Les gènes, les mèmes, les nations
|
![]() Charles Darwin et Richard Dawkins
|
Sortons des sentiers battus. La revendication
bretonne a hérité du nationalisme du XXe siècle, qui établissait un lien fort entre
génétique et nation. Sommes-nous condamnés à porter cette charge doctrinale
comme un boulet ? Pouvons-nous dépasser dialectiquement cet héritage
maudit ? Le lien entre
génétique et nation découle, en fait, du lien entre biologie et nation. Il est
difficile de s’affranchir de ce lien. La nation est une communauté d’êtres
vivants. Elle ne peut pas être coupée de la nature et de ses lois, même par un
idéal culturel ou éthique. Ce ne serait plus du nationalisme. Les utopies
morales sont des paradis artificiels, que la nature humaine a tôt fait de
transformer en enfer. |
Pour expliquer la pérennité des
cultures humaines, le schéma génétique a des
limites évidentes. Certains comportements humains sont contradictoires
avec la survie biologique de l'espèce. Ainsi en est-il de la
chasteté chez les prêtres catholiques, de
l’abnégation chez les militaires ou
de l'attentat-suicide. Pourtant, ces traits culturels se
reproduisent avec succès, parfois sur une très longue
période. Un biologiste
britannique, Richard Dawkins, a émis l'hypothèse
de l’existence d’un autre réplicateur que le gène, obéissant lui aussi au
schéma darwinien. Dawkins a nommé cet autre réplicateur le "mème".
Le gène est l’unité
de codage génétique. Le mème est l’unité de codage culturel. Le gène se transmet
sexuellement, chez l'homme et la plupart des animaux. Le mème se transmet de cerveau à cerveau. Il peut aussi se
déposer dans un livre, une vidéo, une mémoire d’ordinateur. Il peut se
reproduire par l'imitation, l'apprentissage, la conversation, l'exemple vécu, le livre, internet. Il
est sujet à mutations et à variations. L'environnement exerce une pression
sélective.
Pour l’instant, il
n’y a pas de preuve de l’existence matérielle du mème. Mais n’oublions pas
que la preuve de l’existence du gène a été apportée bien après que les lois de
la génétique aient été découvertes et utilisées en agriculture.
Les espèces animales sont définies par des pools
génétiques. Ainsi, chez
les carnivores, sont associés les gènes qui codent le
système digestif et ceux qui codent les instincts de
prédation. Les mèmes s’associent de la même
façon pour
structurer des communautés. Ceci est valable, non seulement pour
les
communautés humaines, mais aussi pour des communautés
animales évoluées.
Certains comportements y sont acquis et transmis. Ainsi en est-il du
lieu de
résidence des choucas, du lavage des aliments par des
communautés de singes au Japon, de
la connaissance des poisons dans les communautés de rats.
Le lien entre les
mèmes et les communautés humaines a été exploré par des auteurs anglo-saxons
dont certains ont été traduits en français, comme Susan Blackmore ("La
théorie des mèmes") et Howard Bloom ("Le principe de Lucifer").
Le sentiment d’appartenance, la pensée créative, les langues, les habitudes
culturelles sont des systèmes évolutifs de type darwinien. Ils sont fondés sur des reproductions, des
variations et des sélections permanentes. De telles études peuvent inspirer un
nouveau nationalisme, qui pourrait bien être le successeur du nationalisme
génétique. Explorons-en quelques aspects.
Alors que l’idée de "patrimoine génétique" a
toujours été discutable, une mémoire commune assumée, stockée à la fois dans
les cerveaux des membres de la nation, dans leurs "savoirs-faire" et dans les serveurs informatiques
mondiaux, ferait du nationalisme mémétique une
force bien plus attrayante que le nationalisme génétique.
Il encouragerait la transmission des savoirs de tous ordres, des savoirs-faire, des savoirs-être.
Le nationalisme génétique visait à la pureté et à
l’exclusion. Ce n’est pas le cas du nationalisme mémétique, qui viserait à une
richesse immatérielle, partagée et accessible à tous.
Depuis 40 ans, l’hypothèse du mème a
mobilisé de grands
esprits de par le monde. Elle s'est popularisée chez les geeks.
D'éminents biologistes, psychologues et sociologues se
sont penchés sur ces réplicateurs que
sont les mèmes. Ils se sont aussi penchés sur leur mode de reproduction et de
diffusion. Les stratégies isolationnistes, natalistes ou génocidaires qui
imprègnent le nationalisme génétique ne fonctionnent pas avec le mème. Le
succès ou l’échec d’un ensemble mémétique, nation, religion, culture, passe par des
stratégies qui peuvent être évaluées par la théorie des jeux. Les résultats d’Axelrod sur les effets de la coopération sont particulièrement intéressants.
Pourquoi
introduire une nouvelle hypothèse, d'origine scientifique, dans notre
réflexion sur le nationalisme breton ?
Parce que la Bretagne est une
aventure collective originale et incertaine, sûrement pas une vérité cristallisée.