Mercuriale de décembre 2007
Il existe
en France une tradition politique fortement
enracinée, qui part des sans-culottes de 1789, passe par les
blanquistes au
XIXème siècle, traverse le Parti Communiste
Français au XXème siècle, et
s’exprime aujourd’hui dans la gauche dite
laïque et républicaine. Cette gauche
trouve son origine, non pas vraiment dans Robespierre et les Jacobins,
mais
dans les Hébertistes de 1789-1794 : populistes,
antireligieux, antiprovinciaux, cocardiers. Aux siècles
suivants, le fil rouge
en est la Libre Pensée.
En Bretagne, comme dans beaucoup de
régions ou de colonies,
la gauche est plutôt une gauche de solidarité.
Elle s’est exprimée, non
seulement par la revendication sociale, mais aussi par la
création de
coopératives et de sociétés
mutualistes. Plus des deux-tiers du marché bancaire
breton est dans les banques mutuelles, et notre agro-alimentaire est
dominé par
les coopératives. Cette particularité se prolonge
aujourd’hui dans les réseaux
associatifs, les grands festivals conviviaux et les organisations
de solidarité,
particulièrement nombreux chez nous.
La tradition
française de gauche laïque est moins une gauche
de partage que de dépossession. Sous la bannière
de « la patrie en
danger », que Blanqui a repris
d’Hébert, l’envieux prend volontiers le
masque du justicier. Les sans-culottes voulaient
déposséder les accapareurs.
Les blanquistes en voulaient aux Juifs, le Parti Communiste aux 200
familles.
Aujourd’hui, leurs descendants ne comprennent toujours
rien à la création de richesse, qui se fait
mystérieusement par le travail de ceux qu'ils appellent bizarrement "ceux du privé ". La société civile est pour eux un continent étranger.
La démocratie ne peut exister
sans identité personnelle et
collective. Eh bien, ils combattent aussi la revendication identitaire.
Ils n’y
voient que turpitudes, subversions étrangères et
non-conformités régionales. La
dépossession des trop riches de sensibilité, de
langues ou de cultures est pour
eux une démarche citoyenne.
En
France, plus on idéalise la dépossession (des
autres)
comme remède aux problèmes sociaux, plus on est
à gauche et plus on est laïc.
Pour être admis dans cet univers, il faut adopter
d’étranges croyances. Ainsi,
ils professent qu’il est vital pour la République
d’empêcher les poules aux
œufs d’or de produire et de se reproduire. Elle ne
sont destinées ni à
l’élevage intensif ni à
l’élevage bio, mais à
l’abattoir.
La tradition du nivellement citoyen par
l’appauvrissement
matériel, spirituel et culturel existe sous une forme chimiquement pure
dans la Libre-Pensée.
Elle existe sous une forme comestible, édulcorée
à l’aspartame électoral, dans
la gauche et l’extrême-gauche laïque et
républicaine. Les ouvrages de Zeev
Sternhell ou de Marc Crapez ont amplement montré les
origines ainsi que les
penchants douteux de ce que Crapez a nommé la gauche
réactionnaire.
La
pensée expropriatrice a besoin d’un outil
d’expropriation. C’est idéalement la
révolution sociale, mais c’est toujours,
plus concrètement, l’État
centralisé. Pour que cela fonctionne, il faut que les dépossédés
potentiels soient emprisonnés dans les frontières
de l’Hexagone.
Malheureusement pour les rejetons du Père Duchesne,
les fortunes sont devenues nomades. La
culture bretonne a l’humeur vagabonde et navigue dans des
réseaux
interceltiques. Les poules aux œufs d’or sont
devenues des oies sauvages.
La Bretagne, qui a largement
voté à gauche lors des
dernières élections présidentielles,
sauvera t’elle la gauche française ?
Espérons que non. Elle devrait s’aligner, et donc
s’appauvrir. Elle y perdrait
ce qui fait son succès : ses élans, ses
croyances, son langage. Elle a
mille fois plus à gagner en étant
républicaine comme les insurgents américains
ou à la manière irlandaise, plutôt que
de tomber dans la tradition française.
Ségolène Royal affirmait récemment
qu’il fallait "réinvestir
et actualiser les mythes hérités du
passé". Elle en rajoute sur le
national-chauvinisme : "l'oubli du sentiment
national se trouve au
coeur du mal-être français" ; "le drapeau
n'appartient pas au
Front national, pas plus que La Marseillaise". Pour Malek
Boutih,
secrétaire national aux questions de
société, il n'existe "qu'une seule
France". Ce ne sont pas les pires, mais on voit par
là que le
nivellement d’école primaire est la seule planche
de salut à laquelle s’accrochent
nos naufragés. Ils nous parlent de Sixième
république et rêvent d'un retour à la Troisième. Les discours boulangistes,
antidreyfusards, traîne-sabres et
taxis de la Marne se portent bien à gauche par les temps qui
courent.
La gauche laïque et républicaine ne nous
veut pas de bien.
Elle est égoïste, expropriatrice et
mécaniquement anti-bretonne.
Laissons-la s’étouffer sous
l’édredon de ses vieilles certitudes.
JPLM

Contreculture / Mercuriale 2007_12 V1.0