La revendication bretonne à
l'épreuve de l'insécurité

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Le
chômage de masse et le terrorisme islamique ont fait
évoluer les mentalités. En Bretagne, les
dernières élections ont été
dominées
par ceux qui mettent la sécurité au premier plan,
à savoir le Front National et le
Ministre de la Défense. Peu importe ce qu’on pense
de cette évolution. La
préoccupation de sécurité est devenue
primordiale, avant l’aspiration à la
justice ou à la liberté.
L’insécurité
s’installe durablement, et la revendication bretonne, telle
qu’elle s’est
exprimée durant l’après-guerre, doit
s’interroger sur son avenir.
Les punks ont
fait de "no future"
un concept
branché. La génération suivante en
tire les conclusions et passe aux actes. Et
que fait-on, s’il vous plait, quand il n’y a plus
de futur, ni pour soi, ni
pour les autres ?
La "meilleure" solution est
la violence. La
musique punk suggérait fortement cette solution. En
l’absence de futur, la
violence permet de donner consistance au présent. Elle
provoque des changements
immédiats, visibles et irréversibles. Il
n’est pas nécessaire de faire des
plans ni d’être intelligent. "Viva la
muerte !", était un cri
de ralliement franquiste pendant la guerre d’Espagne. Celui
qui inventa ce cri
de guerre en inventa aussi un autre : "Muera la
intelectualidad traidora !" "A mort
l’intelligence !".
La plus visible des violences, ces temps derniers, a
été la
violence islamiste. Avec elle, l’innocence n’existe
pas, la justice n’existe
pas, l’avenir n’existe plus. Les massacres
revendiqués par l’État Islamique ont
ceci de particulier qu’ils correspondent à de la
haine chimiquement pure. Les
assassins n’ont pas vraiment de convictions. Seulement de la
haine.
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On a vu aussi
apparaître la haine indiscriminée
envers les policiers. ACAB ! All cops are bastards ! Dans les
manifestations contre l’aéroport de Notre Dame des
Landes ou la loi Travail, les
organisateurs sont débordés par les antiflics.
Ils sont de plus en plus nombreux.
Ils défient tous les services d'ordre, y compris les plus
redoutables.
Il existe aussi
des haines
ruminées, qui ne conduisent pas
au meurtre mais qui forcent à l’envisager.
Contre...
Contre les sionistes quand on est de
gauche. Contre les Juifs quand on est de droite. Contre le MEDEF,
contre la
FNSEA, contre les immigrés, contre les Français
de
souche, selon les sensibilités politiques ou
identitaires… Les dégradations à
répétition de
locaux de la CFDT ou du PS expriment des haines nouvelles.
Les
périodes de haine et les périodes
d’utopie obéissent à
des cycles, comme les périodes de
prospérité et de récession. Le
mouvement
anarchiste, depuis près de 200 ans, est un bon indicateur.
Pendant les périodes
de prospérité, au milieu du XIXe
siècle et à la fin du XXe siècle, il
est volontiers
utopiste. Quand la situation se dégrade, il bascule dans le
nihilisme. Il y eut
les utopies autogestionnaires des années 60 ou 70,
après les utopies
communautaires du XIXe siècle. Entretemps, il y a eu le
terrorisme anarchiste. Aujourd’hui,
les textes du "comité invisible" prônent le chaos
comme stratégie
révolutionnaire. Les black blocs, les antifas ou les
zadistes en expérimentent
la pratique.
Le mouvement
breton d’après-guerre, en succédant
à Breiz
Atao, a présenté sa revendication comme un
projet. Projet d’épanouissement de
la singularité bretonne. Utopie démocratique.
Est-ce encore
adapté ?
L’insécurité fait que ce ne sont
plus les visions du futur qui créent les clivages, mais les
haines. Nous ne
sommes plus dans le rationnel, mais dans le rapport de forces. La
violence est un
élément plus déterminant que la
puissance de raisonnement ou la recherche du
bien commun.
Comment peut se
présenter la revendication bretonne dans une
période de récession, de haine et de violence,
dont nul ne sait combien de
temps elle va durer ?
Les programmes
politiques ne servent plus à rien. On
apprécie les promesses, qui nous donnent
l’impression d’exister, mais on n’y
croit plus. Qui a étudié les programmes
des partis avant d'en choisir un ? Personne. Qui a
lu le code du Travail avant de le défendre ? Qui a
lu les lois Macron ou
El Khomry avant de s’en indigner ?
Ah,
indignez-vous ! disait
Stéphane Hessel. Tu
parles ! L’indignation est devenue
branchée,
prétentieuse, intolérante,
stupide. "Indignation" est un élément
indispensable de
notre société du spectacle, comme les concepts de
"bien-être" ou de "développement
économique". La force
des partis politiques bretons n’est
pas dans leur programme. Elle est d’abord dans la
capacité
à faire du théâtre
et du buzz à propos de leurs indignations.
Tout combat
désigne un ennemi. En période de
prospérité,
l’ennemi est un obstacle vers un futur
désiré. La confrontation est une
nécessité. C’est le seul moyen
d’atteindre le but. Mais ce n’est pas le but
lui-même.
Quand le futur disparaît, le combat devient le seul
but. La
haine pourrait bien submerger le sens du futur chez ceux qui se
réclament du
combat breton. On le voit chez les anarchistes ou chez ceux qui se
réclament du
califat.
Pour
l’instant, ceux
que la presse mal informée nomme "ultranationalistes
bretons"
dirigent leur haine contre les
musulmans. Elle devrait logiquement se diriger contre les ennemis de la
souveraineté bretonne. En cela, ils ne sont que des
provinciaux
du repli
français ; il doit exister des
équivalents
berrichons ou auvergnats. Ce
qui m’inquiète, c’est plutôt
la perte du futur
chez les authentiques nationalistes
bretons, comme il existe des anarchistes sans futur ou des musulmans
sans
futur.
Face aux
sans-futur, ni l’indignation ni
l’indifférence ne
sont des comportements adaptés.
L’insécurité, la haine et la violence
écrivent
l’histoire qui vient. La Bretagne devra faire partie de cette
histoire, d’une
façon ou d’une autre. Cette façon
d’exister, c’est à nous de la choisir.
JPLM
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