Les députés de la "France Insoumise" se sont opposés à
l’unanimité à la loi Molac sur les langues dites
régionales. L’analyse du scrutin par
l’Assemblée nationale est accessible sur :
https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/3569.
La seule députée LFI qui avait voté pour,
Bénédicte Taurine, s’est retractée. A peine
six mois auparavant, elle défendait l’occitan :
https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-32918QE.htm. Comme quoi, les "insoumis" français sont particulièrement soumis et bêtement disciplinés.
LFI est le seul groupe
politique à défendre le monolinguisme d'État, et
la France est un des derniers grands États monolingues. Les LFI
ne sont pas
seulement des opposants à la langue bretonne, mais à
toutes les langues sous domination française, de l’occitan
de Frédéric Mistral, trahi par Bénédicte
Taurine, jusqu’au créole de mes amis réunionnais.
Le double langage des supplétifs de province est
néanmoins toléré par les grands chefs à
l'approche des élections :
https://bretagneinsoumise.fr/defendre-lenseignement-des-langues-une-priorite-pour-la-france-insoumise/
Le groupe LREM est
partagé. Les députés bretons et bien
d’autres ont voté pour, enfreignant les directives venues
d’en haut. Eux, ils ont fait preuve d'insoumission. Dans les autres groupes, les députés
n’ont pas voté contre, même les élus du
Rassemblement National et les Communistes, pourtant de tradition
jacobine. Les uns ont voté pour, les autres n’ont pas pris
part au vote. Ce genre d’hypocrisie montre que le vent tourne. La
morgue qui accompagnait les incantations de la
France une et indivisible n’est plus d’actualité. Tant mieux.
Qu’est-ce que l’insoumission ?
Quand j’étais
jeune, j’ai fait 15 mois de prison militaire pour "insoumission
et refus d’obéissance". L’insoumission était
alors quelque chose de concret. C'était une
désobéissance à des lois. L'insoumission comportait une
prise de risque. La sanction, quand vous refusiez de porter
l’uniforme lors du service militaire, pouvait aller
jusqu’à 24 mois de prison. En temps de guerre, c’est
la peine de mort. Je n’ai pas été le seul insoumis
breton.
Jean-Luc Mélenchon
s’est emparé du terme "insoumission" pour en faire quelque
chose d’accessible à tous les frustrés de
l’Hexagone. Une sorte de bonbon idéologique pour les
gamins qui rêvent d’aventures, mais sans lâcher la
main de papa. Il en a fait de même avec d’autres mots,
comme "république". Les mots, quand on les vide de leur sens,
permettent de tresser facilement des appels révolutionnaires.
Les discours, alors, sont aussi généreux et aussi vides
que les sermons des curés d’il y a cinquante ans. Les
curés les plus réacs prononçaient leurs sermons en
chaire, ce qui rendait la réplique impossible. La "France
Insoumise" rajoute à ses discours une bonne dose
d’indignation, ce qui permet, là aussi,
d’éviter toute discussion loyale.
A la question "Insoumis
à quoi ?", Mélenchon répond : au capitalisme,
à la tyrannie, à l’argent. C’est tout ?
C’est vraiment jouer petit bras. Avec une telle arnaque
intellectuelle, on peut aussi se proclamer insoumis au cancer, à
l’incompétence (des autres), au mauvais temps, au
coronavirus et à des milliers d’autres choses encore.
Ils défendent un capital
Arrêtons-nous sur le
capitalisme auxquels sont "insoumis" ces gens, dont la plupart
n’ont pas de patron capitaliste.
Le capitalisme, apparu lors
de la révolution industrielle, est lié à la
production et à la consommation de masse. Le XIXe siècle
a été le siècle d’or du capitaliste
industriel. Au XXe siècle, il a cédé la place au
capitaliste financier. Au XXIe siècle, nous sommes passés
à une société de l’information, à une
société du savoir. La révolution numérique
a produit une information de masse et un savoir de masse. Le savoir
c’est le pouvoir ! Celui qui détient un capital de savoir
a des prétentions politiques. Les passions se
déchaînent entre les possesseurs de savoirs -réels
ou imaginaires- : technocrates, leaders populistes, hommes de
médias, nouveaux philosophes, scientifiques ambitieux,
créateurs de start-ups. Les anciennes générations
de capitalistes, ceux que les communistes appelaient les 200 familles,
ont pour la plupart disparu. Ils ont cédé la place
à des nouvelles figures, comme Bill Gates, qui ont
créé des empires internationaux.
La "France Insoumise" se dit
anticapitaliste. Mais elle défend un capital culturel dominateur
qui, comme le capital industriel et financier, a largement
prouvé son rôle oppresseur. Inutile de développer
ici le rôle de la langue française dans les pires aspects
de la colonisation. Je citerais seulement Paul Bert, héros de la
République, qui résumait en une phrase sa mission
lorsqu’il devint résident-général du
protectorat de l’Annam-Tonkin, l’actuel Vietnam, en 1886 : "Il faut placer l’indigène en position de s’assimiler ou de disparaître".
Sur le site Contreculture.org, j’ai démasqué
d’autres icônes de la pensée française.
Défendre un capital
culturel dominant contre les langues natives et les créoles,
dans l’Hexagone et outre-mer, n’a rien d’une
insoumission. C’est même le contraire. C’est
revendiquer le pôle réactionnaire de
l’échiquier politique. On croyait la place occupée
par le Rassemblement national. Il est vrai que le RN revendique
maintenant un autre pôle, celui de la représentation des
catégories sociales déconsidérées
; ceux
qui, au travail, portent un gilet jaune. Ce swing nous change des
clivages traditionnels de la politique. Tout évolue en ce
moment. Il faut remettre à plat nos habitudes de pensée,
sous peine de ne plus rien comprendre à la politique.
La revendication républicaine
La République En Marche fait de la sous-enchèresur
la droite et la gauche, de manière à proposer une
synthèse, le fameux "en même temps". La France "insoumise"
fait l’inverse. Elle fait de la surenchère sur la gauche
et sur la droite, sur les Socialistes et sur les Républicains.
La référence historique en est les jacobins de la
Révolution française. Ce modèle, fusion originale
de l’incompétence, du mépris, des grands mots et de
la pulsion de mort,
est un trait culturel enraciné dans l’histoire de France.
Les programmes scolaires en font un modèle devant lequel le
citoyen doit s'incliner.
Pour conclure, on pourrait
résumer le républicanisme de la "France Insoumise" en
paraphrasant un homme politique célèbre : "Tout dans la République, rien contre la République, rien hors de la République". Beau slogan progressiste, n'est-ce pas ?
Le dynamisme des communautés
Le communisme, dont
Mélenchon se veut le légataire universel, avait
accompagné la révolution industrielle et la production de
masse. Les communistes voulaient, comme leur nom l'indique, organiser
la "communauté des producteurs" face au capitalisme
industriel. Aujourd’hui, l’organisation en
communautés accompagne la révolution numérique et
le savoir de masse. Les communautés défient la
propriété intellectuelle comme les communistes
s'attaquaient à la propriété industrielle. Des
communautés d'informaticiens créent et diffusent des
logiciels libres. Des communautés de malades contestent les
brevets des laboratoires pharmaceutiques ; bientôt, elles
fabriqueront des médicaments génériques. Des
communautés éphémères de touristes lancent
des appels d'offres auprès des voyagistes. Les adolescents se
moquent de la propriété intellectuelle des artistes de
variétés.
D’anciennes
communautés, comme la communauté bretonne, sont à
l’aise dans cette révolution. Elles revivent, après
l'étouffoir jacobin. La communauté bretonne se reconnait
dans son originalité culturelle. Elle surfe sur internet. Elle y
diffuse et y stocke sa langue. Le breton est la 83ème langue sur
Wikipédia (https://meta.wikimedia.org/wiki/List_of_Wikipedias),
avant bien des langues officielles d’États reconnus par
l’ONU. Je bénis ces magnifiques et discrets
bénévoles qui travaillent dans l’ombre. Le
Wikipedia en breton en compte 93 contributeurs et 3 administrateurs. Ce
sont eux les vrais révolutionnaires. Ils bousculent
l’ordre ancien, comme ces professeurs bretonnants qui font de nos
enfants et petits-enfants des multilingues.
L’avenir est aux nouveaux insoumis bretons, pas aux "insoumis" français.
JPLM