Mercuriale de juin 2008
Paris bouge t’il ?
Le 7 mai 2008, le débat sur les langues régionales
à l'Assemblée nationale, sonne comme un rappel des canons
de l’église. A 17 h 40, le Président de
séance rappelle à M. Mach (UMP), qui s'exprimait en
catalan pour conclure son intervention, que le français est la
seule langue autorisée dans l'hémicycle, en
conséquence de quoi « ses propos ne seront pas
consignés au compte-rendu ».
La Ministre de la culture (et
non des cultures) conclut péremptoirement: « Le Conseil
[constitutionnel] a estimé que la Charte conférait des
droits spécifiques et imprescriptibles à des groupes de
locuteurs à l'intérieur de territoires, ce qui porterait
atteinte au principe constitutionnel d'indivisibilité de la
République, d'égalité devant la loi et
d'unicité du peuple français ».
Le 13 mai, à la tribune du sénat, Jean-Luc
Mélenchon se vante de ne parler que le français, et
s'excuse d'avoir hérité d'un peu d’espagnol
apporté par ses grands parents. Il nous explique que, pour
être un bon républicain, il faut être
linguistiquement limité. A l'inverse nous savons qu'un
bretonnant est forcément multilingue, et ouvert à toutes
les langues du monde.
Le 22 mai, les députés votent un amendement au projet de
loi sur la réforme des institutions. Ils proposent
d’inscrire dans l’article 1 de la Constitution : «
Les langues régionales appartiennent au patrimoine national
».
On se doute bien qu’il y a, dans ces embardées, des
manœuvres dont nous ne voyons pas encore les causes. Mais
restons-en aux embruns que nous recevons de la "sphère publique".
Jusqu’à présent, tout le monde était
d’accord. Notre héritage breton n’appartenait pas
à la France. En toute logique, celui qui le revendiquait
était un rebelle authentique. Il pouvait très bien,
puisque son héritage était étranger à la
France, ne pas se sentir lié à la communauté
française. La double appartenance restait une tactique
hypocrite, sinon factice.
Aujourd’hui, la confusion règne. La France peut-elle
encore être une et indivisible ? La diversité culturelle
est-elle un moyen de mobiliser les énergies ? Dans la plupart
des scénarios prospectifs, l’État-nation est trop
lourd et perd progressivement du terrain. Dans le
scénario-catastrophe, la France éclate. Les
sécessions sont rendues possibles par les opportunités
qu'engendrent les tensions planétaires d’ordre
économique, écologique et militaire. Mais la confusion ne
touche-t'elle pas aussi la Bretagne ?
Autrefois, le vainqueur était celui qui semait la mort et savait
en préserver ses troupes. Au XXIème siècle, le
vainqueur est celui qui sème la confusion et sait en
préserver sa communauté.
La question pour nous est de savoir ce qu’est la Bretagne. Tant
que la France considérait l’héritage breton comme
étranger et nocif, il suffisait de le revendiquer pour
bénéficier d’une identité
étrangère, excitante et bien définie.
Accepterons-nous d'être français lorsque la France
acceptera que nous soyons bretons ? Plus nos idées de
diversité s'imposeront, en accord d’ailleurs avec le
mouvement mondial, et plus la confusion augmentera. Nous
avançons, mais l’horizon s’éloigne toujours,
et toujours il se recompose.
Si la Bretagne reste seulement une juste revendication, elle finira un
jour ou l’autre par être compatible avec le loyalisme
républicain français. C’est une perspective
pacifique. Mais je la trouve triste et insipide. Crépusculaire.
Quasiment déprimante.
La cantine française offrira sur sa carte des menus au choix.
Bien assis désormais, nous mangerons paisiblement notre
kig-ha-fars tandis que d’autres avaleront leur choucroute ou leur
couscous. Les plus énergiques n’y trouveront aucun
goût et s’en iront.
Pour nous dégager de cette confusion, il faut considérer
la Bretagne comme un projet d'avenir. Israël a été
conçu ainsi, et la Palestine, par un étrange
mimétisme, se conçoit aussi de la même
façon. Je sais que notre langue et notre culture sont des
arguments forts. Mais, face à l'inculture, ils sont
insuffisants. Je sais que l'histoire donne des droits. Mais depuis que
la Bretagne a perdu son statut d'indépendance en 1532, puis son
statut de province réputée étrangère en
1789, notre histoire d'école primaire est celle d'une province
française.
Je le sais bien, une nation se définit par un passé.
« Avoir fait de grandes choses ensemble » disait Renan...
Mais il disait aussi « vouloir en faire encore ». Vouloir
faire de grandes choses en tant que Bretons, et non en tant que
provinciaux. Être la tête d'un renard plutôt que la
queue d'un lion. C’est là sans doute notre salut. Les
Français ne s'y trompent pas et dénoncent le
"communautarisme" : vouloir faire de grandes choses en dehors des
cadres étatiques, administratifs, linguistiques ou culturels
français. Construire en dehors de leur pyramide. Pour eux, c'est
l'horreur.
Au delà des mots de diversité culturelle, au delà
des déclamations politiques, au delà des horizons qui se
recomposent, nous devons viser l‘étoile. Celle qu'au
moyen-âge, nos ancêtres appelaient "le retour d'Arthur".
Celle que les paysans révoltés de 1675 appelaient
"liberté Armorique". Celle que d'autres, au cours des
siècles suivants, ont appelé "libération
nationale", "autonomie", "république bretonne". Une
étoile peut-être éloignée, peut-être
inaccessible. Mais il faut marcher vers notre étoile.
JPLM

Contreculture / Mercuriale juin 200