme-morpion.
Et, en plus, on ne
bronze même pas.