Mercuriale février 2015
La Grèce et nous
Connaissez-vous les "chaînes
d'argent" ? Elles sont interdites en France depuis 1953. Elles
consistent à rémunérer la personne qui vous a fait
entrer dans la chaîne, et à chercher deux personnes pour y
entrer. Ainsi, vous payez une fois et vous recevez deux fois votre
mise.
Le système, appelé aussi "chaîne de
Ponzi", permet de rémunérer les premiers investisseurs
grâce à l'argent apporté par les nouveaux. Le fonds
d'investissement de Bernard Madoff a fonctionné ainsi de 1960
jusqu'à la crise financière de 2008, atteignant 17
milliards de dollars.
Dans l'économie mondiale, les chaines de Ponzi
fonctionnent à plein régime, sous différentes
formes, jusqu'à l'éclatement de la bulle. Lorsqu'une
société est prometteuse, en particulier dans les
nouvelles technologies, les premiers actionnaires ne cherchent pas
à toucher une part des bénéfices de l'entreprise,
mais à valoriser leurs actions lorsque de nouveaux investisseurs
voudront en acheter. Pour cela, il faut attirer chaque fois plus
d'investisseurs, afin de faire monter la valeur de l'action.
C'est ce que fait Amazon. L'entreprise travaille le plus
souvent à perte, déséquilibrant le commerce des
livres au niveau mondial. L'actionnaire n'attend pas d'Amazon qu'il
fasse des bénéfices ; juste qu'il montre qu'il pourrait
en faire. Ce qu'il demande à Amazon, dans le casino du
capitalisme financier, c'est d'élargir à l'infini sa
table de jeu, d'attirer du monde et de s'inscrire dans la durée.
Cette durée est liée à
l'approvisionnement des joueurs en argent frais. Il faut pour cela
ponctionner l'économie productive, qui crée la richesse
réelle, ou avoir recours aux banques centrales, qui fabriquent
de l'argent.
Venons-en aux Etats comme la Grèce ou la France.
Lorsque l'économie productive faiblit, comme en France, et
lorsque la récupération de l'impôt est
défaillante, comme en Grèce, la chaîne de Ponzi
devient une solution à l'échelle d'un mandat
électoral. Si les banques centrales lâchent de l'argent
"par hélicoptères" comme disent les économistes,
les choses peuvent même se maintenir sans réforme à
l'échelle d'une carrière politique ou administrative.
C'est cool, non ?
A-t'on vu l'État français faire faillite ?
Oui. Les bulles politiques peuvent éclater, au même titre
que les bulles économiques. Rien qu'en France, l'État a
fait plusieurs fois banqueroute, ou "défaut", comme on dit
maintenant. Au Moyen-âge, les pouvoirs publics sont incapables de
faire face à leurs engagements en 1255 sous Saint Louis et en
1307 sous Philippe le Bel. Le Trésor royal connait une
banqueroute au XVIe siècle (1558), trois au XVIIe (1624, 1648,
1661), quatre au XVIIIe siècle (1701, 1715, 1770, 1788). La
Révolution résout la question par l'émission
massive d'assignats et l'obligation de les accepter sous peine de mort.
En 1797, la "banqueroute des deux tiers" est considérée
comme le dernier défaut des autorités publiques
françaises.
Aujourd'hui, parce qu'il rémunère 5,4
millions de fonctionnaires, paye les retraites et garantit les
économies des particuliers, un défaut de l'État
aurait des conséquences sociales pires qu'autrefois.
A-t'on vu des États modernes s'effondrer ? Cela
peut advenir à cause de conflits internes ou externes, comme au
Libéria, en Somalie, au Liban, en Afghanistan. Mais
l'effondrement étatique peut avoir d'autres causes que
l'épuisement par une guerre pré-existante. C'est le cas
en Sierra Leone, en Haïti, en Lybie. Ce fut le cas pour l'Union
Soviétique.
Dans son fameux livre "Effondrement", paru en 2006, Jared
Diamond décrit l'écroulement de sociétés
anciennes et récentes. C'est en général un
processus d'autodestruction. Diamond distingue cinq grandes causes
possibles :
- Les dommages au milieu naturel et l'épuisement des ressources ;
- Les changements climatiques ;
- Les pressions hostiles, militaires en particulier ;
- La dégradation des échanges et des alliances ;
- Les réactions inadéquates des décideurs face à des problèmes structurels.
A chaque effondrement, on assiste à des tentatives
de reconstruction à partir de la base et donc, forcément,
à des revendications locales ou régionales.
Libérez les énergies ! Relocalisons les décisions
! Ce fut le cas de l'Union Soviétique et de la Yougoslavie. La
reconstruction à partir du sommet ne peut se faire qu'en se
mettant sous la coupe d'une puissance étrangère. C'est le
cas de l'Irak ou du Mali.
La Grèce et la France sont les deux États
les plus centralisés d'Europe. La Grèce est plus
avancée que la France dans le scénario d'effondrement.
Nous devons garder un regard vigilant sur elle. Les deux
compères se comprennent. Ils vont s'entraider. De par leur
culture politique, ils chercheront à reconstruire par le sommet.
Même s'ils ne l'affichent pas, ils seront amenés à
faire appel à des puissances étrangères,
politiques ou financières.
Toutefois la Grèce, avec un gouvernement de
gauche radicale, pourrait être tentée par une
reconstruction en partant de la base. Les choses ont commencé
à bouger avec le programme Kallikratis et la réforme
territoriale de 2011. Que va-t-il se passer, maintenant, dans les
régions périphériques comme la Thrace, la
Macédoine ou la Crète ?
La Grèce intéresse les stratèges
français, pour savoir comment reconstruire un pays
centralisé. De notre côté, observons bien les Grecs
de la périphérie. Les expériences de
reconstruction par la base ne manqueront pas de se produire. Ces
expériences devraient nous intéresser, afin de passer en
Bretagne à autre chose que la revendication de nos droits
auprès d'un pouvoir central sourd et aujourd'hui
défaillant.
JPLM

Mercuriale février 2015