11 novembre : commémorer l'ignominie

Monument aux morts de Primelin
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L’infâme XXe siècle
Le devoir patriotique de mourir pour la France est
caractéristique du XXe siècle. Sous l’ancien régime, il existait des « milices
provinciales », désignées par tirage au sort. Il faut attendre la levée en
masse de l’an II, puis la loi Jourdan de 1798, pour établir un service
militaire obligatoire et l’idée que "Tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie".
Au XIXe siècle, le délire républicain de s’approprier la vie de tous les
citoyens ("La totalité de l’existence de
l’enfant nous appartient" Le Pelletier, 1793) s’estompe. L’obligation
militaire est tempérée par le tirage au sort des conscrits, qui en exempte les
deux tiers.
Arrive le XXe siècle, et le retour du délire. La
loi Berteaux de 1905 supprime le tirage au sort et établit le service militaire
pour tous, selon le bel idéal d’égalité. Il faut attendre 1996 pour que le
service militaire obligatoire soit supprimé. Infâme XXe siècle.
Le tournant de 14-18
Pendant nos siècles
d’indépendance, les solidarités bretonnes ont été bien plus impératives que
l’obéissance à un quelconque souverain. Le titre de duc correspond à celui qui
organise les solidarités, alors que le titre de roi correspond à celui qui
règne sur une population soumise. A la Renaissance, au temps d’Anne de
Bretagne, nous avons perdu, non seulement notre indépendance politique, mais
aussi nos solidarités authentiquement nationales. Les anciennes solidarités se
sont recroquevillées sur des coutumes partagées, sur la langue commune, sur des
connivences.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la
participation des Bretons à des conflits du côté français ne changeait rien à
leurs anciennes fidélités. Les fidélités étaient tribales ; les aventures
guerrières des uns et des autres n’y changeaient rien. Les morts de 14-18 ont renversé
les équilibres. Une nouvelle solidarité collective, dynamique, englobante, française
cette fois, a été imposée aux citoyens.
Le sacrifice crée les
solidarités les plus puissantes et aussi les plus subtiles.
L’héroïsation
des morts, maquillés en morts pour la patrie, s’est faite par l’érection
de monuments dans le moindre village. Les programmes scolaires ont inculqué aux
enfants un devoir nouveau. Les commémorations régulières ont mobilisé les élus
et les personnes d’influence. Ceux qui n’étaient pas morts recevaient des
décorations et se devaient de servir d’exemple. Ils étaient des modèles d’une
vertu nouvelle : l’abnégation. Ils avaient "servi", ce qui
peut s’entendre de diverses façons. |
Face à un devoir ignoble
La Première Guerre mondiale a donné à
l’institution étatique un droit de vie et de mort sur les
citoyens. La
particularité de la fidélité envers la France est
qu’elle se veut supérieure et
opposée à toutes les autres. Au XXe siècle,
l’idéologie laïque, typiquement
française, a rejeté les fidélités non
contrôlées par l’État dans une poubelle
qu’elle nomme la sphère privée.
L’atroce boucherie de 14-18, qui consacrait le
triomphe de l’État français sur toutes les autres
solidarités, fut perçue par
certains Bretons comme une soumission inacceptable.
L’allégeance des enfants,
parfois orphelins de guerre, était exigée au nom du
sacrifice contraint de
leurs pères. Ainsi naquit Breiz Atao, et le rêve
séparatiste. La solidarité
patriotique, dont la première exigence était le sacrifice
des administrés, a
été mise à mal par la déroute de 1940. Elle
a été rétablie par le récit de la
Résistance, réécrit après-guerre, et
s’est transmise jusqu’aux années 90 par le
service militaire.
Violence et solidarités
Les commémorations du 11 novembre nous rappellent
cet idéal du siècle dernier : obéir à
des généraux plus ou moins compétents,
plus ou moins humains, jusqu’à ce que mort
s’ensuive. Cet idéal commandait
aussi aux enfants de faire de leur père sacrifié un
modèle à suivre.
Le sacrifice ne fait plus partie des valeurs de
nos sociétés évoluées et
hyper-individualistes. Lorsque j’étais jeune, mes
institutrices parlaient encore avec émotion du sacrifice pour la
patrie. A
l’église, les religieuses forçaient
l’admiration ; elles avaient fait le
sacrifice de leur vie à Dieu. Cette manière de penser,
qui semblait normale et
établie depuis des temps immémoriaux, s’est
effacée en quelques années.
L’observation nous montre pourtant que le sacrifice n’est
pas un mirage. Il
arrive que la renonciation volontaire d’un homme ou d’un
groupe d’hommes à la
liberté ou à la vie a permis d’obtenir un gain sans
commune mesure avec la
perte consentie. L’insurrection irlandaise d’un millier
d’hommes, pendant la Première Guerre mondiale, a
provoqué
l’insoumission de tout un peuple et l’indépendance
d’un pays. Gandhi, en
menaçant de mettre fin à ses jours par la grève de
la faim, et par son appel "Quit India" pendant la Seconde guerre
mondiale, a fait reculer un
empire.
Le maître de la violence est aussi le maître des
solidarités. Dans une société comme la société française, l’État est le
détenteur de la violence légale. Dans une communauté religieuse comme le
catholicisme, la violence est ritualisée. La messe est le moment où le
sacrifice du Christ est vécu par l’assistance et où donc les solidarités sont
rappelées. Dans une communauté nationale comme la communauté
bretonne, la violence s’exprime par des actes isolés, et aussi par des
manifestations collectives. La violence symbolique ou ritualisée s’exprime lors
de nos fêtes bretonnes. Lors du Carnaval de Douarnenez, le Bolom Meurlarjez,
immense effigie en carton-pâte du roi de la fête, est brûlé à la fin de la
manifestation. La réputation festive des Bretons rejoint sans doute leurs
solidarités tribales.
Reste à trouver la forme de violence convenable,
adaptée à la fois à notre caractère, à notre culture et à la situation, qui
surclassera toutes les autres solidarités ; en
particulier le patriotisme français sacrificiel, sacralisé par les massacres de
la « Grande » guerre.
JPLM
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