Mercuriale de Juillet 2016
Un point de vue breton sur les mouvements sociaux

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"Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal" (Karl Marx)
Karl Marx n'est pas politiquement correct
J'ai
relu dernièrement le Manifeste du Parti Communiste, de Karl Marx.
Curieuse idée, me direz-vous. Ce livre n'est plus à l'ordre du jour.
Comprenez-moi... Quand l'avenir est incertain et que l'été arrive, se
replonger dans les textes fondamentaux a un côté rafraîchissant.
Dans
le Manifeste, Karl Marx revient souvent sur la Révolution française,
qu'il considère comme le prototype de la révolution bourgeoise. Il
écrit par ailleurs tout un paragraphe sur la France, qu'il définit
comme le pays du socialisme petit-bourgeois. Qu'est-ce à dire ? Je lui
laisse la parole :
"Dans les pays comme la France (…), il est
naturel que des écrivains qui prenaient fait et cause pour le
prolétariat contre la bourgeoisie aient appliqué à leur critique du
régime bourgeois des critères petits-bourgeois et paysans et qu'ils
aient pris parti pour les ouvriers du point de vue de la petite
bourgeoisie. Ainsi se forma le socialisme petit-bourgeois".
Sa
conclusion est saisissante, car elle résume l'idéal de la gauche
française deux siècles après : "Pour la manufacture, le régime
corporatif ; pour l'agriculture, le régime patriarcal : voilà son
dernier mot." |
Bravo le barbu ! Les mouvements sociaux de 2016 visent
en effet à la conservation du corporatisme dans le code du travail. La
primauté des accords de branche, pivots du corporatisme, fait descendre
dans la rue les obligés de la CGT, de FO et de la "gauche de la
gauche". La démocratie locale, représentée par les accords
d'entreprise, est dénoncée comme le grand danger.
Jean-Luc Mélenchon, dans son Livre "Le Hareng de Bismarck" avait déjà été sans ambiguïté sur le sujet : "[Le
principe de subsidiarité] postule que toute action publique doit
être confiée à la plus petite entité capable
de résoudre le problème elle-même. Voilà qui
est très sympathique à première vue. Ça
sent bon l'autogestion. On croirait l'idée conçue pour
définir la place d'une assemblée citoyenne locale. Lourde
erreur. L'idée conduit surtout à limiter toute
concentration de pouvoir par une quelconque puissance publique".
(p. 149). Pour Mélenchon et ses amis, la concentration de
pouvoir (à Paris, bien sûr) prime sur la
démocratie. Il faut concentrer le pouvoir en France. Les
leçons de démocratie, c'est à usage externe !
A côté de ce corporatisme chevillé au corps de la France dite sociale, les bobos sont le fer de lance de ce que Marx appelle "pour l'agriculture, le régime patriarcal".
C'est le rêve de la petite exploitation familiale comme
autrefois, le grand bond en arrière. L'image du bouseux et de sa
petite famille doit rester intacte dans l'imaginaire du citadin. Il
faut ne jamais avoir saisi le regard désespéré et
indigné du paysan breton d'il y a 50 ans, devant les exigences
du courtier qui lui achetait sa récolte à vil prix, du
propriétaire qui fixait la location jusqu'à la
Saint-Michel, ou du citadin qui le considérait comme un ignare.
Sa révolution, dans les années 60, avec pour pivot le
mutualisme, a toujours été considérée comme
illégitime par la bien-pensance française.
"Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour
l'agriculture, le régime patriarcal". Le socialisme petit-bourgeois, que Marx avait vu comme une tradition française, est de retour.
La fin de la dialectique
Karl
Marx, encore lui, a passé toute sa vie à analyser la
dialectique entre le travail et le capital. Le travail crée la
richesse. Le capital, sous la forme d'outils de production, permet le
travail productif. Aujourd'hui, ce type d'analyse sociale a disparu du
"mouvement social". Il suffit de grimacer en disant "Medef !" pour se
voir décerner une identité de gauche. Il suffit de se
pincer le nez en disant "FNSEA !" pour être admis comme un
écologiste pratiquant. On ne se préoccupe plus des
mécanismes sociaux, mais seulement de l'étiquette des
acteurs.
A la critique sociale se substitue un
raisonnement binaire. D'un côté les bons, de l'autre les
méchants. Il y a 500 ans, alors que la Renaissance et
l'invention de l'imprimerie plongeaient l'Europe dans une
révolution culturelle, la chasse aux sorcières faisait
régresser la religion. Aujourd'hui, alors que la
révolution numérique bouleverse le monde, la
dénonciation des complots remet au goût du jour les
condamnations de groupes sociaux. La critique régresse vers la
caricature.
Le fantasme de 1936
Le
Code du Travail français n'a pas grand-chose à voir avec
les avancées sociales de 1936. Il prend pour base les accords
d'après-guerre entre gaullistes et communistes, qui accordent
des avantages aux entreprises et aux salariés qui travaillent
dans les secteurs stratégiques pour l'État central :
l'énergie, les transports, les services publics. Ce code est
fondamentalement inégalitaire et corporatiste ; c'est la raison
pour lequel il est si épais et si complexe. S'il était
vraiment égalitaire, il serait plus simple.
La nouvelle lutte des classes
Les
mouvements sociaux français actuels portent une nouvelle lutte
des classes. L'ancienne concernait le prolétariat industriel et
rural, face au patronat industriel et rural. Aujourd'hui la classe
revendicative n'a plus rien à voir avec l'économie
réelle. Six syndicalistes sur dix sont du secteur public. Six
syndicalistes sur dix sont des cadres et des agents de maîtrise,
pas des ouvriers (Chiffres DARES 2013). La classe qui veut exercer la
dictature n'est plus le prolétariat, mais la petite bourgeoisie
intellectuelle. Elle se sent menacée par toutes les autres
classes. Elle considère les employeurs comme des salauds, les
paysans comme des pollueurs, les artisans comme des poujadistes et les
ouvriers comme des "esclaves qui manifestent pour les droits de leurs maîtres" (dixit Mélenchon). Cette nouvelle lutte des classes ne tend pas vers la justice sociale.
Un point de vue breton
L'épisode
marxiste est manifestement terminé en France, même s'il
suscite encore des nostalgies et des fantasmes. Le socialisme
révolutionnaire régresse vers le sans-culottisme. Les
mouvements sociaux portent la marque du radicalisme citoyen
de Robespierre, avec drapeau tricolore, Marianne aux seins nus,
Marseillaise, discours de haine et dénonciation des "classes dangereuses".
Or comme disais le vieux barbu,
quand l'histoire se répète, la première fois c'est
une tragédie, la deuxième fois une farce. La
comédie s'annonce. Robespierre était le bourreau,
Mélenchon est le bouffon. Les institutions françaises se
sont imposées partout dans l'Hexagone à partir de 1793,
à l'ombre de la Terreur jacobine. Bien différent est le
nouveau sans-culottisme. Il n'impose aucune institution, mais favorise
le non-droit. Ce non-droit donne naissance à une nouvelle
façon de vivre et, pour ceux qui travaillent, une nouvelle
façon de produire de la richesse.
Nous autres Bretons avons eu le mauvais
rôle dans la tragédie de 1793. Nous avons
été les contre-révolutionnaires, les chouans, les
damnés. Dans la comédie qui vient, nous devons nous
préparer à être, sur fond d'effondrement mou, ceux
qui refusent de jouer le rôle fixé par le pouvoir central.
Et alors, advienne que pourra.
JPLM
Mercuriale juillet 2016
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