Anticiper la fin du cycle
 |
"L'aristocratie a trois
âges successifs :
l'âge des supériorités,
l'âge des privilèges et l'âge des
vanités"
(Chateaubriant)
L’existence de
cycles a été observée dans de
nombreux domaines. Kondratieff a décrit des cycles
financiers de 40 à 60 ans. L’économiste
Joseph Schumpeter a montré que des grappes
d’innovations peuvent bouleverser
une ancienne économie, créer de la valeur, puis
à leur tour s’endormir sur des rentes,
avant d’être balayées par une nouvelle
grappe d’innovations.
L’idée de cycles historiques existe depuis les
temps les plus anciens. Oswald Spengler, dans son livre "Le
déclin de
l’Occident", identifie quatre phases dans
l’évolution des cultures. En
Occident, elles sont représentées par quatre
personnages. Le héros symbolise
la première phase, celle des origines barbares, proches de
la nature. Puis vient le saint, qui symbolise
le passage du mythe à la religion. Ensuite, lors du passage
de la religion à la
morale, vient l’honnête homme. Le citadin
compétent, l'expert, est le représentant de la
dernière phase, avant le retour des barbares.
|
J’ai l’impression que la politique
française subit
aussi des cycles.
La
Troisième république s’est
imposée après le
Second empire. De Gambetta à Clémenceau, en
passant par Jules Ferry et le petit
père Combes, la première phase fait
apparaître des visionnaires républicains.
Ces visionnaires ne sont pas pour nous plaire ; ils
étaient possédés par
un démon jacobin impérieux. Après la
guerre 14-18 sont apparus des stratèges.
Léon Blum a géré
l’évolution sociale. Puis sont venus les
administrateurs, plus
prudents, plus hésitants. Edouard Daladier est le prototype
de ces politiciens
sans perspective. Puis est venue la guerre.
La
Cinquième république a, elle aussi,
commencé
avec un visionnaire autoritaire, Charles de Gaulle. Puis sont venus des
stratèges, comme Valéry Giscard
d’Estaing ou François Mitterrand.
Aujourd’hui,
nous vivons sous le règne d’administrateurs.
Les gouvernants
français récents, de Jacques Chirac
à Emmanuel Macron, ne s’imposent pas par leur
vision du futur, mais par leur
habileté manœuvrière. Ils passent leur
temps à résoudre des crises, à
déminer
des conflits, à équilibrer des budgets.
Aujourd’hui, le président Macron est
confronté à l’immigration, au
terrorisme, aux contestations diverses, à la
crise du régime social des indépendants,
à la fuite des capitaux.
Ce
président est sans doute intelligent, dynamique,
ouvert, compétent. La question que je me pose
n’est pas celle-là. Je ne me
soucie pas non plus de lui attribuer une étiquette de
droite, de gauche, de banquier,
de libéral, de démocrate ou de jacobin ;
je ne suis pas une agence de
notation. La question que je me pose est la suivante : Qui sont ceux
qui, après le
règne des administrateurs, vont accomplir la destruction
créatrice ?
Je fais une
différence entre
les destructeurs et les
révolutionnaires. Les révolutionnaires veulent
prendre le
pouvoir. Ce n'est pas le but des destructeurs. Ils n'incarnent pas une
opposition, mais une autre conception de la vie et de la
société.
Qui seront ces destructeurs
de notre univers si
bien administré ? Quels sont leurs rapports avec le
mouvement breton ? Je distinguerai
quatre groupes et, en une interrogation, le rapport que nous pourrions
avoir avec eux.
1) Les gagnants de la
mondialisation
Aux Etats-Unis, Ceux qui
ont accumulé une immense fortune
inventent de nouvelles utopies. Bill Gates a mis la plus grande partie
de sa richesse
dans une utopie humanitaire, l’éradication des
grandes maladies mondiales. Ses
dons annuels sont supérieurs aux dépenses
annuelles de l’OMS, Organisation
Mondiale de la Santé. D’autres investissent des
sommes colossales dans le
transhumanisme, l’intelligence artificielle, le prolongement
de la vie, la
conquête spatiale. Ces projets révolutionnaires se
font hors du domaine public,
hors du contrôle démocratique ou administratif.
Les gagnants de la
mondialisation connaissent les différentes
législations
et par conséquent ils les relativisent toutes.
En France et en
Bretagne, les gagnants devront trouver un
emploi à leur fortune.
Abêtir ses enfants en en
faisant des rentiers est une perspective absurde. Aux XVe et XVIe
siècles, les
entrepreneurs enrichis par le commerce des toiles ont couvert la
Bretagne de
manoirs, de chapelles et d’enclos paroissiaux.
Aujourd’hui, ils subventionnent
des statues dans la Vallée des Saints, suivant en cela les
traces de leurs
ancêtres. Les militants bretons sauront-ils les convaincre
d’aller plus loin
pour enrichir notre patrimoine collectif ?
2) Les survivalistes utopiques
Parlons un peu des
zadistes. Non pas des
purs
contestataires, mais de ceux qui expérimentent une nouvelle
façon de vivre, à
l’écart de l’argent, de la
propriété,
et de l’État de droit. Ils rejoignent les Robins
des bois modernes et les
entrepreneurs de l'économie solidaire.
Non droit
ne veut pas dire non éthique.
En cas
d’effondrement économique, ces originaux
pourraient
acquérir une importance
imprévisible. Ils prennent le relais des utopies
sociales, libertaires
et écologistes des siècles derniers.
L’Etat avait
étouffé ces initiatives en se voulant
providence.
L’épanouissement
collectif et solidaire à l'échelle de la Bretagne
peut-il
faire partie
des nouvelles utopies libertaires ?
3) Les débrouillards
Tous les survivalistes ne
sont pas des
utopistes. Il en est des milliers qui sont soumis
à la nécessité. Ils vivent dans les
banlieues,
dans nos
campagnes, là
où l’État de droit est
moins présent.
Ils ne supportent plus
la pression, celle des administrations comme celle des entreprises. La
protection sociale, pivot de toutes les grandes utopies, est pour eux
un corps étranger, que l'on exploite
éventuellement sans
état d'âme. Peu importe les droits qu'on leur
concède, ils raisonnent en termes de
débrouille.
Plus du tiers des personnes éligibles au RSA ne le demande
pas.
L'indépendantisme social a ses filous, ses guerriers, ses
traumatisés, ses enfants perdus.
La
"débrouille" est un
révélateur et un
accélérateur de la
décomposition. L'indépendantisme social peut-il
rejoindre
l'indépendantisme politique ? Dans les comités
Bonnets
rouges, j'ai assisté à des convergences.
4) Viva la muerte !
"Vive
la mort !" ; Ce fut le mot
d’ordre d’un général
franquiste. C’est
aujourd’hui celui des terroristes
musulmans. Il fut aussi, après leur phase
idéaliste,
celui des idéologies
totalitaires du XXe siècle. Nos
prédécesseurs du
Breiz Atao avait parié sur l’un d’eux,
le
national-socialisme
allemand.
Le film "Paris
brûle-t-il ?"
montre l’enjeu que représente la capitale
d’un pays
centralisé. Ce fut, en 1944, la lutte sans merci
entre les
gaullistes et
les communistes pour en prendre le contrôle. Ce fut aussi la
volonté d'Hitler de détruire ce centre pour
neutraliser
l'ensemble.
Ceux
qui mettent la mort au centre de leur action pourraient
aujourd’hui disposer d’armes de destruction
massive. Depuis 1944, la volonté de
détruire une métropole passe par de nouveaux
moyens, chimiques,
bactériologiques, atomiques. Si le centre d’un
pays centralisé est victime
d’une telle attaque, l’organisation politique devra
se reconstruire sur une
base entièrement nouvelle. Pour ceux qui
réfléchissent à l’avenir de
la
Bretagne, c’est un scénario-catastrophe que nous
ne pouvons plus écarter.
Le déclin, le
contournement ou
l’effondrement de l’Etat-providence sont
des éventualités qui ne doivent pas
être négligées. Loin de moi
l’idée
de les souhaiter. Mais s’ils adviennent, il faut que la
Bretagne
y trouve son
compte.
JPLM
|