Ruralité et diversité humaine

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Les citoyens des grandes métropoles se plaisent à
donner des leçons de tolérance et de diversité aux populations rurales et périphériques, aux Bretons par
exemple.
Ils
nous montrent leurs trottoirs, leurs bureaux et leurs cafés, où se
côtoient des blancs, des noirs, des personnes de toutes les couleurs.
Dans leurs
télévisions, ils nous répètent tous les
jours que nous devrions admirer leur ouverture d’esprit. Ils mettent en avant les "minorités visibles".
Je ne suis pas convaincu.
J’ai
participé à des congrès internationaux et
j’ai fréquenté des foires agricoles bretonnes.
Dans les congrès internationaux, il y a certes différentes
couleurs de peau. Les congressistes parlent des langues très
différentes, même s’ils ont généralement l’anglais pour langue commune.
Mais je ne les trouve pas très différents les uns des autres. Ils
suivent des modes vestimentaires internationales. Ils portent en
général les mêmes vêtements, ou des vêtements de même qualité. Ils ont
le même regard. Ils sont de taille comparable. Ils ont souvent des
fronts, des nez, des bouches qui se ressemblent.
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Quand la télévision interviewe les
citadins des grandes métropoles mondiales, ils ont les
mêmes expressions, les mêmes gestes, la même retenue.
Contrairement aux ruraux, lorsqu’ils parlent anglais, je
n’ai aucun mal à les comprendre. Il y a toujours, dans
leurs espoirs, leurs peurs, leurs colères, leurs joies, une
sorte d’idéal commun de confort matériel ou
intellectuel. Ils ont les mêmes préoccupations et les
mêmes ambitions. Ils sont raisonnables. Or la Raison, si
chère aux Français, ne porte aucune diversité.
Elle est unique et universelle. Les grands citadins semblent construits
sur un même modèle raisonnable, unique et universel.
Pour rencontrer
la diversité, allez dans une foire agricole en Bretagne ! Vous
ne le regretterez pas.
Certes, la couleur
blanche de la peau prédomine largement. On y voit quelques
individus d’autres couleurs, intégrés dans notre
communauté par amitié, par adoption ou par mariage. Ce qui est sûr,
c’est que j’y rencontre des personnes beaucoup plus
diverses que celles que je croise dans les congrès
internationaux ou que je vois à la télévision.
Les
vêtements varient selon la richesse et la proximité des
villes. Autrefois, au temps où chaque paroisse s’habillait
à sa giz, les
vêtements étaient encore plus bigarrés. Dans une
foire agricole locale, vous pouvez croiser des hommes et des femmes
pour qui les modes internationales sont, soit inconnues, soit
inaccessibles.
Regardez les visages de nos compatriotes ! Têtes frêles ou massives,
fronts très hauts ou très bas, nez minuscules ou
énormes, teint pâle ou rougeaud, mentons fuyants ou en
galoche.
Les débits de
parole vont du très lent au très rapide. Ils sont beaucoup plus variés que chez les grands citadins.
Ce sont surtout les regards
qui m’étonnent. La couleur des yeux y est sans doute pour
quelque chose. Dans ces regards, le soleil des champs et l’ombre
des étables se sont imprimés. La fréquentation des
animaux a une influence certaine. Il m’est arrivé de
deviner que l’un élève des vaches, l’autre
des cochons, l’autre des pintades. Quelque chose de l'attitude
et des instincts de vos bêtes passe dans votre comportement.
Outre le regard, le
maintien et le geste sont différents. Ceux qui travaillent dans
des bureaux ont des gestes qui obéissent à une
pensée. Chez les éleveurs, une adaptation aux
comportements animaux perce derrière chaque geste. La force
physique s’exprime différemment selon que vous avez
affaire à un bovin de 500 kg ou à 500 poulets de 1 kg.
Je retrouve cette
diversité dans nos fossés et sur nos talus.
Diversité végétale dans le moindre de nos ribin
! La prêle, la fougère, le trèfle, le ray-grass
s’y côtoient. Peu de couleurs chatoyantes, mais mille
formes, mille stratégies de vie et de reproduction. Le contraire
des expositions botaniques internationales.
Il existe une
écologie humaine. Les environnements de ceux qui travaillent
dans des grandes entreprises ou des administrations sont suffisamment
semblables pour qu’ils finissent par se ressembler, quelles que
soient les latitudes, les langues parlées ou les couleurs de
peau.
Les grands citadins sont plus
proches les uns des autres qu’ils ne le sont de
l’éleveur qui les nourrit. Leur milieu de vie est un
amoncellement de matériaux inertes, où tout a une
utilité pour l’homme. L'éleveur, lui, est en
contact quotidien avec des troupeaux d’êtres vivants non
humains. Ses animaux portent un héritage immémorial
de gènes, de comportements et d’instincts.
Les symboles modernes,
inventés par des artistes des grandes métropoles, sont
des abstractions qui flattent l’esprit et amusent la raison. Je
comprends que mes ancêtres se soit donné des symboles
animaux, le sanglier, le cheval de mer, l’hermine. Les
très-anciens en ont dessinés sur les parois des grottes.
Les vieux symboles entrent en correspondance avec une strate ancienne
de notre cerveau.
Une strate ancienne,
primordiale, sur laquelle s’est construite notre identité
actuelle de Bretons civilisés.
JPLM
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