Mercuriale de juillet 2013
Qu'est-ce que la culture ?
N’attendons
rien de Wikipedia !... En Bretagne, on se gargarise du mot
"culture" ;
en France aussi. Mais elle n’a pas le même goût, ni
peut-être la même nature. Pourquoi ? Qu’est-ce
donc que la culture ?
Tout le monde
semble d’accord pour dire que la culture, c’est d’abord un savoir. Partons de
la première condition du savoir, qui est la mémoire.
Le mot,
depuis quelques dizaines d’années, s’est chargé de significations diverses,
parfois contradictoires. Elle était au départ un capital immatériel, strictement
personnel. Puis elle a été assumée par la collectivité. Enfantée par une nuée
de sociologues, de psychanalystes, de mystiques, la mémoire collective est apparue. Elle a été utilisée, plutôt pour
soumettre que pour libérer les individus, sous forme de commémorations.
Ensuite, dans
le même esprit, mais sous forme défensive, le devoir de mémoire est apparu. Celui-ci s’est multiplié de façon
anarchique. Il en est devenu suspect et déstabilisant pour l’identité
collective. Afin d’éviter les guerres mémorielles, l’histoire officielle s’est dressée, telle une statue triomphante, au-dessus
du magma populaire.
Les
informaticiens nous ont ramené à une définition sans gloire, mais précise. La
mémoire est un lieu de stockage des informations, appelées données. Dans la société de méfiance dans laquelle nous vivons,
l’accumulation de données est devenue une activité centrale et indispensable.
Les processus de production et de consommation ne se conçoivent plus sans traçabilité.
Il faut disposer d’innombrables informations pour assurer la sécurité, qu’elle
soit publique, alimentaire, routière, sociale.
La mémoire est
ce qui permet à un individu, une collectivité ou une machine d’accumuler des
informations. La mémoire humaine a l’intérêt de pouvoir être consultée et
restituée à tout moment et en tout lieu par celui qui la détient. Elle
constituait, avant l’avènement de l’informatique, un avantage considérable.
Remarquons que la mémoire des machines informatiques surclasse largement les
performances humaines dans le domaine de l’accumulation.
Un trésor n’a
de valeur que s’il est utilisable ou échangeable. L’exploit mémoriel, celui de
l’érudit ou de la clé USB, n’a de valeur que dans un contexte d’utilisation ou
d’échange. Et c’est alors que nous passons au niveau supérieur.
Ce deuxième
niveau est celui de la compréhension. Les données acquièrent une signification
lorsqu’elles sont analysées, rapprochées, combinées. Nous passons de la mémoire
à l’intelligence.
Les machines,
aussi, peuvent être intelligentes. L’intelligence humaine, liée à la créativité
et à l’imagination, semble pour l’instant supérieure à l’intelligence
artificielle.
Pour un
individu ou une communauté, l’intelligence ne se conçoit pas sans l’instruction.
Celle-ci permet d’ouvrir les canaux qui mènent des données vers l’information
proprement dite. L’intelligence permet de choisir les voies les plus
pertinentes. Intelligence et instruction cheminent de pair pour aboutir à la
compréhension.
Rabelais disait
que "science sans conscience n’est
que ruine de l’âme". Cette ruine de l’âme est l’incapacité de mettre
la mémoire et l’intelligence en perspective avec un bien. La notion du bien, bien individuel ou bien commun, nous mène
au troisième niveau de la culture, celui de la perspective.
La
perspective du bien est nécessaire à l’action.
Toute création, qu’elle soit
littéraire, artistique, politique, sociale, économique ne
peut se faire sans
une perspective, un rêve, une ambition. Un peuple sans
perspective perd sa
culture et ne dispose plus que d’un folklore. Une entreprise sans
perspective perd sa culture et sa raison d'être. Elle ne
s'accroche plus qu'aux profits matériels de chacun de ses
membres.
La culture
est composée de ces trois niveaux du savoir. Posons une définition, sans doute imparfaite:
La
culture est un ensemble cohérent d’informations, d’interprétations et de perspectives.
Dans la même
approche, un être cultivé est un individu qui possède
une mémoire, une intelligence et une notion du bien.
Qu’est-ce que
la culture française ? Qu’est-ce que la culture bretonne ? Nous ne
parlons pas de la culture des Français et de la culture des Bretons, qui
présentent des variations de grandes amplitudes. Nous parlons de cultures
collectives. Elles s’illustrent par des langues, des œuvres, des productions,
des comportements, des styles, des processus de
décisions, des perspectives, des ambitions collectives. Tout cela forme un ensemble cohérent, qui peut être mis en relation avec une histoire et
une géographie.
Revenons au premier niveau de la culture. Aujourd’hui,
le stock d’informations est devenu mondial. Sans doute un Breton, dans les
informations sur la période révolutionnaire, sera-t-il plus intéressé qu’un
autre aux Protestations du Parlement de Bretagne et au récit de
la bataille de Kerguidu. Il sera plus intéressé par ce qui s’est passé près de
chez lui. Il se sentira plus proche de ses ancêtres que d’étrangers ou d’envahisseurs.
Ce biais, qui est un « plus » par rapport à la culture scolaire, le
mènera vers des interprétations et des perspectives originales.
La culture
scolaire… C’est là que se situe la grande différence entre culture française et culture
bretonne. La culture française, fascinante accumulation de productions
intellectuelles, d’œuvres artistiques, de savoirs, de mythes et de préjugés, a
été normalisée par des siècles de contrôle étatique. Elle est devenue un
sacrement administré par l’Education
Nationale.
Les données ont été normalisées, et le site
"contreculture" permet de retrouver quelques uns des
éléments qui en ont été
écartés. La compréhension a été
officialisée.
L'officialisation de la compréhension n’est pas favorable à l’intelligence, qui est la
capacité à relier ce qui parait indépendant, contradictoire, anachronique. La
culture française permet de briller, beaucoup moins de réfléchir.
La culture bretonne n’a pas
été polie par un pouvoir politique. Elle
est, pour cette raison, moins cohérente que la culture
française. Elle plonge avec moins de retenue dans le
réservoir mondial de données. Elle a
accumulé des informations, des œuvres, des
préjugés contradictoires. C’est la
raison pour laquelle elle est moins prévisible, et plus propice
à l’exercice de l’intelligence. La
culture bretonne est typiquement un contre-pouvoir, en ce sens
qu’elle est un
défi face à l’interprétation unique et aux
perspectives officielles.
Nous en arrivons au
troisième niveau, et nous constatons que la culture
bretonne offre des perspectives qui ne sont pas
normalisées. Le "bien" lié à une culture
d’État, transmis par une Education
Nationale, est le bien, non pas de la communauté, mais de l’État. La culture bretonne, tout en ouvrant
des perspectives vers un bien collectif, ne contribue pas à un ordre social
contrôlé.
Le sujet
"Qu’est-ce que la culture bretonne ?" est
vaste. On ne peut y répondre complètement en une seule
chronique. Chacun peut avoir un point de vue original et me le
transmettre. Nous y reviendrons en août.
JPLM
Mercuriale juillet 2013