Mercuriale décembre 2014
Le nationalisme breton a-t'il besoin d'une mise à jour ?
Dans un article récent de l'ABP, les
lecteurs ont commenté, parfois sévèrement, mon
approche de la Bretagne comme "nation insuffisante", parue en postface
du livre "Histoire de Bretagne, le point de vue breton" (Editions Yoran
Embanner).
Je sais que cette approche est
décalée par rapport au nationalisme traditionnel. Ce
n'est pas de la provocation inutile. Il me semble vital de remettre en
cause un certain nombre de concepts que nous avons hérité
de nos prédécesseurs, et de susciter des contributions
(pas seulement la mienne) qui permettront de construire un nationalisme
breton pour le XXIème siècle.
Pourquoi ? Pourquoi ne pas se
contenter de rappeler sans relâche notre bon droit ? Nous
finirons bien, ainsi, par obtenir gain de cause ! Eh bien non, je ne le
crois pas. Je ne crois pas que nous puissions nous dispenser de
repenser le nationalisme breton, pour au moins deux raisons.
La première raison est que la
France répond de la même façon à toutes les
menaces, réelles ou supposées, contre l'idéal
républicain. Un seul mot leur suffit pour se dispenser de
réfléchir : "communautariste" hier, "identitaire"
aujourd'hui. On met dans le même sac la revendication bretonne,
l'islamisme radical, les dérives sectaires et les
minorités culturelles. Cette paresse intellectuelle, cette
nostalgie des glorieux jacobins d'autrefois, ne doit pas être un
exemple pour nous. L'aveuglement ne conduit qu'à l'échec,
à plus ou moins long terme. Il nous faut briser le miroir. Assez
de "Bretagne une et indivisible" ! Il ne faut pas seulement combattre,
il faut surclasser l'inertie et la bêtise jacobine.
La seconde raison est qu'une
révolution mondiale est en cours. La mondialisation des
échanges, la construction européenne et les nouvelles
technologies nous façonnent un environnement qui ne sera pas
celui des 5 siècles passés. Cet environnement,
c'était celui des états forts, des certitudes arrogantes
et des frontières protectrices. Le nationalisme breton du
XXème siècle correspondait à cet environnement. Il
avait pour seul objectif la création d'un état-nation,
censé résoudre tous les problèmes. Mais que voudra
dire "état" ? Que voudra dire "souveraineté nationale" en
2032 ? Notre revendication doit être compréhensible
lorsque le chaos institutionnel et les technologies de communication
auront transformé la façon de vivre des Bretons. Depuis
15 siècles, les héros guerriers, puis la religion, puis
l'état ont façonné tour à tour
l'environnement de nos ancêtres. D'autres forces apparaissent. Il
nous faut projeter la Bretagne dans le futur, avant que ce futur ne
nous dévore.
Nous avons un temps d'avance sur la
France, parce que nous savons que notre nation est insuffisante.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
Que les bretonnants sont
forcément multilingues ; la langue bretonne ne leur suffit pas
pour vivre dans le monde actuel. Les Français, eux, peuvent
vivre confortablement en ne parlant que le français.
L'histoire de Bretagne est moins une
histoire de pouvoir qu'une histoire de relations. L'histoire de France
est une prison. Le système éducatif français du
XIXème et du XXème siècles l'a voulue ainsi, pour
créer des "citoyens" soumis et bornés. En revanche, quand
nous connaissons l'histoire de Bretagne, nous nous ouvrons sur
l'histoire de l'Europe de l'ouest.
Nous savons que nous ne pouvons pas
vivre repliés sur nous-mêmes. Nous faisons venir
d'ailleurs nos ordinateurs, nos vêtements, une partie de notre
nourriture. Nous allons chercher dans le monde entier le savoir qui
nous est nécessaire pour que la Bretagne continue à
exister. Nos entreprises industrielles, artisanales ou agricoles,
créent la richesse qui nous permet d'échanger avec
d'autres peuples. C'est la raison pour laquelle les Bonnets Rouges
veulent, à tout prix, conserver à la Bretagne son
économie productive. Une économie productive est
l'assurance d'avoir un avenir.
Nous avons un temps d'avance. La
machine France, qui est le principal obstacle à notre
épanouissement, se croit toujours une nation suffisante. Elle
voudrait s'imposer comme la seule communauté dans laquelle nous
puissions nous reconnaître. Elle pense que les droits de l'homme
qu'elle a promulgué il y a 200 ans sont les seuls valables. Elle
ne comprend pas les nouveaux droits, qui s'inscrivent dans les
nouvelles constitutions comme celle de la Bolivie.
Ce pays se présente comme plurinational et communautaire. Le
premier droit garanti aux Boliviens est celui de
"l'auto-identification".
Le nationalisme du XXème
siècle était polarisé sur la politique et la
création d'une institution étatique pour la Bretagne. Il
est vrai que le problème des institutions se posera dans le
futur comme il s'est posé dans le passé. Mais la question
de l'identité nationale, d'un point de vue individuel comme d'un
point de vue collectif, déborde le cadre institutionnel. Elle va
concerner de plus en plus le secteur économique, la culture au
sens large, les solidarités communautaires
incontrôlées. Il n'est plus possible de limiter le
nationalisme à une mesure politique. L'épanouissement des
Bretons et de la Bretagne doit être vu dans un contexte
mondialisé et hyper-connecté.
Je comprends que beaucoup d'entre
nous veuillent rester les gardiens du temple. Ils sont
nécessaires ; Je n'ai aucun doute sur l'importance de maintenir
la flamme sacrée et la revendication institutionnelle. Mais il
faut que certains d'entre nous sortent de la forteresse, pour investir
de nouveaux territoires. Que les gardiens tolèrent les
francs-tireurs !
Notre combat n'est pas seulement une
résistance à l'agression. C'est une guerre de
conquête.
JPLM

Mercuriale. Décembre 2014