Mercuriale de décembre 2015
Qu'est-ce qui fera bouger la Bretagne ?
Je
suis toujours étonné par ceux qui ont des opinions sur
tout : l’islam, Notre Dame des Landes, le changement climatique, les produits bio, la Grèce, Obama, Mai 68, le
costume d’untel, la robe d'unetelle.
Pour ma part, s'il fallait dresser le catalogue des sujets sur lesquels je n'ai aucune opinion, il serait impressionnant. Y compris sur des sujets censés être importants, catastrophiques,
apocalyptiques ! Et je n’ai
même pas honte.
Les
opinions peuvent concerner des individus. Marine Le Pen,
François Hollande, José Bové, Nicolas
Sarkozy, Xavier Beulin suscitent
des jugements définitifs. Certains noms sont devenus des
symboles. On ne juge plus des personnes, mais des bouts de phrases, les
traits d’un visage, un acte de jeunesse, une fortune. C’est
en effet plus simple.
Les
opinions peuvent aussi concerner des étiquettes de partis, de
syndicats, de professions, de religions. Ceux qui accordent beaucoup
d'importance
à leurs propres étiquettes en accordent aussi beaucoup
aux étiquettes des autres. Ils ont en général
tort, car chaque personne est plus complexe et plus intéressante
que ses
étiquettes. Les
étiquettes deviennent trompeuses quand on ne les
connait que par ouï-dire. Ainsi,
autrefois, tout le monde avait un agriculteur dans sa famille. Les
étiquettes des
agriculteurs (FDSEA, éleveurs de porcs) étaient moins
abstraites qu'aujourd'hui.
L’Institut
de Locarn, accusé d’être à la fois un repaire
de l’Opus Dei, un lobby communautariste ou ultralibéral, et un pôle de soutien
à Le Drian, suscite les opinions les plus amusantes et les plus variées.
Les
grands projets suscitent des opinions standardisées. Les
jugements prêts à l’emploi sont fournis par ceux qui
accèdent aux médias. Constatons
que les projets qui suscitent le plus d’opinions, de
pétitions et de manifestations sont situés à la
campagne ou à la mer. Les métropoles, avec leurs
concentrations humaines, leur pollution et leurs équipements
démentiels pour le logement, les transports ou la
sécurité, ne font pas partie du répertoire des
"grands projets
inutiles". Les opinions de masse sont diffusés par les
médias de masse. Ces médias sont centralisés dans
les métropoles.
Eh
oui, je manque d’opinions ! Mais mon handicap n’est,
finalement, pas si
grave. Il est partagé par beaucoup de ceux qui entreprennent,
que ce soit dans le monde économique, associatif, artistique ou
politique. Les opinions permettent à ceux qui n’agissent
pas de se donner une identité. L'identité des "disous"
est lié à leurs jugements. L'identité des
"faisous" est liée à leurs actes. Leur
préoccupation est de
mobiliser les énergies les plus diverses. Donner trop
d’importance aux opinions présente un risque de dispersion.
Je
fais la différence entre les opinions et les convictions. Pour
passer à l’action, il faut des convictions. Celles-ci
doivent être en nombre limité pour être efficaces.
Il faut marcher vers un seul horizon, vers un point cardinal. C'est
dans la façon de marcher ensemble que s'exprime la
sensibilité démocratique, pas dans le brouhaha des
opinions.
Notre avenir passe-t-il par des victoires dans les débats d’opinions ?
La Bretagne sera-t-elle indépendante quand nous aurons suffisamment flétri le jacobinisme ?
Les élus vont-ils démissionner parce que nous les aurons suffisamment insultés ?
Non. Je ne le crois pas une seconde. Les opinions tranchées et la
violence verbale ne révèlent pas la force, mais
l’impuissance. Certes, l’impuissance haineuse peut être
destructrice. Les révolutionnaires, ceux qui veulent changer les
choses, savent s'en servir et la manipuler. Mais ils n'y succombent pas. Ils
y perdraient leur cap.
Pour construire la Bretagne de demain, nous devons être présents dans trois sphères.
Dans
la sphère économique, nous devons contribuer au dynamisme
des entreprises et faire en sorte que les centres de décision
soient localisés en Bretagne.
Dans
la sphère de la société civile, nous devons
contribuer aux initiatives des associations et de tous les
créateurs. Evitons le terme d’initiatives
"citoyennes". Cet adjectif a un parfum d’embrigadement ; la
citoyenneté est décernée et contrôlée
par l'appareil d'Etat. Les initiatives qui
structureront vraiment la Bretagne ne seront pas
considérées comme "citoyennes", ni par le gouvernement, ni par l’opinion
publique française, ne vous faites pas d’illusion !
Dans
la sphère politique, une fois les élections
régionales passées, il reste à créer une
plateforme ouverte, analogue à ce qu’est l'Institut de Locarn ou "Produit en Bretagne" dans la
sphère économique, et à ce que sont les Bonnets
rouges ou l'Institut de Silfiac pour notre société
civile. Une telle coopérative d'innovation politique est déjà en germe dans Breizh 5/5, Dibab, les cahiers de doléances ou la liste "Choisir nos régions".
Relativisons
les opinions qui paradent et qui s'affrontent, sur Facebook ou dans les
médias. Elles ne font pas bouger les lignes. C'est l'action
constructive qui façonne la Bretagne de demain.
JPLM

Mercuriale décembre 2015